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Mon robot à moi n’avait pas été réglé pour répondre à la voix humaine : on devait actionner divers boutons sur sa planche de contrôle. Ce n’était pas faute d’y avoir songé, mais les appareils pour la réalisation de ce projet eussent pesé trop lourd, occupé trop de place et coûté plus cher que tout l’ensemble du robot. Je devrais me mettre au courant des progrès, avant de songer à reprendre du travail comme ingénieur. Et j’avais hâte de m’y mettre, car je me rendais compte que ce serait plus amusant que jamais avec toutes les nouvelles possibilités…

Je rendis sa liste d’instructions à l’« infirmier » et sortis de mon lit pour examiner sa plaque de références. Je m’étais presque attendu à y trouver gravé le nom de Robot Maison S.A. Je me demandais si Aladin était une filiale du groupe Mannix ? Les références du Robot U 1 ne m’apprirent que son numéro de série, le nom de l’usine, etc., mais il y avait aussi toute une liste de numéros de brevets dont le premier, qui m’intéressa tout particulièrement, datait de 1970 ! L’automate était donc certainement né de mes dessins et de mon prototype.

Sur la table, je trouvai un crayon et un bloc de papier sur lequel je notai le numéro du premier brevet. Mais l’intérêt que je lui portais n’était que pure curiosité. Même si l’on m’avait volé – et j’en avais la certitude –, mes brevets expiraient en 1987 (à moins qu’on n’eût fait de nouvelles lois). Seuls ceux qui avaient été déposés après 1983 seraient encore valides. Mais je voulais savoir !

Une lumière s’alluma sur l’automate et il annonça :

— On m’appelle. Puis-je partir ?

— Hein ? Bien sûr. Circulez !

Comme je m’aperçus qu’il allait produire de nouveau sa liste de recommandations, je lui lançai un « sortez » sonore.

— Merci. Au revoir, répondit-il.

— C’est moi qui vous remercie.

— Il n’y a pas de quoi.

La personne dont on avait enregistré la voix pour la bande sonore avait un timbre de baryton bien agréable.

Je me remis au lit afin d’absorber mon petit déjeuner que j’avais laissé refroidir – mais il se trouva… qu’il n’était pas froid ! Le petit déjeuner moins 4 devait avoir été établi pour un oiseau de taille moyenne. Pourtant, il suffit à satisfaire mon appétit dévorant. Je suppose que mon estomac s’était rétréci. Ce n’est qu’en terminant que je songeai que je venais de manger pour la première fois depuis trente ans. Cette remarque me fut inspirée par le menu posé près de mon assiette. J’y lus que ce que j’avais pris pour du bacon figurait sous le nom de « Languettes de levure grillées à la mode campagnarde »…

Malgré mon jeûne de trente ans, la nourriture ne m’intéressait pas ; on m’avait apporté un journal en même temps que le déjeuner : The Great Los Angeles Times, 13 décembre 2000.

Les journaux n’avaient guère changé, au moins quant au format. Le papier n’était pas le papier mat auquel j’étais habitué, mais du papier glacé. Les photos, en noir et blanc ou en couleurs, étaient en relief. Elles ne laissèrent pas de m’intriguer : en effet, dès mon enfance, existaient des photos en relief ne nécessitant pas de lunettes spéciales (je me souviens qu’en 1950, tout gamin, j’étais fasciné par les publicités de nourritures congelées), mais l’image était quand même vue à travers une grille de prismes en matière plastique assez épaisse. Ici, elle avait de la profondeur bien qu’imprimée sur du papier mince.

J’abandonnai ce problème pour examiner le journal. Mon « infirmier » l’avait posé sur un support à même la table et il se passa un moment pendant lequel je crus que je ne dépasserais jamais la première page. Je ne parvenais pas à la tourner… Elles semblaient toutes collées.

Finalement, je touchai tout à fait fortuitement le coin droit inférieur de la première page, et elle se roula sur elle-même. Un phénomène de tension se déclenchait à cet endroit-là. Les feuilles suivantes se séparèrent de la même façon dès que je touchai le point sensible.

Une bonne moitié du contenu m’était si familier que je faillis en être ému… L’horoscope quotidien, le discours du maire, les menaces que faisaient courir à la liberté de la presse les restrictions imposées par la sécurité, l’hiver trop doux qui risquait de gâcher les sports d’hiver, l’avertissement du Pakistan à l’Inde, etc. On se serait cru trente ans en arrière !

D’autres articles avaient un caractère plus nouveau mais se comprenaient facilement même :

La navette pour la Lune toujours en panne à cause des Géméides. Deux fuites d’air en vingt-quatre heures. Pas de victimes.

Lynchage de quatre Blancs au Cap. Plainte aux Nations unies.

Un planteur du Mississippi sous le coup de la loi antizombi. Sa défense : Mes employés ne sont pas drogués, mais simplement idiots.

Ce dernier titre, je le comprenais… par expérience ! Je me rappelais l’effet de la drogue zombi que Belle et Miles avaient employée sur moi.

Certaines des nouvelles ne me disaient rien du tout. Les « Wogglies » continuaient à se propager, et l’on avait encore évacué trois villes en France. Quelle était cette poudre sanitaire que l’on préparait contre les « Wogglies » ? Et qu’étaient ceux-ci ? Des mutants radioactifs ?

La police de la région de Laguna Beach avait été équipée de « Leycoils », et le chef de division avertissait les « Teddies » d’avoir à quitter la ville. « Mes hommes ont ordre de narker à vue et de subspecker ensuite. Il faut que ces agissements prennent fin…»

Je pris note de ne pas m’aventurer dans cette région sans m’être informé des tenants et aboutissants…

Voilà de simples échantillons. Il y avait toute une série de nouvelles qui commençaient de façon compréhensible pour se terminer en formules auxquelles je ne comprenais pas un traître mot.

Je passai rapidement sur les statistiques de mortalité, quand mon regard fut accroché par une nouvelle série de vieilles connaissances : annonces de naissances, de morts, de mariages et de divorces. Mais il s’y ajoutait des « prises en charge » et des « retraits » suivis de noms de sanctuaires du Long Sommeil. Je consultai la liste de Sawtelle, et j’y découvris mon nom. Cela me donna l’agréable impression d’exister.

La chose la plus extraordinairement intéressante était les petites annonces. Une de celles de la colonne Privé me frappa au plus haut point : « Veuve attrayante encore jeune ayant un penchant pour les voyages désire rencontrer homme mûr de goûts similaires. Raison : contrat de mariage de deux ans. »

La publicité fit battre mon cœur.

Partout, le Robot Maison, avec ses frères, cousins et enfants. Et l’on se servait encore du label initial (un type costaud muni d’un balai) que j’avais moi-même dessiné pour notre papier à lettres. J’eus une pointe de regret en me rappelant la précipitation avec laquelle je m’étais démuni de mon lot d’actions. Elles avaient plus de valeur à elles seules que tout ce qui restait dans mon portefeuille. Mais non, si je n’avais pas agi comme je l’avais fait, cette paire de voleurs s’en seraient emparés. Ricky avait donc bénéficié de mon avoir, qui l’avait enrichie. C’était parfait.

Je pris note d’avoir à retrouver Ricky. Ce serait ma toute première occupation. Elle était tout ce qui restait du monde que j’avais connu et tenait une large place dans mes pensées. Chère petite Ricky ! Si elle avait eu dix ans de plus, je n’aurais jamais posé les yeux sur Belle… et je ne me serais pas brûlé les doigts !