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« Je crois que tu le connais aussi, reprit Charlie.

— Et comment le connaîtrais-je ?

— Tu le connais. Je le connais depuis tout petit. Je connaissais son père, c’était mon pote. Je l’ai vu monter à cheval. Jouer au ballon. À l’époque, je lui ai même fait quelques cadeaux de Noël. Quand on connaît quelqu’un comme ça, on s’imagine que c’est un pote. Mais on dirait que non.

— En voilà une théorie, dit Cohen avec un léger rire.

— Ce n’est pas une théorie. On continue ce petit jeu ou on passe aux choses sérieuses ? Parce que j’en ai assez, là.

— Qu’est-ce qui te fait croire que je sais où est enterré ce prétendu trésor ?

— Je ne crois pas que tu saches où il est enterré, parce qu’il n’est plus enterré. Je crois que tu sais où le prendre.

— Moi, je crois que la pluie te rend dingue. »

Charlie termina sa cigarette et lâcha son mégot dans le cendrier en métal posé près du flacon de ketchup. Il se pencha de côté, tira son pistolet et le montra à ses deux vis-à-vis.

« Posez les mains sur la table.

— Charlie, protesta Cohen.

— Pose les mains sur la table. » Il obtempéra. « Toi aussi, ma fille. » Mariposa l’imita. « Je t’ai prévenu que j’en avais assez de ce petit jeu, Cohen. » Le pistolet disparut sous le plateau. Les yeux écarquillés de Charlie lui donnaient l’air d’un fou. « Regarde autour de toi. Regarde où tu es. Tout le monde ici a besoin de moi. Tout le monde veut continuer à voir tourner mon camion. Il n’y a pas de loi digne de ce nom. Tu te trouves dans une de mes villes. Je peux acheter n’importe qui pour une bouteille de tequila. Alors je vais compter jusqu’à cinq. Quand j’arriverai à cinq, la petite prendra une balle là où elle n’a aucune envie d’en prendre une. Entre-temps, à toi de décider si tu as quelque chose à me dire.

— Allez, Charlie, protesta encore Cohen.

— Un.

— On peut discuter, toi et moi. Arrête avec ça.

— Deux.

— Cohen, dit Mariposa d’une voix tremblante.

— Trois.

— Je l’ai », dit Cohen.

Charlie ouvrit son manteau, en sortit une flasque et la lui tendit. Cohen y but quelques gorgées puis la lui repassa pour qu’il y boive à son tour, avant de la poser sur la table. Dehors, la pluie martelait l’auvent, mais une foule de plus en plus nombreuse se pressait sur le trottoir. Cohen parcourut du regard la cafétéria, comme s’il allait trouver accrochée au mur la solution à son fâcheux problème.

« Ça fait longtemps que tu l’as ? reprit Charlie.

— Quoi donc ? » demanda Mariposa.

Il se mit à rire.

« Tu ne l’as même pas dit à ta copine ? Ça va, alors, je me sens moins mal. » Cohen regardait maintenant droit devant lui, figé. « Ça fait longtemps que tu l’as ? répéta Charlie.

— Assez, oui.

— Espèce de petit connard. Moi, j’étais là-dehors, tu le savais parfaitement. Tu savais que ces tarés étaient là aussi à creuser et à me tirer dessus, ou juste à me tirer dessus, mais tu me laissais continuer. Je devrais t’exploser les rotules et t’obliger à m’y emmener en rampant. »

Il avait la mâchoire crispée, l’air prêt à faire feu n’importe quand.

« Cohen ? demanda Mariposa.

— Tais-toi », lui ordonna Charlie. Il s’humecta les lèvres et se gratta la joue. « T’es un drôle d’oiseau, Cohen, il faut te reconnaître ça. Non seulement t’es un putain de menteur, mais en plus, tu vis là-bas tout seul comme les autres tarés pleins de flotte alors que t’es proprio de Fort Knox et que tu pourrais aller n’importe où. Et tout ça pourquoi ? À cause d’Elisa. Franchement. Je regrette que ton père ne soit pas là pour te botter le cul, ça t’apprendrait à être aussi con.

