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L’horloge ronde accrochée au mur derrière le comptoir lui apprit qu’elle avait encore dix minutes d’attente, en admettant que le bus soit à l’heure — événement dont nul ne connaissait la probabilité.

Elle ôta la veste du sac, qu’elle ouvrit pour en tirer un papier plié. Les villes où elle s’était rendue y figuraient — Huntsville, Birmingham, Roswell, Augusta, Athens —, plus treize autres, accompagnées de l’adresse des foyers correspondants. C’était la première fois qu’elle partait à l’est, puisqu’elle allait à Winston-Salem. Les centres d’accueil de sa liste abritaient des milliers de gens, de l’Alabama à la Caroline du Nord, jusqu’au Kentucky et en Virginie. Il y en avait aussi de l’autre côté des Zones inondées, au Texas et en Arkansas, mais ceux-là attendraient. Avec de la chance, elle n’aurait pas à traverser. La plupart des réfugiés n’avaient toujours pas d’autre toit que celui des foyers, installés au départ dans les gymnases des lycées ou les dépôts d’armes de la garde nationale. Les enfants y étaient scolarisés, on y suivait des formations professionnelles, le courrier y parvenait. Mariposa avait la ferme intention de passer par tous ceux de sa liste, jusqu’au jour où elle tomberait sur un de ses proches. Elle avait quelque part une mère, des tantes et des cousins ; elle était bien décidée à les trouver.

Son regard se posa sur Evan et Brisco, derrière les portes de verre. Elle pensait à l’endroit où ils avaient enterré Cohen, au bord de la route, dans le nord-est du Mississippi, après avoir roulé près de trois heures avec son corps appuyé à la portière, parce que aucun d’eux ne voulait le laisser s’en aller. La pluie se calmait au fur et à mesure de leur progression vers le nord. Ils avaient fini par quitter le grand axe pour emprunter une route secondaire, où ne brillait aucune lumière, puis ils s’étaient engagés dans un pré.

Evan avait déniché au fond de la remorque une pelle dont il s’était servi pour creuser la tombe, pendant que Mariposa restait assise dans l’herbe, le corps en travers des genoux. Brisco regardait, étrangement silencieux. La tâche terminée, ils avaient couché Cohen dans le trou avec douceur, à la lumière des phares, puis ils étaient restés plantés là sans mot dire, tous les trois, jusqu’à ce que Mariposa tourne les talons et s’éloigne. Les deux garçons avaient alors recouvert le cadavre de terre. Quand Evan avait cherché la jeune fille des yeux, il s’était aperçu qu’elle avait disparu dans la nuit. Il l’avait laissée tranquille et s’était assis avec Brisco sur le hayon, où ils avaient discuté, glacés par un vent qui ne ressemblait pourtant pas au vent glacé de sous la Limite. Elle pleurait dans l’obscurité. Brisco avait demandé si c’était elle qu’on entendait, et Evan avait répondu que non, ce n’était que le vent.

Une heure plus tard, elle était sortie de l’ombre et ils avaient repris la route.

Ils avaient roulé plein est jusqu’à midi et atterri à Asheville, dans un foyer occupant un ancien grand magasin. Quand ils étaient descendus du pick-up, un groupe de femmes fumait devant les portes principales. Ils étaient sales, épuisés, maigres et affamés. Ils sortaient d’une camionnette bosselée, trouée par les balles. Ils arboraient des vêtements sanglants. Leur démarche hésitante trahissait la fatigue. À leur vue, une des femmes avait lâché sa cigarette. Une autre avait dit : Mais qu’est-ce que c’est que ça, nom de Dieu.

Mariposa replia le papier où s’étalait la liste des villes et le rangea dans son sac.

Elle posa les mains sur son ventre dans l’espoir de prendre un coup de pied. Ces petits coups faisaient passer le temps et lui maintenaient le moral. Elle appuya un peu pour voir si ça allait les déclencher, et elle fit bien, car il y en eut quelques-uns. Alors elle lui parla, en attendant qu’il se calme.

L’employée assise au comptoir raccrocha et annonça à la cantonade que le car allait arriver d’une seconde à l’autre — incroyable, mais vrai.

Au moment où Mariposa se leva, le bébé redonna un coup de pied qui lui fit lâcher un Oooh prolongé. Les yeux écarquillés, elle se posa les mains sur les flancs.

« Du calme, petit mec. »

Elle inspira profondément, avant de sortir par les portes de verre. Evan et Brisco se disputaient au sujet des scores atteints dans le jeu quelconque qu’ils avaient mis au point.

Un autre coup de pied. Mariposa pensa à Cohen et au rêve qu’elle avait fait à Ellisville, celui où il s’en allait pour ne plus jamais revenir. Il lui avait affirmé que ça n’arriverait pas. Je ne te quitterai pas, mais il faut me promettre que tu ne me quitteras pas.

Il ne restait à la jeune femme que ce rêve sur lequel se concentrer, car elle ne rêvait plus, les nuits du subconscient oblitérées par l’insomnie : couchée sur le dos, les yeux rivés aux poutres de métal apparentes du plafond, elle cherchait à trier le réel de l’irréel. Son évocation de la vie de Cohen reposait sur ce qui en restait — lettres, babioles, souvenirs — et sur ce qu’il en disait quand il était obligé d’en parler, mais la présence puissante de l’homme réel avait consumé l’illusion forgée par l’imaginaire. Elle avait discuté avec l’homme réel, elle avait couché et saigné avec lui, mais elle se demandait à quel point il s’était approché d’elle. Était-il venu jusqu’à elle ?

Elle ne pouvait l’affirmer.

Mariposa se cambra dans la brise. Prête à prendre le car, à repartir à la recherche des siens. Les yeux levés vers le ciel passif, elle croisa les bras sur son ventre, partagée entre deuil et espoir.

REMERCIEMENTS

J’aimerais remercier mes amis Andrew Kelly et Steven Woods, pour les commentaires et les encouragements qu’ils m’ont prodigués pendant les premières étapes de la rédaction de ce livre. Je remercie aussi Kendall Dunkelberg et Bridget Smith Pieschel, qui m’ont soutenu en tant que voisins. La Mississippi Arts Commission et l’Alabama Arts Council ont droit à toute ma reconnaissance, car leur aide a été essentielle dans le développement de mes projets artistiques. Tous mes remerciements à Nicki Kennedy, Sam Edenborough et toute l’équipe de l’Intercontinental Literary Agency pour leur enthousiasme, ainsi qu’à Stefanie Broesigke, de Heyne Publishing, pour être montée aussi vite à bord. Je remercie également Matthew Snyder, de la Creative Artists Agency, dont la vision et le travail m’ont impressionné. Merci à Edward Graham, de la Steinberg Agency, qui m’a prêté son œil d’aigle irremplaçable pendant la révision du manuscrit. Peter Steinberg, mon agent, possède — entre autres incommensurables qualités — une vision créative et une grande capacité d’inspiration. Merci, Peter. Mille mercis encore à Sarah Knight, ma directrice de collection chez Simon & Schuster, qui m’a aidé à mener mon manuscrit à son plus haut niveau, avant de le montrer fièrement à la ronde. En fait, je dois aussi mes remerciements à Molly Lindley, Michael Accordino et toute l’équipe de Simon & Schuster. Et toute ma reconnaissance à mes belles aux yeux bleus du Mississippi pour chaque jour avec elles. Enfin, je m’incline devant Sabrea, qui a volé à mon secours plus souvent que je ne saurais le dire.