Il devint écarlate.
— Comme vous voudrez. Mais je vous préviens qu’en cas de refus, il sera inutile de passer à la caisse en fin de semaine.
— Vraiment ? Ce n’est pas vous qui m’avez engagé, je ne vois donc pas comment vous pourriez me renvoyer.
— Nous verrons. Je puis en tout cas vous faire transférer de mon département au département publicitaire, qui est celui de votre affectation si vous avez droit à une affectation quelconque. (Il lança un coup d’œil à ma machine à dessiner :) Il est évident que vous ne produisez rien ici. Cette machine coûteuse ne peut rester ainsi sans rendement.
Il me fit un bref signe de tête et disparut.
Je sortis sur ses talons. Un coursier apportait une grosse enveloppe qu’il plaça dans mon casier, mais je ne m’attardai pas à examiner ce qu’elle contenait.
Je me rendis au bar réservé aux chefs de service pour y fulminer à mon aise. Cette buse de Mac pensait qu’un travail productif devait se faire au métronome. Pas étonnant que la firme n’ait rien sorti depuis des années…
Qu’il aille au diable ! De toute façon, je n’avais pas l’intention de rester attaché à la maison. Environ une heure plus tard, je retournai à mon bureau et y trouvai une autre enveloppe à mon nom. Je crus que Mac avait mis ses menaces à exécution.
Ce n’était que la Comptabilité qui m’écrivait :
Cher Mr Davis,
En réponse à la demande que vous nous avez faite concernant certaines actions de la maison, nous avons l’honneur de vous informer que durant la période s’étendant du premier trimestre 1971 au deuxième trimestre 1980, les dividendes en ont été versés au nom de Heinicke. Notre réorganisation ayant eu lieu en 1980, la documentation qui nous reste de cette époque semble incomplète. Pourtant, il apparaît que les parts équivalentes ont été vendues, à ce moment-là, au Cosmopolitan Insurance Group, qui les détient encore à présent.
Quant au deuxième lot, moins important que celui-ci, il était bien détenu par une Mme Belle Gentry. En 1972, cette part fut assignée au nom de la Sierra Acceptance Corporation, qui s’en débarrassa en la mettant en vente « à la pièce ». En y consacrant davantage de temps, il serait peut-être possible de retrouver trace de manipulations supplémentaires.
N’hésitez pas à faire appel à notre Service au cas où il pourrait encore vous être utile. Nous sommes à votre disposition.
J’appelai Reuther pour le remercier et lui dire que j’avais les renseignements qui m’intéressaient. Mon projet initial, qui consistait à assigner mon avoir à la petite Ricky Gentry, avait donc manqué son but. Pour le moment il ne m’intéressait pas de retrouver la trace de ceux qui s’en étaient emparés ; j’avais la certitude que c’était soit Belle, soit des gens agissant pour elle. A cette époque elle projetait sans doute déjà de filouter Miles. A quoi bon la confronter avec ces histoires passées ? Le stock avait disparu et Belle était à sec.
Apparemment, elle s’était trouvée à court au moment de la mort de Miles et avait vendu une petite part des actions. Ce qui avait pu arriver à ces actions ne m’intéressait pas du moment qu’elles étaient sorties des mains de Belle. J’avais oublié de demander à Reuther de faire les mêmes recherches au sujet de la part de Miles… peut-être ces recherches me mèneraient-elles à Ricky bien qu’elle ne détînt pas la part en question. Mais la journée de vendredi était déjà avancée, je demanderais ce renseignement lundi.
Je voulais, à présent, ouvrir la grosse enveloppe, car j’avais vu l’adresse de l’expéditeur.
J’avais, début mars, écrit au Bureau des Brevets, au sujet des Brevets d’origine du Robot U 1 et de la machine à dessiner Aladin. Ma première conviction que le robot en question pût dériver de mon propre Robot-à-tout-faire avait été ébranlée par mon expérience avec la machine à dessiner. Il me paraissait plausible que le génie ayant conçu un travail si proche du mien, au point de me troubler, ait pu se trouver une deuxième fois dans une situation analogue pour le Robot U 1. Cette théorie se trouva confirmée par le fait que les deux brevets dataient de la même année et avaient été détenus à l’époque par Aladin.
Il me fallait cependant savoir. Si cet inventeur était encore en vie, il me fallait le rencontrer. Il pourrait me renseigner sur quelques points précis.
J’avais donc écrit une première fois au Bureau des Brevets. Pour toute réponse je reçus un formulaire imprimé m’informant que les brevets venus à expiration étaient détenus par les Archives nationales. J’écrivis donc aux Archives et reçus un deuxième formulaire imprimé m’indiquant une série de tarifs. J’expédiai alors un chèque postal pour obtenir tous renseignements sur les deux brevets, descriptions, droits et plans.
C’est à cette demande que la grosse enveloppe semblait devoir apporter la réponse.
Le premier document concernait le Robot U 1. Je me mis à examiner les plans, ignorant pour l’instant les descriptions et les droits.
Il me fallut convenir que cela ne ressemblait pas trop à mon Robot-à-tout-faire. C’était mieux que ce dernier, avec davantage de possibilités et une mécanique plus simplifiée. La notion de base était la même. Elle devait l’être, puisque toute machine contrôlée par des tubes mnémoniques Thorsen était obligatoirement fondée sur les principes que j’avais utilisés.
Je pouvais presque m’imaginer développant ce nouveau modèle, sorte de version améliorée de mon prototype. A une certaine époque, j’avais eu quelque chose de ce genre en tête : un Robot Universel, qui ne serait pas limité à ses obligations domestiques.
J’en vins alors au nom de l’inventeur, sur les feuilles de droits et de descriptions.
Ce nom, je le reconnus sans peine : D.B. Davis ! Le mien…
Je le contemplai, les yeux écarquillés, en sifflotant lentement.
Belle avait donc encore menti ? Y avait-il la moindre parcelle de vérité dans ce qu’elle m’avait raconté ? Bien sûr, Belle était une mythomane, mais j’avais lu quelque part que les mythomanes suivent généralement un certain plan, partant de la vérité et l’embellissant, plutôt que de se lancer dans l’invention pure.
Mon prototype n’avait donc pas été « volé » ; il avait été remis à un autre ingénieur qui y avait apporté des améliorations, ensuite de quoi le brevet avait été demandé en mon nom.
Pourtant, la combinaison Mannix n’avait pas abouti. Ce fait-là n’était pas douteux, puisque les archives de la compagnie en faisaient foi. Belle avait prétendu que la combinaison avait raté du fait qu’ils n’avaient pu produire le prototype du Robot-à-tout-faire.
Miles s’était-il approprié le robot pour son compte exclusif, faisant croire à Belle que l’appareil avait été volé ?
Dans ce cas… Je cessai de faire des suppositions. C’était sans espoir, comme la recherche de Ricky. Il faudrait peut-être que je m’introduise chez Aladin afin d’apprendre qui avait cédé à cette firme le brevet original et qui en avait bénéficié. Selon toute probabilité, le jeu n’en valait pas la chandelle. Le brevet était venu à expiration. Miles était mort et Belle, si elle avait jamais profité de la transaction, en avait depuis longtemps perdu tout le profit.