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— Grand Dieu du Ciel fils ! Vous ne voudriez pas qu’ils mettent leurs meilleures équipes à la fabrication des surplus, non ? Ces voitures ont des prêts anti-inflationnistes contre elles avant de sortir des ateliers d’assemblage.

Je me tus encore et demeurai muet par la suite. Mieux valait me concentrer sur les travaux d’ingénieur. L’économie était pour moi un domaine trop ésotérique !

J’avais beaucoup de temps pour réfléchir. Mon emploi n’était pas vraiment pour moi un « travail » en tant que tel. Tous les travaux étaient en fait accomplis par les multiples petits-enfants de mon Robot-à-tout-faire. Ils maniaient les mâchoires, mettaient les voitures en place, enlevaient la ferraille, tenaient les comptes et pesaient les lots. Mon boulot consistait à me tenir sur une petite plate-forme (debout : je n’avais pas le droit de m’asseoir) et à me suspendre à une manette permettant d’arrêter toute la manœuvre si quelque chose allait de travers. Rien n’allait jamais de travers. Néanmoins, j’appris rapidement que j’étais censé découvrir au moins une erreur à chaque changement d’équipes d’automates. Il fallait stopper tout le travail et envoyer chercher l’équipe de dépannage.

Cela me valait 21 dollars par jour, et me nourrissait. La priorité des priorités.

Après la sécurité sociale, la cotisation corporative, les impôts sur le revenu, pour la défense nationale, pour le plan de Santé et pour le bien-être général, il me restait environ 16 dollars.

Mr Doughty avait tort de dire qu’un dîner coûtait 10 dollars. On avait, pour le tiers de ce prix, un bon repas, d’un seul plat, si l’on ne tenait pas spécialement à l’authenticité de la viande, et je défiais n’importe qui de découvrir si un hamburger avait commencé son existence dans un réservoir ou au grand air.

Étant donné les histoires qui circulaient sur la viande de contrebande, susceptible de causer des empoisonnements par radiations, je me trouvais parfaitement heureux avec les ersatz.

La recherche d’un logis s’était révélée ardue. Depuis que Los Angeles avait échappé au plan de salubrité éclair concernant les taudis, un nombre ahurissant de réfugiés s’y étaient concentrés. Je suppose que je devais être du nombre, bien qu’à l’époque je ne me sois pas considéré comme en faisant partie. Apparemment, nul d’entre eux n’avait jamais fait demi-tour, même lorsqu’il lui restait ailleurs un chez-soi où il aurait pu retourner. La ville, si l’on peut employer ce mot pour Los Angeles, sur le point d’étouffer à l’époque de ma mise en Sommeil, était à présent aussi bourrée qu’un sac de dame. Ç’avait peut-être été une erreur d’en chasser le « smog » vers 1960, date jusqu’à laquelle un certain nombre de personnes quittaient chaque année la ville pour cause de sinusite.

Personne à présent, semblait-il, ne s’en allait… jamais.

Le jour où j’avais quitté le sanctuaire, j’avais plusieurs choses en tête. Notamment, dans l’ordre : 1) trouver un job, 2) trouver un logis, 3) me remettre dans le coup en tant qu’ingénieur, 4) retrouver Ricky, 5) redevenir ingénieur à mon compte si la chose était humainement possible, 6) retrouver Belle et Miles et leur régler leur compte – sans pour autant atterrir en prison, 7) faire des tas de choses, comme de rechercher le numéro du brevet original des actuels robots, pour vérifier s’ils étaient bien les descendants du mien, cela par simple curiosité, et aussi retracer l’histoire véridique de Robot Maison S.A.

