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Elle avait été volée tout comme moi. Pauvre Ricky ! Tous deux victimes des mêmes escrocs.

Je fis une autre tentative. Le Bureau des Archives de l’Inspecteur général de l’Instruction publique de Mojave se trouva avoir un dossier au nom d’une élève nommée Frederica Virginia Gentry, mais la dite élève ayant quitté l’école en 1971, il n’existait pas de renseignements postérieurs à cette date.

Ce fut une consolation de trouver quelque part quelqu’un qui admît l’existence de Ricky. Elle avait pu changer d’école. Combien de milliers d’écoles publiques y a-t-il aux U.S.A. ? Combien de temps me faudrait-il pour écrire à chacune d’elles ? Et tenait-on des archives permettant de répondre, si toutefois l’on consentait à répondre ?

Au milieu d’un quart de milliard d’êtres humains, une petite fille disparaît comme un galet dans l’océan.

* * *

L’échec de mes recherches ne m’empêcha pas de postuler auprès de la Robot Maison S.A. un travail dans mes cordes. J’aurais pu essayer une des cent firmes concurrentes de Aladin, mais celle-ci était la plus importante. Ce fut pourtant une raison sentimentale qui me dirigea vers elle : la perspective de revoir le travail de mon passé.

Le lundi 5 mars 2001, je me rendis donc au bureau d’embauche de la société et m’inscrivis sur la liste des postulants aux emplois de bureau. Je remplis une douzaine de questionnaires ne concernant en rien le travail d’ingénieur, et un seul s’y rapportant. Inutile de revenir me dit-on : la firme me ferait signe le cas échéant.

Je restai à traîner dans les couloirs, et parvins à me faire recevoir de l’un des adjoints administratifs. Il lorgna l’unique formulaire présentant quelque signification et m’annonça que mon diplôme d’ingénieur était sans valeur puisque je n’avais pas exercé durant trente ans. Lorsque je lui eus expliqué que j’étais en Long Sommeil pendant cette période :

— Cela rend la chose encore plus impossible. De toute façon, nous n’engageons pas de personnel au-dessus de 45 ans.

— Mais j’en ai 30 !

— Vous êtes né en 1940. Je regrette.

— Que suis-je censé faire ? Me tirer une balle dans la tête ?

Il haussa les épaules.

— A votre place, je postulerais pour une pension de vieillesse.

Je sortis rapidement avant de lui avoir dit ce que j’en pensais. Je couvris ensuite les quelques centaines de mètres qui me séparaient de l’entrée principale et franchis le seuil. Le directeur général s’appelait Curtis, je demandai à le voir. Je parvins à forcer deux barrages en soutenant que j’avais à parler affaires avec lui. (La maison n’utilisait pas ses propres automates comme réceptionnistes, mais du matériel humain.) Je parvins jusqu’à un bureau au deuxième étage situé, du moins je le présumais, à deux portes de celui du patron, quand je me trouvai face à face avec une créature du type infranchissable qui insista pour en savoir davantage sur ce qui m’amenait. Je lançai un coup d’œil dans le bureau. Il était plutôt grand, occupé par une quarantaine de personnes et un nombre impressionnant de machines.

— Eh bien ! aboya-t-elle, exposez votre affaire et je consulterai la personne chargée des rendez-vous de Mr Curtis.

D’une voix haute et bien timbrée, je lançai :

— Je désire savoir quelles dispositions il a l’intention de prendre vis-à-vis de ma femme !

Soixante secondes plus tard, j’étais dans le bureau directorial. Curtis m’examina.

— Veuillez m’expliquer cette histoire de fou ! cria-t-il.

Cela me prit une demi-heure, y compris l’utilisation de quelques références anciennes, pour le convaincre que je n’avais pas de femme, et que j’étais le fondateur de la firme. A partir de là, l’atmosphère se détendit nettement, à l’aide de petits verres et de cigares. On me présenta le directeur commercial, l’ingénieur en chef et différents chefs de service.

