« Pas la peine de vous lever », lança l’homme à la tache de naissance — le grand.
Le petit, qui arrivait juste derrière, ouvrit placards et tiroirs puis farfouilla dans le tas de vêtements abandonné par terre, sans rien trouver d’intéressant. Dégoûté, il finit par gagner la chambre voisine, pendant que son compagnon restait planté au pied du lit, des yeux d’insomniaque fixés sur Evan, la lèvre supérieure frémissante.
« Oh, putain, cria l’autre de la pièce à côté. On a touché le jackpot, mec !
— Ah, ouais ? Qu’est-ce qu’y a ?
— Des fusils. Et attention, y a carrément une carabine à canon scié, bordel de merde !
— Fais voir.
— Putain, je viens de trouver un pistolet en rab. »
Le type reparut avec une brassée de fusils, de carabines et de boîtes de munitions, le pistolet de Cohen glissé dans la ceinture du pantalon.
« Je savais bien qu’y avait de quoi », déclara le grand en prenant un Remington.
Il le chargea puis le braqua sur Evan.
« Ne pointez pas ce truc sur nous, protesta l’adolescent en serrant Brisco dans ses bras. Vous avez ce que vous voulez. Allez-vous-en, maintenant.
— On n’a pas tout », répondit l’homme.
Un morceau d’auvent claqua contre le bâtiment puis cassa la fenêtre de la chambre voisine. Brisco hurla, et tout le monde sursauta.
« Tu parles, s’écria Evan en se redressant. Allez-vous-en.
— Il a raison », intervint le petit voyou en se dirigeant vers le palier.
Son compagnon l’attrapa par le bras.
« Pas question qu’on s’en aille.
— Pas question que vous restiez », lança Evan.
Le vent et la pluie se ruaient par la fenêtre brisée.
« On ne s’en va pas, je peux te l’assurer, riposta le type à la tache de naissance. Je sais que t’as des biscuits. J’ai vu ton pote te passer un petit quelque chose. Où tu l’as planqué ?
— Il a rien, hurla Brisco.
— Toi, ta gueule.
— Allons-nous-en, insista le petit zonard.
— Où tu les as planqués ? T’as bien quelques billets ? » reprit son complice, dont l’arme se rapprochait de l’adolescent.
Le vent rugissait par la vitre cassée.
« Espèce de minable ! » s’exclama Evan.
Le type le considéra, surpris, considéra son complice, éclata de rire puis se retourna vers lui.
« Qu’est-ce que tu dis ?
— T’es qu’un moins-que-rien sans ce flingue.
— Peut-être, mais je m’en fous, parce que je l’ai.
— Allez, quoi, viens, insista encore l’autre zonard.
— Non, j’viens pas. T’as du fric ?
— Charlie nous en donnera.
— Personne reverra jamais Charlie. Ce merdeux a du pognon, et je le veux. » Le grand leva le fusil et tira au-dessus de la tête d’Evan. Une giboulée de plâtre s’abattit sur lui, tandis qu’il plongeait sur Brisco. « Où il est ? »
L’adolescent resta à moitié couché sur son frère, sans bouger ni répondre.
Le type baissa le fusil et tira une seconde fois. La balle s’enfonça dans le mur moins de trente centimètres au-dessus d’Evan.
« Dieu tout-puissant ! s’écria le petit voyou.
— Ta gueule. Toi, gamin, j’ai aucune envie de te buter avec le môme, mais c’est la dernière fois que je pose la question. Après, je trouverai le fric sur ton cadavre. Où il est ?
— D’accord, d’accord. Ne tirez pas. »
Evan releva la tête. Brisco pleurait, le visage enfoui dans l’oreiller, les mains pressées contre les oreilles. Le petit intrus avait les bras à moitié tendus, comme un présentoir chargé d’armes. Le grand baissa encore un peu le fusil. Le vent rugit en s’engouffrant par le carreau cassé. Evan s’assit et regarda dans son manteau.
