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Je voyais, j’entendais, mais sans pouvoir y prendre intérêt. Au point culminant, je gardai un silence passif.

Je m’en souviens à présent, et ressens les émotions non éprouvées alors. Mais ce n’est pas la même chose ; je suis à jamais lésé, comme celui qu’on a drogué pendant son voyage de noces.

Les chutes et les imprécations cessèrent subitement, et Miles et Belle reparurent dans le living-room.

— Qui a laissé la porte coulissante déverrouillée ? demanda Belle.

— Toi-même. Et ne nous casse plus les pieds avec tes histoires. Ça suffit comme ça.

Miles avait du sang sur le visage et sur les mains ; il tamponnait, sans soulagement apparent, ses profondes égratignures. Il avait dû tomber, cela se voyait à ses vêtements, et sa veste était fendue dans le dos.

— Du diable si je me tais ! Y a-t-il un fusil dans la maison ?

— Hein ?

— Je vais tuer ce sale chat.

L’état de Belle était encore plus lamentable que celui de Miles, sa peau étant moins protégée. Ses bras, ses jambes, ses épaules… On pouvait être certain qu’il se passerait un temps assez long avant qu’on la vît s’aventurer en robe décolletée ; et à moins de soins très rapides, elle allait garder des cicatrices. Elle avait l’air d’une harpie sortant d’une bagarre avec ses sœurs.

— Assieds-toi ! dit Miles.

— Je vais tuer ce chat, insista-t-elle.

— Eh bien, ne t’assieds pas, va te laver ! Je vais te panser et tu en feras autant pour moi. Je t’en prie, oublie ce chat. Nous nous en sommes débarrassés.

Belle eut une réponse que je ne saisis pas, mais Miles avait compris, puisqu’il répondait.

— Tu en es une aussi ! Écoute, Belle, même si j’avais un fusil – je ne dis pas que ce soit le cas – et que tu te mettes à tirer, que tu touches ou non cette bête, nous aurions la police sur notre dos en quelques minutes… Avec celui-là chez nous ? Et si tu sors de la maison sans arme, il est probable que cette bête serait capable de te tuer ! (Il poussa un grognement de colère :) Il devrait y avoir une loi contre les propriétaires d’animaux de ce genre. C’est un vrai danger public… Écoute-le !

On entendait Pete tourner autour de la maison. A présent il ne hurlait plus, il lançait de temps en temps son cri de guerre invitant les deux autres à sortir. Seuls ou ensemble, armés ou non. Belle écouta et frémit.

— Ne te tracasse pas, murmura Miles, il ne peut pas entrer. J’ai non seulement fermé la porte coulissante que tu avais laissée ouverte, mais j’ai verrouillé la porte d’entrée.

Miles vérifia les fermetures des fenêtres. Puis Belle quitta la pièce et il la suivit. Quelque temps après leur départ, Pete se tut. Je ne sais combien de temps ils demeurèrent absents, le temps ne signifiant rien pour moi.

Belle revint la première. Son maquillage et sa coiffure étaient impeccables. Elle portait une robe à manches longues et à encolure montante. Elle avait remplacé ses bas déchiquetés. A l’exception de quelques petites bandes de sparadrap sur son visage, elle ne gardait nulle trace de la bataille. Sans cette expression dure sur son masque, et en d’autres circonstances, je me serais délecté à la contempler.

Elle se dirigea vers moi et m’ordonna de me lever. J’obéis. D’une main experte, elle me fouilla sans oublier la poche gousset, les poches de chemise, et une poche en diagonale à gauche dans la doublure de la veste. Ses trouvailles ne furent pas brillantes. Mon portefeuille et un peu d’argent, mes papiers d’identité, mon permis de conduire, diverses clefs, un peu de monnaie, un petit inhalateur et le bric-à-brac qu’on trouve dans toute poche masculine. Elle trouva également le chèque barré qu’elle m’avait expédié elle-même. Elle le retourna, lut l’endossement que j’y avais fait et eut l’air étonnée.

— Qu’est-ce que c’est que ça, Dan ? Tu contractes des assurances ?

— Non.

