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— Je sais ce que c’est. Il faut que je la récupère.

— Tu rêves. »

30

Cohen s’éloigna et continua à fumer en se traitant de tous les noms. Sa cigarette terminée, il s’était suffisamment calmé pour aller vérifier auprès de ses compagnons que personne n’avait été blessé.

« On aurait dit un film, commenta Nadine. Ben, moi, je préfère nettement les regarder que jouer dedans. » Elle frotta à deux mains sa tête humide, aux cheveux courts hérissés dans tous les sens. « Je vais tenir compagnie à Kris. »

Brisco courait dans les jambes des autres, deux doigts tendus façon revolver, tirant des balles imaginaires sur des méchants imaginaires. Son frère avait beau lui dire et lui répéter d’arrêter, il n’écoutait pas. Quand Cohen demanda à Evan s’il se sentait bien, un simple hochement de tête lui répondit.

« Tu t’es super bien débrouillé », ajouta-t-il en tapotant l’épaule de l’adolescent.

Pas de réponse du tout, cette fois.

Mariposa déclara alors qu’elle voulait bien de cette cigarette, maintenant. Cohen en alluma une autre avec la sienne et la lui donna.

« Ça va, tu n’as rien ? s’inquiéta-t-elle.

— Non.

— C’était bien eux qui avaient tué les autres, sur le parking, hein ? » Il acquiesça. « C’est fini, alors ?

— Ce n’est jamais fini. »

Elle plissait les yeux en aspirant la fumée. Manifestement, elle s’y habituait. Mais elle avait peur, ça se voyait. Ils avaient tous peur, sauf Brisco. Evan s’éloigna du groupe, les mains dans les poches. Cohen aurait voulu lui dire quelque chose, mais il ne savait pas quoi.

La main de Mariposa tremblait en levant et en rabaissant la cigarette. La jeune fille frissonnait. Peut-être fallait-il accuser le froid, car elle avait les cheveux humides, peut-être ce qui venait d’arriver, le mélange des deux ou tout autre chose. Quand elle lâcha son mégot et leva les yeux vers Cohen, elle semblait prête à fondre en larmes.

« J’ai juste mis sa robe comme ça. Promis, juré.

— Je sais.

— Promis, juré. »

Elle tremblait de tout son corps, alors il s’approcha d’elle et la prit dans ses bras. Peu importait qu’elle soit secouée de sanglots irrépressibles ou juste frissonnante. Le menton posé sur son crâne, il la sentait frémir contre lui. Evan restait seul à l’écart, le regard fixé sur la tempête. Cohen chercha des yeux la camionnette où les deux femmes avaient pris place avec le bébé, mais ne lâcha pas la jeune fille. Il finit par se faire la réflexion qu’il n’avait serré personne contre lui de cette manière depuis des années. Puis par se dire une ou deux fois qu’il devrait la lâcher. Mais il n’en fit rien. Il la laissa pleurer dans ses bras, si elle pleurait, jusqu’à ce qu’elle cesse de trembler. Prêt à desserrer son étreinte dès qu’elle voudrait s’écarter.

Elle s’écarta en effet. S’essuya les yeux, puis le visage.

« On ferait mieux d’y aller », dit-il.

Un hochement de tête lui répondit, accompagné d’un reniflement.

Brisco passa près d’eux en courant et en tirant des deux mains sur Cohen. Pan, pan, pan ! Evan, qui s’était retourné pour le surveiller, s’approcha d’un pas rageur et le souleva brutalement de terre.

« Je t’interdis de faire ce genre de conneries, tu m’entends ! hurla l’adolescent.

— Aïe ! s’écria le gamin.

— Doucement, intervint Cohen. Il ne fait que s’amuser, après tout.

— Toi, fous-moi la paix. C’est pas toi qui t’occupes de lui.

— Je sais, mais c’était juste un jeu.

— C’est un jeu de merde. » Evan repoussa son frère. « Je suis sérieux, tu sais. Arrête, avec ces conneries.

— Seigneur. Calme-toi un peu, tu veux ? dit Cohen. On est déjà assez dans la merde comme ça.

