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En attendant, j’allais m’offrir une bagarre carabinée avec Miles et Belle. Je ne gagnerais peut-être pas la partie, mais ils sauraient qu’ils avaient été pris dans une tornade, comme le jour où Pete était entré couvert de plaies et pourtant tête haute, ayant l’air de dire : « Tu devrais voir l’autre matou ! » Je n’attendais pas de résultats vraiment positifs de la rencontre de ce soir. Tout ce qui pouvait en sortir serait une déclaration de guerre en bonne et due forme. Je prévoyais que je gâcherais le sommeil de Miles… il pourrait alors appeler Belle et lui gâcher le sien.

3

J’arrivai chez Miles en sifflant gaiement. J’avais cessé de me tracasser au sujet de cette précieuse paire d’amis. Pendant les derniers kilomètres du trajet, il m’était venu l’idée de deux nouveaux appareils, dont chacun pouvait me rapporter une fortune. L’un était une machine à dessin fonctionnant comme une machine à écrire électrique. Rien qu’aux U.S.A., je supposais qu’il devait y avoir au moins 50 000 ingénieurs penchés quotidiennement sur des planches à dessin, et maudissant cet instrument qui vous brise les reins et vous abîme la vue. Non qu’ils n’aient pas le goût de dessiner, ils en avaient même envie, mais physiquement, c’est trop dur.

Mon intervention leur permettrait de rester assis dans un fauteuil confortable et de taper sur des touches tout en voyant apparaître un dessin sur le tableau surmontant le clavier. Abaisser simultanément trois touches pour faire apparaître une ligne horizontale exactement à l’endroit souhaité ; appuyer sur une autre touche et une verticale se traçait ; appuyer successivement sur deux clefs et deux autres, et c’était une ligne oblique à la pente donnée[2].

Et même, nom d’une pipe, pour un modeste supplément, je pouvais ajouter un deuxième tableau qui permettrait aux architectes de dessiner isométriquement, en faisait apparaître une seconde image indiquant les perspectives, sans avoir à s’en occuper. Il y avait encore moyen de régler l’instrument afin qu’il établît aussitôt les surfaces planes et les élévations à partir de cette seconde figure.

La beauté de la chose était qu’on la fabriquerait avec des éléments standards dont la plupart se trouveraient aisément dans des boutiques de radio ou d’appareils photographiques, à l’exclusion du clavier de contrôle. Pour ce dernier, j’étais persuadé qu’en me servant d’une machine à écrire électrique, en lui arrachant les tripes et en branchant ses touches sur d’autres circuits, je parviendrais au résultat voulu. Il me faudrait un mois de travail pour établir l’original, six semaines pour détecter les défauts imprévus…

Cette idée-là, je l’enfouis au fond de ma mémoire avec la certitude que je la réaliserais et qu’elle se vendrait bien.

Mais la véritable raison de ma bonne humeur était que j’avais trouvé le moyen de surclasser le Robot-à-tout-faire. J’en connaissais plus sur son compte que personne n’en saurait jamais, même en l’étudiant une année entière. Ce que les autres ne pouvaient savoir, ce que l’étude même de mes plans ne permettait pas de deviner, c’était qu’il y avait au moins une autre solution pour chaque choix que j’avais fait, chacun de ceux-ci ayant été établi en fonction d’un appareil considéré toujours comme un domestique modèle. Tout d’abord, je pouvais supprimer la contrainte consistant à le faire vivre dans un fauteuil roulant électrique. A partir de là, je pouvais entreprendre n’importe quoi, à ceci près qu’il me faudrait toujours employer les tubes mnémoniques Thorsen (Miles ne pourrait m’empêcher de les utiliser, puisqu’ils étaient accessibles sur le marché à n’importe quelle personne démangée par la cybernétique).

La machine à dessiner pouvait attendre. J’allais me mettre d’abord au travail sur l’automate complet, capable d’accomplir tout ce qu’un homme est en mesure de faire, dans les limites où il peut se passer d’un jugement humain.

Et puis non, j’établirais d’abord une machine à dessiner, et je m’en servirais pour dessiner le Robot Universel.