— Je ne veux pas que tu prononces son nom.

— Tu ne vas pas te mettre à chialer.

— Et je ne t’ai jamais menti.

— Appelle ça comme tu voudras, tu sais aussi bien que moi de quoi il s’agit. Enfin… On s’en fout, on a du pain sur la planche. Je te le fais court : tu vas te lever et m’y emmener. Vous allez vous lever et m’y emmener.

— Elle n’a rien à voir là-dedans.

— On va appeler ça les dégâts collatéraux. »

Cohen secoua la tête.

« Je ne peux pas t’y emmener comme ça, parce que je ne l’ai pas. »

Charlie se raidit en secouant la tête, incrédule.

« Seigneur, ne me dis pas qu’on va continuer ce petit jeu ?

— Je sais où il est.

— Oh, oui, tu le sais. Et on y va.

— Sous la Limite.

— N’importe quoi. Tu ne serais pas là au-dessus de la Limite si le fric était en dessous.

— Ce n’est pas n’importe quoi. Je t’ai bien dit l’autre jour qu’on avait dû se tirer quand les mecs étaient arrivés. Il est resté là-bas. Dans la Jeep. Là où je l’ai laissée. »

Malgré les sentiments que Cohen lui inspirait à présent, Charlie ne doutait pas de sa parole : il était trop intelligent pour mentir, un pistolet braqué entre les jambes.

« Combien il y a ?

— Je n’ai jamais compté.

— Bordel de merde. Trop d’argent pour qu’on puisse le compter. J’ai entendu ça je ne sais combien de fois, mais c’était jamais vrai de cette manière. »

Cohen s’adossa à la banquette et regarda Mariposa. Elle le fixait comme si elle ne savait pas qui il était.

« C’est quoi, ta caisse ? s’enquit Charlie.

— Un pick-up. Qui a toujours besoin d’essence.

— J’ai compris.

— Mais il faut attendre. C’est l’horreur, là-dehors.

— Comme d’hab’.

— Ça fait des semaines que ça dure. On a eu un mal de chien à arriver jusqu’ici.

— Je sais que c’est le bordel, mais ça ne fait qu’empirer à chaque goutte de pluie. C’est maintenant ou jamais. On n’aura pas mieux. »

Charlie but quelques gorgées d’alcool, reposa sa flasque, réfléchit.

« Elle vient avec moi dans le camion. Toi, tu suis.

— Certainement pas, protesta Cohen.

— Eh si. Tu ne t’imagines quand même pas que je vais vous installer tous les deux à côté de moi, pendant que je tiens le volant dans ce bordel ? Je ne suis pas fou. Il suffirait que je détourne les yeux une seconde pour que vous me tombiez dessus. Elle monte avec moi, et toi, tu suis. N’importe comment, on va avoir besoin du camion. Il est lourd.

— Je veux savoir ce qui se passe », intervint Mariposa.

Charlie tira une cigarette de son paquet.

« Vas-y, explique-lui. »

Cohen se frotta la nuque, avant de se tourner vers elle.

« Il y a un paquet de fric dans la Jeep. Le fric que cherchent Charlie et à peu près n’importe qui d’autre. On va aller le récupérer.

— Je ne veux pas, protesta-t-elle.

— Moi non plus.

— Moi, je ne voulais pas que mes hommes se fassent buter, dit Charlie. Je ne voulais pas passer deux ans de ma vie à me faire canarder en cherchant un tas d’or, alors que ton petit copain ici présent était assis dessus. Mais à ce stade de l’histoire, vous n’avez pas le choix. De toute manière, à votre place, je ne me bilerais pas. Telles que je vois les choses, notre grande mère Nature nous connaît. Elle prendra soin de nous. »

Il alluma sa cigarette, rangea sa flasque dans sa poche, donna trois petits coups de son pistolet sous la table puis ordonna à Cohen de se lever. Le fouiller — manteau et pantalon — permit à Charlie de mettre la main sur le couteau de chasse, qu’il accrocha à sa propre ceinture.