« Tenez, je vous donne tout. »
Il sortit son pistolet et fit feu sur l’adversaire, qui tomba en arrière dans le couloir, blessé à l’épaule. C’était le tour de son complice, lequel avait lâché le butin et cherchait à dégager le pistolet coincé à sa ceinture. Il s’écroula, touché au torse. Déjà, Evan était sorti de son lit et l’escogriffe se relevait, prêt à riposter. Cette fois, la balle de l’adolescent le frappa en pleine poitrine ; il s’effondra sur le dos, inerte. Brisco hurlait à chaque coup de feu en cherchant désespérément à s’enfouir dans le matelas, alors que le second zonard s’était redressé à genoux, le pistolet à la main. Evan le gratifia lui aussi d’une deuxième balle, qui le rejeta en arrière, battant des bras.
Brisco hurlait, la tempête se déchaînait, Evan brandissait son arme, les mains tremblantes. Enfin, il s’approcha du petit voyou, qu’il poussa de la pointe du pied. Aucune réaction. Le garçon se pencha nerveusement pour ramasser le pistolet de Cohen, tombé par terre près de l’intrus, puis sortit dans le couloir pousser du pied le type à la tache de naissance — mort, lui aussi. Evan fourra les deux pistolets dans ses poches, avant de s’agenouiller. Il devait récupérer le reste des armes, mais il frissonnait, la tête lui tournait, et il n’arrivait pas à se calmer. Il se coinça les mains sous les bras pour les immobiliser, ferma les yeux très fort et inspira à fond, pressé de se maîtriser : il fallait qu’il soit en état de s’occuper de Brisco.
Le répit ne dura que quelques secondes. Déjà, il reprenait possession de ses mains et soufflait dessus, sans savoir pourquoi. Puis il ramassa le Remington, les autres fusils et carabines, emporta le tout dans la chambre voisine et le posa sur le lit. Le vent s’engouffrait par la fenêtre, au-dessus des éclats de verre qui jonchaient le parquet. Evan regagna aussitôt sa propre chambre, s’assit sur le lit, attira son frère contre lui et le prit dans ses bras. Tout va bien. C’est fini. C’est fini. Tout va bien.
Ce fut alors que des pas résonnèrent au-dessus de sa tête, lourds et décidés. Une porte s’ouvrit, les pas se dirigèrent vers l’escalier, puis une voix cria :
« Je me fous de savoir qui est là, j’arrive. Je tire d’abord, et je pose les questions après.
— Non, ne tirez pas ! répondit Evan sur le même ton. C’est fini !
— Je vais voir ça », riposta Big Jim.
Il descendit l’escalier marche à marche, chacune séparée de la précédente par quelques secondes d’attente prudente. Puis, arrivé au premier, il enjamba les deux corps et la flaque de sang qui s’étendait lentement sur le seuil de la chambre. Il avait beau être torse nu sous une salopette qui ne tenait que par une bretelle, son fusil de chasse était prêt à faire feu, à la hauteur de sa hanche. Le canon s’en abaissa pourtant, quand il vit les deux garçons. Il secoua la tête.
Brisco s’assit et s’essuya la figure avec le drap. Le garçonnet était écarlate. Evan ouvrit la bouche pour s’expliquer, mais un fracas retentissant s’éleva du rez-de-chaussée, où l’ouragan venait de projeter quelque chose de massif contre la vitrine de la cafétéria. Big Jim sursauta et disparut dans les profondeurs de l’escalier.
« Ne bouge pas, Brisco », ordonna Evan en se levant, prêt à suivre le propriétaire.
Mais son frère se cramponna à son manteau en braillant Ne t’en va pas ! et en se laissant tirer à travers le lit.
Evan le saisit par la taille, le souleva et le posa debout sur le matelas.
« Arrête de pleurer, d’accord ? Je ne m’en vais pas. Promis. Arrête de pleurer et de crier. Ce n’est pas facile, je sais, mais il faut que tu arrêtes. » Il essuya à deux mains la figure du petit, haletant, qui essayait de ravaler ses sanglots. « Regarde-moi, Brisco. Ne regarde pas le reste, regarde-moi. Allez. »