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— Comment ? Vous avez de l’argent ? Dans ce cas comment se fait-il que vous ayez été pris en train de baraquer ?

— Monsieur le juge, permettez… Je ne sais même pas ce que ce mot signifie…

Il me laissa le temps de m’expliquer. Quand j’en arrivai à mes démêlés avec la Masters, ses manières changèrent.

— Les salauds ! Ma mère s’est fait posséder par eux après leur avoir versé des primes pendant vingt ans. Pourquoi ne m’avoir pas dit cela dès le début ? (Il prit une carte sur laquelle il écrivit quelques mots :) Tenez. Portez ceci au Bureau des Emplois de Surplus Salvage Autority. Si vous n’y trouvez pas de travail, revenez me voir cet après-midi. Et plus de baraquage. Car non seulement cela engendre le vice et le crime, mais vous prenez le terrible risque de tomber sur un agent de recrutement zombi.

Voilà comment j’avais trouvé un emploi dans la transformation des voitures neuves en ferraille. Pourtant, je suis toujours d’avis que j’eus raison de vouloir en premier lieu me trouver un job. Un homme qui possède un compte en banque dodu est partout chez lui. Les flics lui fichent la paix.

Je trouvai aussi une chambre adaptée à mon budget. Elle était située dans la partie de Los Angeles qui n’avait pas encore subi les transformations du Plan de Rénovation. Je crois qu’à l’origine, ce devait être une penderie.

* * *

Je ne veux pas que l’on puisse penser que je n’aimais pas l’an 2000 par comparaison avec 1970. Je l’aimais, tout comme j’aimai l’an 2001 lorsqu’il arriva quinze jours après mon réveil. Malgré des accès, presque insupportables, de mal du pays, je considérais le Grand Los Angeles, à l’aube du trimillénaire, comme l’endroit le plus merveilleux qu’il m’ait été donné de voir.

C’était dynamique, propre, et très amusant, bien que surpeuplé… D’ailleurs, on s’occupait de ce dernier problème avec une certaine audace, et en voyant grand. Les parties de la ville comprises dans le Plan de Rénovation étaient une joie pour un cœur d’ingénieur. Si les dirigeants municipaux avaient eu le pouvoir suprême d’arrêter l’immigration dans les grandes villes pendant une dizaine d’années, ils auraient gagné la bataille du logement. N’ayant pas ce pouvoir, ils s’arrangeaient de leur mieux avec les hordes qui déferlaient sans cesse… et ce mieux était spectaculaire au plus haut point, les erreurs même ayant un côté grandiose.

Cela valait la peine d’avoir dormi trente ans, rien que pour s’éveiller au moment où la bataille contre les rhumes venait d’être gagnée, et où nul n’avait plus la moindre goutte au nez. Ce progrès étonnant me parut plus intéressant que toutes les colonies expérimentales sur Vénus.

Deux choses, en particulier, m’impressionnèrent vraiment, l’une de détail, l’autre d’importance. Cette dernière, évidemment, était le système dit de Gravité Zéro. En 1970, j’avais été au courant des recherches sur la gravitation entreprises par l’institut Babson. Cependant, je ne me serais pas attendu qu’il en sorte quelque chose ; d’ailleurs rien n’en était alors sorti. La théorie du Champ Fondamental sur laquelle fut fondée la Gravité Zéro avait été mise au point à l’université d’Édimbourg. On m’avait appris à l’école que la loi de la pesanteur était une chose contre laquelle personne ne pouvait rien, puisqu’elle était inhérente à la nature même de l’espace. On avait donc transformé cette dernière. Cela n’était possible que temporairement et à un point donné, mais c’était suffisant pour déplacer un objet de poids. Ceci impliquait qu’on demeurait en relation avec le champ terrestre et restait donc sans utilité pour la navigation interstellaire. Du moins en 2001 ! Je renonce à faire des pronostics quant à l’avenir. On sait que tout mouvement ascensionnel exige toujours une certaine force, afin de compenser la pesanteur, et qu’il faut disposer d’une réserve d’énergie accumulée en sens contraire. Mais pour un transport à l’horizontale, disons de San Francisco au Grand Los Angeles, par exemple, il suffisait d’élever le véhicule adapté à la Gravité Zéro et de le laisser flotter, sans force aucune, comme un patineur faisant une glissade.

