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Certains disposaient de manches de hache ou de colonnes de lit grâce auxquels éliminer les derniers éclats de verre des fenêtres ou briser celles qui avaient résisté. La foule envahissait les bâtiments par les portes défoncées, montait dans les étages, jetait tables et chaises par les fenêtres, détruisait, s’appropriait, se battait. Tout le monde avait manifestement renoncé, à part Big Jim, cramponné à son fusil, qui tirait au-dessus des têtes dès que quelqu’un esquissait un pas en direction de son établissement.

Jusqu’au moment où il changea d’avis. Il appela Evan, qui quitta la réserve avec Brisco.

« Arrivez un peu. »

Le colosse faisait signe aux deux garçons de se poster derrière lui.

Un type au front sanglant jeta un coup d’œil par la porte de la cafétéria. Un coup de feu l’accueillit, il se rejeta en arrière sur le trottoir avec force éclaboussures puis prit ses jambes à son cou.

« J’en ai marre, annonça Big Jim. Je laisse tomber. Le temps de vider le coffre-fort de la réserve, et je me barre. Je vous emmène, si vous n’avez rien de mieux à faire. »

Evan regarda la folie qui se déchaînait dehors puis baissa les yeux vers Brisco.

« Je suis censé attendre leur retour.

— Leur retour d’où ?

— De l’autre côté. Ils sont partis hier, en pleine nuit.

— Nom de Dieu. Ils reviendront peut-être, s’ils ne sont pas en train de flotter quelque part, le ventre en l’air, mais tu vas attendre longtemps ?

— Vingt-quatre heures. »

Big Jim souffla.

« Pas question que je reste vingt-quatre heures. Je n’ai pas assez de munitions.

— J’en ai, à l’étage. Et des armes aussi.

— Je ne serai plus là à la tombée de la nuit. J’ai ma dose. Ça fait un bail que cette ville est prête à se barrer en couille, et ça pourrait bien arriver avant demain. À la grâce de Dieu. »

Evan s’assit sur une chaise, la tête basse. Brisco s’assit à côté de lui. L’adolescent se frotta les yeux, en cherchant à se persuader que Cohen se portait comme un charme et allait revenir les chercher. Enfin, il releva la tête.

« Où vous allez ?

— Je le saurai quand j’y serai, répondit Big Jim avec un haussement d’épaules.

— Et si on part et qu’ils reviennent nous chercher ?

— Il ne leur faudra pas une minute pour s’apercevoir que vous vous êtes barrés. »

Evan baissa à nouveau la tête.

« Eh merde.

— Eh merde, répéta Brisco.

— C’est toi qui vois. » Big Jim tira une fois de plus par la vitrine disparue, juste pour le fun. « Je monte mettre mes pompes, je vide le coffre-fort et je m’en vais. Tu as une minute pour te décider. »

Il tendit son arme à Evan, qui la prit par le canon. Quand le colosse s’engagea d’un pas lourd dans l’escalier, Brisco tendit la main vers le fusil, mais Evan la repoussa.

« Je t’ai déjà dit de ne pas toucher à ce genre de choses.

— Tu le touches bien, toi.

— Moi, c’est différent.

— C’est pas juste », protesta le petit en croisant les bras.

Evan s’adossa lourdement, les yeux rivés au plafond jaunissant. Tu as entièrement raison, se dit-il. C’est pas juste.

Il avait faim. Brisco aussi, forcément. Au moins, ici, il y avait à manger — sa liste des pour et des contre commençait et s’arrêtait là. Il ne savait rien, il n’avait aucun moyen de savoir, mais il fallait qu’il décide. Au beau milieu de la place, dans le vent et la pluie, trois hommes en poursuivaient un quatrième, qui s’était coincé un sac informe sous le bras. Il refusa de le leur donner, même quand ils l’encerclèrent, alors ils se jetèrent sur lui — éclaboussures, hurlements, coups de pied et de poing. Le type finit par s’effondrer, les autres lui arrachèrent son butin, mais ils n’en continuèrent pas moins à le frapper jusqu’à ce qu’il reste parfaitement inerte dans l’eau de plus en plus profonde. Des bandes entraient et sortaient de partout comme des rats affamés.

Evan appuya le fusil au mur et considéra son petit frère. Si seulement Brisco avait pu lui dire quoi faire.

* * *

Un coup de tonnerre tira Cohen du sommeil. Il s’essuya le visage et considéra le paysage noyé. Sans doute avait-il dormi une heure ou deux, mais il n’aurait rien pu affirmer. Quand il toucha l’épaule de Mariposa, puis la secoua légèrement, la jeune fille se réveilla à son tour, s'assit et regarda autour d’elle. Sa perplexité manifeste fut de courte durée, car la situation lui revint rapidement à l’esprit. Elle se frotta les yeux et écarta ses cheveux de son visage.

« Il faut y aller », annonça Cohen.

Il mit le contact, recula prudemment puis exécuta plusieurs manœuvres pour faire demi-tour sans quitter l’étroite chaussée. Au moment où il repartait, Mariposa prit la parole :

« Et l’argent ? »

Il freina. Le pick-up s’arrêta.

« Comment ça, l’argent ? »

Elle renifla puis s’essuya le nez sur sa manche. Sans regarder son compagnon.

« Tu sais très bien ce que je veux dire. »

Cohen mit la camionnette au point mort et retira le pied de la pédale de frein. Il regardait le pare-brise, lui aussi.

« C’est loin ? demanda Mariposa.

— Je ne pense pas, mais je ne connais pas d’autre chemin que ceux qu’on a essayés cette nuit.

— Tu crois que ça va, pour Evan et Brisco ?

— Je ne vois pas comment ça irait », répondit-il en haussant les épaules.

Elle se tortilla sur la banquette puis s’appuya les mains sur les genoux.

« On n’a qu’à faire un dernier essai avant de repartir. Le vent et la pluie se sont un peu calmés.

— Je ne sais pas par où aller. Je ne suis même pas sûr de savoir par où retourner en ville chercher les garçons. »

Cette fois, elle le regarda.

« Je sais. Et je ne sais pas de quoi je parle, mais on aurait dit qu’il y avait une vraie fortune. C’est bien ça ? »

Il hocha la tête puis fit claquer ses lèvres.

« Oui. Une fortune. De quoi voir venir un bon bout de temps.

— Alors ?

— Alors, si on essaie, on risque toujours d’avoir un problème. Et si on a un problème, que deviendront Evan et Brisco ?

— Je sais, répéta Mariposa.

— C’était vraiment l’horreur. Ils avaient raison à la télé. Je n’aurais pas cru que les choses pouvaient empirer, mais ça y ressemblait drôlement. Et je suis prêt à parier que les deux gardes de Charlie n’étaient pas franchement de bonne compagnie.

— Je sais.

— Donc on ne peut plus prendre de risques, d’accord ? »

Elle s’essuya la figure, une fois de plus.

« Oui, tu as raison. »

Ils restèrent un moment silencieux, à attendre chacun de son côté que l’autre dise quelque chose qui l’empêche de penser à l’argent. À ce que leur permettrait l’argent. À l’insouciance qu’il leur procurerait. Mariposa se recoucha, la tête sur la banquette. Tout ce que je veux, c’est que ça s’arrête. La certitude de ne pas continuer à me faire trimballer dans les tempêtes, la crasse, le bordel. Elle qui n’avait presque jamais pensé à l’argent de sa vie, elle le voyait maintenant devant elle, il lui criait qu’elle avait besoin de lui, et ces cris noyaient la voix d’Evan et de Brisco.