J’aurais été disposé à lui en dire davantage, mais répondre à la dernière question posée était tout ce dont j’étais capable.

Elle fronça les sourcils et posa le chèque auprès de mes autres affaires. A ce moment-là, elle vit le sac de Pete et se souvint probablement de la poche intérieure. Elle le ramassa et l’ouvrit.

Immédiatement, elle découvrit les duplicata des formulaires que j’avais signés pour laMutual Assurance Co. Elle s’assit et se mit à les lire. Je demeurai là où elle m’avait laissé, tel un mannequin de vitrine attendant d’être rangé.

Bientôt Miles fit son entrée, en pantoufles, vêtu d’un peignoir de bain et d’une respectable quantité de gaze maintenue par du sparadrap. Il avait l’air d’un poids moyen de quatrième catégorie dont le manager a accepté un match où son poulain est voué à la « pile ». Sur son crâne chauve, il portait un pansement circulaire. Pete l’avait probablement atteint pendant sa chute.

Belle leva les yeux et lui fit signe de se taire en indiquant la liasse de papiers qu’elle parcourait. Il s’installa et se mit à lire. Il l’eut vite rattrapée et termina sa lecture par-dessus son épaule.

— Ça change tout, dit-elle enfin.

— Pire que ça ! Cet engagement est pour le 4 décembre, c’est-à-dire demain. Ce type est aussi brûlant que le désert de Mojave à midi. Il faut nous en débarrasser ! (Il jeta un coup d’œil à la pendule :) Ils vont le faire rechercher dès demain matin.

— Décidément tu trembles à la moindre alerte ! Au contraire, c’est une veine ! Oui, c’est le meilleur coup de veine que nous puissions espérer.

— Explique-toi, je ne comprends pas.

— La drogue des zombis, malgré ses qualités, a ses limites. Suppose que tu endormes quelqu’un à l’aide de cette drogue et que tu lui imposes ce qu’il doit faire. Bon. Il s’exécute. Mais que sais-tu de l’hypnotisme ?

— Pas grand-chose.

— Connais-tu quelque chose en dehors de la loi, mon pauvre chou ? Tu n’as vraiment aucune curiosité. Un commandement post-hypnotique (c’est à cela que ceci correspond) peut entrer et entre pour ainsi dire toujours en contradiction avec les envies réelles du sujet. Cela peut éventuellement le mener aux mains des psychiatres. S’il a affaire à un bon psychiatre, il y a de fortes chances pour que celui-ci découvre le pot aux roses. Il y a donc une possibilité que Dan aille chez un psychiatre et se trouve délivré des ordres que je lui aurai transmis. Si cela se produisait, il ne manquerait pas de nous causer de graves ennuis.

— Mais bon sang ! Tu m’as affirmé que cette drogue était tout à fait sûre !

— Voyons, mon vieux, il faut prendre des risques dans la vie. C’est cela qui la rend amusante ! Voyons, laisse-moi réfléchir. (Au bout d’un moment, elle enchaîna :) La chose la plus sûre est de le laisser mettre à exécution son projet de Long Sommeil. Il ne nous dérangera pas plus que s’il était mort. Et nous ne courrons ainsi aucun risque. Au lieu de lui donner toute une série de commandements compliqués et de nous tracasser à espérer qu’il ne les rejettera pas, tout ce que nous aurons à faire sera de lui ordonner de poursuivre son idée de Long Sommeil, de le ramener à lui et de le faire sortir d’ici. Ou plutôt, de le faire sortir d’ici et de le ramener à lui ensuite.

Elle se tourna vers moi.

— Dan, allez-vous faire une cure de Long Sommeil ?

— Non.

— Comment ? Que signifie alors tout cela ?

Elle désigna les paperasses qu’elle avait sorties du sac.

— Ce sont des papiers pour le Long Sommeil. Des contrats avec la Mutual Assurance Co.

— Il est devenu idiot, dit Miles.

— Bien sûr, qu’il est idiot ! J’oublie toujours qu’on ne peut pas penser quand on est sous l’effet de la drogue. On entend, on peut parler et répondre à des questions posées. Encore faut-il que ce soient les bonnes questions. Il est incapable de penser.