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Elle me lança un coup de pied.

— Je ne veux plus te parler. Tu es odieux depuis ton arrivée. (Puis elle sembla s’apaiser subitement :) Je ne sais pas. Sa grand-mère s’appelait Heneker ou quelque chose d’approchant. Je ne l’ai vue qu’une seule fois, au tribunal, quand elles sont venues à propos du testament.

— Quand cela se passait-il ?

— Tout de suite après la mort de Miles.

— Quand Miles est-il mort, Belle ?

Elle dérailla de nouveau.

— Tu veux trop en savoir. Tu es aussi assommant que les enquêteurs : des questions, des questions et encore des questions ! (Elle leva les yeux et implora :) Oublions tout et soyons nous-mêmes ! Il n’y a que toi et moi maintenant, chéri, et nous avons l’avenir devant nous. Une femme n’est pas vieille à trente-neuf ans… Schultzie disait que j’étais la plus jeune femme qu’il ait jamais vue, et je te garantis que ce vieux bouc en avait vu des tas ! Nous pourrions être si heureux, chéri. Nous…

J’en avais entendu plus qu’assez.

— Il faut que je m’en aille. Belle.

— Comment, chéri ? Il est encore si tôt ! Nous avons toute la nuit devant nous. Je pensais…

— Je me fiche de ce que tu penses. Je dois m’en aller tout de suite.

— Oh ! mon Dieu ! quel dommage ! Quand est-ce que je te reverrai ? Demain ? Je suis terriblement prise mais je vais décommander tous mes rendez-vous et…

— Je ne te reverrai plus, Belle.

Et je partis.

En effet, je ne la revis plus jamais.

* * *

Sitôt arrivé chez moi, je pris un bain chaud, me brossai de la tête aux pieds. Puis je m’installai confortablement et tâchai de faire le point sur ce que je venais d’apprendre. Belle semblait croire que le nom de la grand-mère de Ricky commençait par un H – si les divagations de Belle avaient un sens quelconque, ce dont je doutais – et qu’elles avaient habité toutes les deux une des villes proches du désert d’Arizona, ou bien en Californie. Peut-être des enquêteurs professionnels pourraient-ils en tirer quelque chose ? Peut-être pas. De toute façon, ce serait long et coûteux. Il me faudrait attendre encore avant d’en avoir les moyens.

Y avait-il quelque autre renseignement utilisable ?

Miles était mort (avait dit Belle) vers 1972. S’il était mort dans ce pays, je devais pouvoir trouver la date de son décès en quelques heures, ensuite me procurer son testament… si toutefois il y en avait eu un comme le prétendait Belle. De toute façon, je retrouverais l’adresse de Ricky à l’époque. Les tribunaux conservaient-ils les archives ? Je n’en savais rien. Avais-je gagné à intervertir notre écart d’âge, et valait-il la peine de retrouver la ville qu’elle habitait à cette époque-là ?

Je recherchais une femme âgée de quarante et un ans, très certainement, mariée et mère de famille. La vue de cette ruine difforme qui avait été jadis Belle Darkin m’avait secoué. Je commençais à entrevoir ce que trente ans peuvent signifier.

Non, je ne pensais pas que Ricky devenue adulte pût être autrement que gracieuse et agréable… mais se souviendrait-elle de moi ? Oh ! je ne pensais pas qu’elle m’aurait complètement oublié… Pourtant, il y avait fort à parier que je ne sois plus dans son souvenir qu’une silhouette sans visage qu’elle avait autrefois appelée « oncle Danny » – cet oncle Danny qui avait ce si gentil chat…

Est-ce que je ne vivais pas, autant que Belle, dans un monde imaginaire qui m’était propre ?

Bah ! Cela ne pouvait pas faire de mal d’essayer encore.