— Calme-toi toi-même. »

Sur ces mots, Evan ordonna à Brisco de l’accompagner au pick-up, empoignant le gamin par la manche de son manteau et le traînant littéralement sous la pluie.

Mariposa rappela l’adolescent, mais Cohen lui conseilla de le laisser tranquille, pour l’instant.

« Qu’est-ce qui lui prend ? » demanda-t-elle.

Il n’allait pas tarder à faire nuit noire, et les rugissements de la tempête avaient gagné en force. Le groupe allait avoir besoin d’un véritable abri. Cohen tirailla sa barbe, considéra le mauvais temps puis se retourna vers Mariposa.

« Ce qui lui prend ? La même chose que tout le monde ici. Allez, viens. »

Une fois les fugitifs répartis dans les pick-up, Mariposa s’essuya à nouveau le visage des deux mains. Puis, consciente de l’anxiété de Cohen, elle lui demanda s’il se sentait bien.

« Il faut que j’y retourne, répondit-il.

— Mais non.

— Oh, si. »

Quel con. Mais quel con. Pourquoi n’avait-il pas pensé à la Jeep sur le moment ? Il en était malade.

« Tout ce dont tu as besoin est ici, insista Mariposa. On y est presque.

— Peut-être.

— C’est sûr.

— Sur une carte, oui. Mais je m’en fiche. Où qu’on soit et où que se trouve la Limite, il faut que j’y retourne. »

Elle se rapprocha de lui sur la banquette.

« Non. Non, ce n’est pas la peine.

— Si, c’est la peine. »

Elle se rapprocha encore.

« Je ne comprends pas.

— Il n’y a rien à comprendre, il faut juste que j’y retourne. C’est ma voiture. »

Il se tortillait, les mains crispées sur le volant, le regard rivé à la tempête. Elle lui toucha le bras puis tira doucement dessus pour lui faire lâcher prise.

« Tu n’es pas obligé, insista-t-elle en serrant son bras contre elle. Tu en as envie, je sais, mais tu n’es pas obligé. »

Le baiser délicat qu’elle lui posa sur la joue fut quasi indétectable.

Cohen resta figé. À regarder droit devant lui.

« Il faut que je réfléchisse », dit-il enfin, en lançant le moteur et en passant la première.

Malgré la pluie et le vent, la chance leur sourit sur les vingt premiers kilomètres, puisque la route 49 ne leur opposa comme obstacles que quelques poteaux et arbres tombés. Le kudzu qui poussait des deux côtés de la chaussée la recouvrait entièrement par endroits, embellissant l’asphalte grossier de son tapis vert. Les minuscules villages de Saucier, McHenry, Perkinston défilèrent derrière les vitres, avec leurs panneaux indicateurs tordus. Il n’y avait pas grand-chose à signaler, à part quelques voitures abandonnées.

La première difficulté se présenta entre Maxie et Dixie. Un ruisseau transformé en marécage débordant les contraignit à rebrousser chemin sur près de dix kilomètres, car l’inondation avait emporté le pont qu’ils voulaient emprunter. Malheureusement, celui auquel menait leur itinéraire de secours avait également disparu. Demi-tour, encore une fois. Personne ne connaissait vraiment le coin, mais tout le monde était capable de distinguer le nord du sud. Ils continuèrent donc à progresser autant que possible vers le nord, sur de petites routes de campagne ou des tronçons de grands axes oubliés. Il faisait nuit noire, et la tempête s’intensifiait au point qu’on n’y voyait plus rien, malgré les phares. Cohen, qui ouvrait le chemin, finit par en avoir assez. Il s’arrêta, bondit à terre et rejoignit les autres en courant.

« On va chercher un abri, on repartira demain. Je sais que ce n’est pas évident, mais si vous voyez quelque chose, faites des appels de phares ou klaxonnez. »

Deux interminables kilomètres plus loin, Evan klaxonna. Cohen s’arrêta, une fois de plus, mais il eut beau examiner les alentours, il ne vit absolument rien de particulier. L’adolescent vint en courant frapper à sa portière, qu’il entrouvrit.