Merveilleux !

J’ai, essayé d’étudier la théorie de ce phénomène, mais les maths supérieures commencent là où la trigonométrie finit, et ce n’est pas mon rayon. Un ingénieur est rarement un mathématicien-physicien et n’a pas à l’être ! Il doit simplement connaître les composantes d’un objet, de manière à pouvoir calculer ses possibilités pratiques. C’était cela mon domaine.

Quant au « petit » sujet d’étonnement dont j’ai parlé, il s’agissait des transformations de la mode féminine rendues possibles par les fermetures Éclair électrostatiques. Voir des surfaces de peau nue sur une plage n’a rien de surprenant. On s’y était accoutumé bien avant 1970. Pourtant, les choses bizarres que les femmes réalisaient grâce aux fermetures électrostatiques me laissèrent bouche bée.

Mon grand-père était né en 1890. Je crois que certaines visions de 1970 l’eussent affecté de la même façon.

Mais ce nouveau monde « surrythmé » me plaisait, et j’y aurais été heureux si je ne m’étais trouvé la plupart du temps dans une si totale solitude. Cela me désaxait. Il y avait des moments, généralement au milieu de la nuit, où j’aurais tout donné en échange d’un certain matou bagarreur, ou pour avoir l’occasion de mener Ricky au zoo un après-midi… ou pour retrouver l’esprit de camaraderie qui régnait entre Miles et moi à l’époque où n’existaient pour nous que travail et espoir.

* * *

L’an 2001 était encore tout jeune, et je n’avais pas rattrapé mes études d’ingénieur quand je fus pris d’une terrible envie de quitter mon travail pépère pour revenir à ma planche à dessin. Il y avait à présent tant et tant de choses possibles qui ne l’étaient pas encore en 1970. J’avais très envie d’en mettre au point quelques douzaines.

Ainsi, j’avais prévu l’existence possible de la secrétaire-robot. J’entends une machine prenant la dictée et vous remettant une lettre d’affaires impeccable (orthographe, ponctuation et formules exactes) sans aucune aide humaine. Mais, contrairement à mon attente, il n’existait rien dans ce domaine. Oh ! On avait bien inventé une machine dactylographiant des textes, mais cela ne valait que pour les langues phonétiques comme l’espéranto. C’était inutilisable pour les langues dans lesquelles on dit : « Le buveur d’eau du pot n’a que la peau sur les os…»

Les illogismes d’une langue ne disparaîtront pas pour faire plaisir à un inventeur. Le pâtre doit aller à la montagne si la montagne ne vient pas à lui.

Si un élève d’école secondaire peut apprendre l’orthographe et parvenir à ne plus faire de fautes, comment donner la même connaissance à une machine ? « Impossible » est la réponse habituelle, puisqu’il est convenu que pour parvenir à ce résultat le cerveau humain est nécessaire. Toutefois une invention est précisément quelque chose qui est resté jusque-là « impossible »… C’est pour ça qu’existent les brevets.

Mais il y avait les tubes mnémoniques et la miniaturisation mécanique (j’avais eu parfaitement raison quant à l’importance de l’or en tant que métal utilisable dans l’industrie). Avec ces deux trouvailles, il serait facile de loger 100 000 signes phonétiques sur un espace de 30 centimètres… la tonalité de chaque mot du dictionnaire, autrement dit. Non, il ne serait même pas nécessaire d’aller jusque-là. 10 000 seraient amplement suffisants. Dès lors, il n’était plus que de munir la machine d’un code pour l’orthographe, d’un second pour la ponctuation, et pour divers formats, ainsi que pour la recherche d’adresses dans un classeur, le nombre de copies, etc.