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« Les deux femmes nous ont dit qu’elles avaient besoin d’un hôpital. C’est vrai ?

— Oui.

— Vous êtes restés longtemps là-bas ? »

Il secoua la tête.

« Certains plus que d’autres.

— Quel est le con qui a eu la bonne idée de faire un bébé dans le coin ?

— Je sais. C’est absurde. Mais c’est une longue histoire, je peux vous l’assurer.

— Vous êtes de la famille ?

— Non.

— Alors on va prendre en charge celle qui est enceinte et le bébé. Pour être sûrs qu’ils aillent où il faut. Vous avez des affaires à eux ? »

Il réfléchit un instant. Regarda par-dessus son épaule. Deux gardes aidaient Kris et le bébé à gagner le 4 × 4, pendant que Nadine tirait de sa remorque des sacs de vêtements et diverses affaires. Elle les remit à un autre garde puis s’approcha en courant de la première camionnette.

« Je vais les suivre, vu qu’on a le pick-up en copropriété, Kris et moi. Il faut qu’on y aille. »

Elle passa la main par la vitre pour serrer Cohen par le cou, mais il lui dit d’attendre une minute, se pencha en arrière, tira de l’argent de sa poche avant et le lui tendit.

« Occupe-toi bien du petit. »

Le sourire aux lèvres, elle prit les billets offerts, avant de regagner son véhicule à toute allure sous la pluie diluvienne. Evan et Brisco en sortirent, s’approchèrent de celui de Cohen et Mariposa puis y montèrent, côté passager. Le 4 × 4 s’éloigna, suivi du pick-up des deux femmes.

« Où vont-ils ? demanda Cohen.

— Ça dépend, répondit le garde. À cent cinquante kilomètres, dans ces eaux-là. À un endroit correct pour un bébé et une femme enceinte.

— À cent cinquante kilomètres ?

— Minimum.

— Mais on n’est pas à la Limite, là ? »

Il se mit à rire.

« Officiellement, oui. Officieusement, non. De nos jours, la Limite n’est guère qu’un trait dans le sable. Et vous, vous allez où ? »

Cohen secoua la tête.

« On n’en sait rien. On ne peut pas faire cent cinquante kilomètres de plus. Pas dans ce truc.

— Cette route-là va tout droit à Ellisville.

— C’est quoi ?

— Un trou. Mais avec de la chance, vous y trouverez de l’essence et à manger.

— De la chance ? Ils ont de l’essence et à manger, oui ou non ?

— Vous verrez quand vous y serez.

— Bon.

— Vous avez un sacré arsenal dans la remorque. Qu’est-ce que vous comptez faire ?

— Tout ce qu’on veut, c’est se mettre au chaud et au sec. Et se remplir le ventre avec quelque chose qui ne sort pas directement d’une boîte.

— Vous ne pouvez pas trimballer votre armurerie comme ça. Si elle tombe entre de mauvaises mains, ça va faire du vilain.

— C’est quoi ici, la législation sur les armes ?

— La législation sur les armes ? Je dirais que si vous êtes armé, vous feriez mieux de ne pas vous laisser désarmer. Vous êtes encore loin de la loi et de l’ordre.

— Je vois.

— Alors allez-y. Ellisville est à moins de vingt kilomètres. Dépêchez-vous de trouver un abri, parce qu’une autre tempête arrive juste derrière celle-là, et il paraît que c’est un vrai monstre.

— J’attends toujours d’en voir qui n’en soient pas. »

Le garde secoua la tête.

« Demande-lui, pour Charlie, cria un de ses collègues.

— Ah, oui. Vous n’auriez pas vu un vieux, par hasard ? Un certain Charlie, quelque part là-bas ? Il se balade partout en camion. Ça fait un moment qu’il est parti, mais on ne l’a pas vu repasser.

— Nous, on a vu deux de ses hommes, répondit Cohen. Avec une vingtaine d’autres cadavres.

— Nom de Dieu. Où ça ?

— Sur la côte. Juste à côté d’un casino. »

Le type secoua la tête, une fois de plus.

« Certains de vos collègues là-bas n’en ont rien à foutre de rien, vous savez, reprit Cohen. Ils gardent même le manteau.

— Je sais, oui. Ils viennent une fois par semaine, quelque chose comme ça, et ils nous vident un chargeur au-dessus de la tête pour voir ce qu’on va faire.

— Et qu’est-ce que vous faites ?