— Nous pensions que vous étiez mort, me dit Mr Curtis. D’ailleurs, l’histoire officielle de la compagnie le prétend.

— Simple rumeur. Un homonyme.

Le directeur commercial, Jack Galloway, s’écria subitement :

— Que faites-vous, actuellement, Mr Davis ?

— Hem… Pas grand-chose. J’ai… participé à des affaires d’automobile. Mais j’ai l’intention de démissionner. Pourquoi ?

— Pourquoi ? N’est-ce pas évident ? (Il se tourna vers l’ingénieur en chef, Mr McBee :) Vous entendez, Mac ? Vous êtes bien tous les mêmes, vous autres ingénieurs, incapables de saisir une opportunité commerciale même si elle vous crève les yeux ! Pourquoi, Mr Davis ? Parce que vous êtes un élément de vente, tout simplement ! Un élément romanesque ! « Le Fondateur de la Firme sort du tombeau pour rendre visite à son enfant. » « L’inventeur du premier robot domestique observant les fruits de son génie. »

— Une minute, voyons, dis-je rapidement, je ne suis pas un sujet publicitaire ni une vedette de circorama. Je tiens à ma vie privée. Je ne suis pas venu ici avec de telles intentions… mais pour obtenir du travail… en qualité d’ingénieur.

Les sourcils de Mr McBee firent un bond vers ses cheveux, cependant il ne souffla mot.

Une discussion épique s’ensuivit. Galloway chercha à me convaincre que ce n’était rien de moins que mon devoir envers la firme que j’avais fondée. McBee ne dit rien mais il était visible qu’il ne croyait pas que je puisse être d’une utilité quelconque à son Département – à un moment, il me demanda ce que je connaissais en matière de circuits solides et je dus admettre que le peu que j’en savais me venait de lectures d’ouvrages de vulgarisation.

En fin de compte, Curtis proposa un compromis.

— Voyons, Mr Davis, il est bien évident que vous êtes dans une situation très très particulière. On pourrait dire que vous avez fondé, non seulement cette firme mais l’industrie entière. Néanmoins, ainsi que l’a suggéré Mr McBee, l’industrie a progressé pendant vos trente ans de Sommeil. Si nous vous prenions au titre de… disons… Ingénieur honoraire des Recherches ?

— Quelle signification exacte cela aurait-il ? demandai-je en hésitant.

— Toutes celles qui vous conviendront. Pourtant, je dois vous prévenir franchement que vous serez tenu de collaborer avec Mr Galloway. Nous ne nous contentons pas de fabriquer, nous devons vendre.

— Heu… Aurai-je la moindre chance de faire des travaux de recherche ?

— Cela dépend de vous. Vous aurez des facilités et vous pourrez entreprendre ce que vous désirez.

— Des facilités d’achat ?

Curtis lança un coup d’œil vers McBee.

— Certainement, certainement, répondit celui-ci. Dans des limites raisonnables, bien entendu, ajouta-t-il.

Il avait pris pour dire ces mots un tel accent écossais que je le compris à peine…

— Voilà qui est réglé, conclut Galloway. Ne partez pas, Mr Davis… Nous allons prendre des photos de vous avec le tout premier modèle du Robot Maison.

Ainsi fut fait. J’étais tout content de le revoir, ce modèle assemblé de mes mains avec tant d’amour et de peine. J’aurais voulu le faire fonctionner, mais McBee m’en empêcha. Je crois qu’il s’imaginait que j’en ignorais le mode d’emploi.

Pendant les mois de mars et d’avril, tout alla pour le mieux. Je disposais de tous les outils que je pouvais désirer, des journaux techniques, des indispensables catalogues de fabrication, d’une bibliothèque bien fournie, d’une machine à dessiner Aladin (Robot Maison n’en fabriquait pas) ; sans compter de parler « maison »… véritable mélodie pour moi !