Ce serait un chef-d’œuvre, un champion qui surclasserait mon prétendu Robot-à-tout-faire avant même que ce dernier soit mis en fabrication… Avec un peu de veine, je les ruinerais et ils viendraient me supplier de les reprendre avec moi. Ah ! ils avaient voulu tuer la poule aux œufs d’or !

La maison de Miles était éclairée et son automobile était dans l’allée. Je parquai ma voiture devant la sienne en disant à Pete, qui était assis à côté de moi :

— Tu vas rester ici et protéger la voiture, mon gars. S’il y a danger, tu pousses trois cris et tu te lances dans un combat à mort.

— Rrrnon !

— Si je t’emmène à l’intérieur, tu seras obligé de rester dans le sac.

— Pfff !

— Cesse de discuter ! Si tu tiens à m’accompagner, entre dans le sac.

D’un bond, Pete s’y fourra.

Miles m’ouvrit la porte. Aucun des deux ne tendit la main à l’autre. Il me fit entrer dans le living-room et désigna une chaise.

Belle était là. Je ne m’attendais pas à la rencontrer mais je suppose que sa présence était à prévoir. Je lui lançai un coup d’œil et grimaçai un sourire.

— Quelle surprise de te trouver ici ! Ne dis pas que tu es revenue de Mojave rien que pour le plaisir de me parler ? (Oh ! je suis un véritable boute-en-train, quand je commence à me déchaîner ! Il faut me voir dans les surprises-parties m’affubler de chapeaux de femme !)

Belle fronça les sourcils.

— N’essaie pas d’être drôle, Dan. Dis ce que tu as à dire, et va-t’en.

— Ne me bousculez pas. Je trouve cette réunion on ne peut plus charmante. Mon ex-associé… mon ex-fiancée… Tout ce qui nous manque est notre ex-affaire.

— Voyons, Dan, laisse tomber cette attitude, dit Miles d’un ton supérieur. Nous avons agi pour ton bien. Et tu peux reprendre ton travail quand il te plaira. Je serai ravi que tu reviennes.

— Pour mon bien, vraiment ? Ça me rappelle ce qu’on dit au voleur en le pendant. Quant à revenir… Qu’en penses-tu, Belle ? Est-ce que je dois revenir ?

Elle se mordit la lèvre.

— Si Miles est de cet avis, bien entendu.

— Et dire qu’hier seulement c’était : « Si Dan est de cet avis, bien entendu »… Mais voilà, tout change, n’est-ce pas ? Telle est la vie ! Et je ne reviens pas, les enfants, cessez de vous tracasser. Je ne suis venu ici ce soir que pour découvrir quelque chose.

Miles lança un coup d’œil à Belle.

— C’est-à-dire ? répliqua-t-elle.

— D’abord, lequel de vous deux a monté le coup ? Ou l’avez-vous fait à deux ?

— Voilà une vilaine façon de s’exprimer, dit lentement Miles. Je n’aime pas ça.

— Allons, allons, ne faites pas la petite bouche. Si l’expression est vilaine, l’acte l’est dix fois plus. J’entends le faux contrat, les faux qui vous livrent les droits de mes inventions. Cela relève des lois fédérales, Miles. Je crois qu’en haut lieu, on jette un coup d’œil tous les quinze jours sur la marche de notre affaire. Je n’en suis pas certain, mais sans doute le FBI me renseignera-t-il. Demain, ajoutai-je en le voyant réagir.

— Tu ne vas pas faire la sottise de soulever des difficultés, Dan ?

— Des difficultés ? Je vais en soulever tant et plus, devant les tribunaux civils et criminels. Vous allez être occupés au delà du possible. A moins que vous ne donniez votre accord sur un point. Mais j’ai oublié de mentionner votre troisième peccadille : le vol de mes notes et de mes dessins concernant le Robot-à-tout-faire, ainsi que du prototype lui-même.

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2

Rendons hommage à l’imagination de Heinlein. L’invention qu’il décrit ici, dans un roman de 1956, vient d’être effectivement mise au point il y a quelques mois aux U.S.A. ! Il s’agit du robotrast, table à dessiner électronique automatique, réalisée sous forme de prototype par la société Parker.