— Rien. On n’est pas payés pour. Quand on bosse ici, on n’a aucune idée de ce qui se passe, mais tout le monde ne le prend pas pareil. »

Cohen remonta sa vitre. Le type recula, fit volte-face et rejoignit ses collègues. Au moment de passer la première, pourtant, Cohen se figea, dit aux autres de l’attendre puis s’empressa de descendre de la cabine en appelant les patrouilleurs, qui regagnaient le poste de contrôle. Ils s’arrêtèrent, et il les rattrapa en courant pour leur demander s’il y avait quoi que ce soit de particulièrement dangereux dans le coin.

« Oui », répondit l’un d’eux, après un échange de regards amusés. « Tout ce qui a deux bras, deux jambes et un cerveau pour les actionner. »

Quatrième partie

37

Lorsqu’ils arrivèrent à Ellisville, l’aiguille de la jauge d’essence se situait dans le rouge. La route les mena jusqu’au centre-ville, une place décrépite dont un auvent fissuré faisait le tour, fixé aux façades. Il protégeait de la pluie de petits groupes d’hommes qui suivirent le pick-up des yeux, pendant que Cohen cherchait un endroit où se garer.

« Qu’est-ce qu’ils attendent, ces mecs ? demanda Evan.

— Rien, a priori », répondit Cohen.

Des lumières brillaient dans les bâtiments environnants. Le coin d’une rue était occupé par une cafétéria à la porte ouverte, mais au seuil défendu par un type imposant, en tablier de cuisinier. Cohen fit deux fois le tour de la place en examinant les gens du cru. Certains avaient l’air menaçants, d’autres abattus, mais ils s’intéressaient tous à la camionnette inconnue qui venait de faire irruption, avec son chargement de réfugiés.

Il s’engagea dans une rue qui le mena derrière une rangée d’immeubles, où il se gara finalement entre deux bennes à ordures. Un des bâtiments était desservi par un escalier en métal, au sommet duquel se tenait une femme courtaude, vêtue en tout et pour tout d’une culotte et d’un soutien-gorge, mais équipée d’un parapluie. Elle leur fit signe de monter en les appelant d’une voix chantante, étouffée par la pluie.

« On va aller manger à la cafét’, décida Cohen. Peut-être qu’on trouvera un endroit où dormir.

— Tu crois ? demanda Evan.

— On n’a pas tellement le choix. Ne vous écartez pas les uns des autres. Et toi, ne lâche pas la main de Brisco.

— Qu’est-ce qu’on fait de nos affaires ? » s’inquiéta Mariposa.

Il fouilla dans son manteau, où se trouvaient toujours ses deux pistolets, qu’il tira de ses poches pour vérifier s’ils étaient chargés. Son couteau de chasse n’avait pas quitté sa ceinture, mais Evan avait laissé son fusil appuyé contre sa portière. Cohen lui dit de le poser par terre, et ils levèrent tous les jambes le temps que l’adolescent le glisse sous la banquette.

« On n’en a pas pour longtemps, reprit Cohen. De toute manière, personne ne nous a vus nous garer.

— Sauf elle. »

Evan montrait l’inconnue, qui agitait la main, une fois de plus.

« Elle, elle n’ira nulle part. Allez, on y va. »

Ils descendirent du pick-up et s’engouffrèrent dans une ruelle qui les ramena sur la place. La pluie martelait l’auvent, si abîmé qu’il laissait filtrer presque autant d’eau qu’il en arrêtait. La cafétéria se trouvait pratiquement à l’opposé, aussi continuèrent-ils leur chemin sur le trottoir, même si personne ne s’écartait pour leur livrer passage. Ils contournaient prudemment ces hommes prêts à s’emparer de ce qui ne leur appartenait pas — et dont certains sifflaient Mariposa en braillant ce qu’ils auraient aimé lui faire. Evan serrait Brisco contre lui, pendant que Mariposa se serrait plus fort encore contre Cohen. Une odeur de cigarette et de bière éventée flottait alentour. Des corps étaient blottis çà et là au pied des bâtiments, endormis, inconscients ou morts. Au premier carrefour, quelques femmes se tenaient à l’entrée d’un immeuble aux fenêtres défendues par des barreaux. On aurait dit des mannequins de friperie, avec leurs chemisiers décolletés et leurs mini-jupes bizarrement assortis, inadaptés au froid et à la pluie. L’une d’elles, arborant casquette de base-ball et boa, promit aux nouveaux venus tout ce qu’ils voulaient pour vingt dollars.