Nous échangerions des vœux à chaque Nouvel An. Son mari ne pourrait s’en formaliser…

8

Le lendemain, vendredi 4 mai, je n’allai pas à mon bureau, mais me rendis à celui des Renseignements concernant la province. On y était en plein déménagement, et on me pria de revenir le mois suivant. Je partis donc au bureau du Times, où j’attrapai un torticolis à force de me pencher sur les archives. Je découvris que si Miles était mort de douze à seize mois après la date de ma mise en glacière, cela n’avait pas eu lieu, en tout cas, dans la province de Los Angeles… si toutefois la rubrique nécrologique du Times était correctement tenue.

Bien entendu, aucune loi ne l’obligeait à mourir dans la province de Los Angeles. On peut mourir n’importe où. On n’est jamais parvenu à réglementer cela.

Peut-être y avait-il des archives à Sacramento ? Je décidai qu’il faudrait vérifier cela un jour. Je remerciai l’employé du Times, allai déjeuner et repris le chemin de la Robot Maison.

Il y avait eu deux appels téléphoniques à mon nom et un mot de Belle. Je ne lus pas plus loin que « Dan chéri », en jetais les morceaux au panier et prévins le standard d’éviter de me passer Mrs Schultz ou ses messages. Je me rendis à la comptabilité et m’informai auprès du chef de bureau des moyens de trouver le nom de personnes ayant été propriétaires d’actions remises en circulation. Il dit qu’il ferait de son mieux pour me donner satisfaction et je lui énumérai, de mémoire, les numéros des actions que j’avais eues en portefeuille à l’origine. Ce n’était pas un exploit, nous avions émis exactement mille actions au départ ; j’avais été propriétaire des cinq cent dix premières, desquelles provenait le fameux cadeau de fiançailles à Belle.

En revenant à mon bureau, je trouvai McBee qui m’attendait.

— Où étiez-vous ? demanda-t-il.

— Un peu partout. Pourquoi ?

— Voilà une réponse qui ne me suffit pas. Mr Galloway vous a cherché à deux reprises aujourd’hui. J’ai dû lui avouer que j’ignorais où vous étiez.

— Oh ! pour l’amour du ciel ! Si Galloway a besoin de moi, il me trouvera bien tôt ou tard. S’il passait à vanter la marchandise la moitié du temps qu’il consacre à imaginer des annonces insolites, les affaires de la maison marcheraient mieux !

Galloway commençait à m’ennuyer. Il était censé être directeur des ventes, mais me semblait surtout occupé à chercher noise au département chargé de la publicité. J’avais évidemment quelques préjugés en ce domaine : le rôle de l’ingénieur ayant toujours été le seul à m’intéresser, tout le reste avait tendance à me paraître futile et manipulation de paperasses. Je savais que Galloway avait besoin de me voir, et, à vrai dire, je me défilais. Il voulait m’affubler de costumes 1900, pour des photos. Je lui avais dit qu’il pouvait me faire photographier autant qu’il le désirait en costumes 1970, mais que 1900 était de douze ans antérieur à la naissance de mon père. Il prétendit que personne ne verrait la différence, à quoi je lui répondis un peu brièvement et il me reprocha mon comportement.

Les gens habitués à se moquer du public ont tendance à croire qu’ils sont seuls à savoir lire et écrire.

— Votre attitude n’est pas ce qu’elle devrait être, monsieur Davis, reprit McBee.

— Vraiment ? Je le regrette.

— Vous êtes dans une position plutôt spéciale. Vous êtes attaché à mon département, mais je dois vous rendre disponible pour le service publicitaire quand ce dernier a besoin de vous. Je crois que dorénavant vous feriez bien de pointer comme tout le monde… et vous viendrez me voir quand vous aurez à quitter votre bureau pendant les heures ouvrables. Veillez-y, je vous prie.

Je comptai lentement jusqu’à dix.

— Dites-moi, Mac, est-ce que vous pointez en arrivant ?

— Hein ? Vous oubliez que je suis ingénieur en chef.

— C’est vrai, c’est noté là sur cette porte. Mais comprenez, Mac, que j’ai été ingénieur en chef de cette boîte avant que vous commenciez à vous raser. Est-ce que vous vous imaginez vraiment que je vais accepter de pointer ?