J’avais établi ma liste selon la règle des priorités, ayant découvert, bien des années auparavant, lorsque j’avais failli échouer en première année à l’école d’ingénieurs, que si l’on n’agissait pas ainsi, on restait en carafe au lieu de foncer le moment venu. Il était toutefois évident que certains de ces projets s’accompliraient simultanément, la recherche de Ricky et celle de Belle et compagnie, par exemple, ceci n’entraînant pas pour autant l’arrêt de mes études d’ingénieur. L’essentiel d’abord. Le détail viendrait en son temps. La découverte d’un boulot devait obligatoirement venir en tout premier lieu, avant même celle d’un logis, puisque l’argent est la clef de tout…

Après être tombé sur un bec en dix endroits différents, je m’étais rendu en dehors de la ville à une adresse donnée par voie d’annonce, pour y arriver dix minutes trop tard. J’aurais dû me caser aussitôt, tant bien que mal, dans un quelconque hôtel borgne, au lieu de quoi je fis le malin et retournai en ville avec l’intention de dénicher une chambre, de me lever à l’aube et d’être le premier lecteur des annonces à la sortie des journaux du matin.

Comment aurais-je pu savoir ? Je m’inscrivis dans quatre pensions (il y avait des listes d’attente partout), et aboutis dans un parc public. Je restai là à marcher pour me tenir chaud jusqu’à ce qu’il fût près de minuit ; je dus alors abandonner le parc – les hivers de Los Angeles ne sont tropicaux que pour ceux qui ont un toit sur la tête. J’échouai à la station Wilshire Ways… et vers 2 heures du matin on m’y ramassa en compagnie des autres clochards venus s’y réfugier.

Les prisons avaient été améliorées. Celle où j’atterris était bien chauffée et j’ai l’impression qu’on devait exiger des cafards qu’ils s’essuient les pieds avant d’entrer.

Je fus accusé de vagabondage. Le juge était un homme jeune qui ne leva même pas les yeux de son journal, se contentant de demander :

— Tous des casiers vierges ?

— Oui, monsieur le juge.

— Trente jours ou dans un bureau de placement. Au suivant.

On commençait à nous faire sortir, mais je ne bougeai pas.

— Une minute, s’il vous plaît, monsieur le juge.

— Quoi ? Que se passe-t-il ? Êtes-vous coupable ou non-coupable ?

— C’est-à-dire que je n’en sais rien, car je ne sais pas ce que j’ai fait. Vous comprenez…

— Voulez-vous un avocat ? Si oui, l’on vous remettra en prison jusqu’à ce que nous puissions nous occuper de votre cas. On me dit qu’il faut compter un retard de six jours en ce moment… mais c’est votre droit.

— Heu… je ne sais pas. Peut-être vaut-il mieux que je prenne l’engagement en question, bien que je ne sache pas exactement ce que cela signifie. Ce que je voudrais, c’est demander un conseil, si la cour y consent.

Le juge se tourna vers le garde :

— Faites sortir les autres. (Et revenant à moi :) Expliquez-vous. Mais je vous préviens que vous regretterez ce conseil. Il y a assez longtemps que je suis à ce poste pour avoir entendu toutes les fausses déclarations possibles, et elles provoquent chez moi un réel dégoût.

— Bien, monsieur le juge. Mon histoire n’est pas fausse, elle peut facilement être vérifiée. Hier, je suis sorti d’une cure de Long Sommeil, et…

Il prit l’air dégoûté.

— Encore un ! Je me suis souvent demandé ce qui permettait à nos grands-parents de se décharger sur nous de leurs mauvais sujets. La dernière chose au monde dont cette ville ait besoin est un supplément de citoyens, a fortiori ceux qui se sont trouvés incapables de se débrouiller en leur temps. Je regrette de ne pouvoir vous réexpédier à l’année d’où vous venez, avec un message pour prévenir les gens que l’avenir dont ils rêvent n’est pas un chemin de roses. (Il poussa un profond soupir :) Mais cela ne servirait de rien. Bon. Qu’attendez-vous de moi ? Que je vous laisse une deuxième chance ? Pour vous voir revenir d’ici à une huitaine ?

— Je ne pense pas qu’il y ait une chance de cet ordre, monsieur le juge. J’ai suffisamment d’argent pour attendre de trouver du travail, et…