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Je me contenterais de la seule preuve qui m’intéressait vraiment : que c’était bien moi l’inventeur original. Ma fierté professionnelle était apaisée, et qui donc se préoccupe d’argent quand il a trois repas par jour garantis ? Pas moi.

Je me penchai alors sur les plans originels de la machine à dessiner.

Ces plans étaient un délice. Je ne les aurais pas mieux faits moi-même. Ce gars avait vraiment pigé le truc. J’admirais avec quelle économie les jonctions avaient été installées, et l’ingéniosité déployée dans l’utilisation des circuits, réduisant les parties mouvantes au minimum. Il en est des parties mouvantes comme de l’appendice : à supprimer dès que possible.

L’« inventeur » avait employé une machine à écrire IBM électrique comme châssis de base, faisant mention, sur le plan, des brevets utilisés. Voilà qui s’appelait du beau travail : ne jamais réinventer ce qui peut s’acheter sans difficulté.

Il me fallait connaître le nom de ce garçon intelligent.

Je feuilletai les papiers et j’eus un choc.

Le nom était, cette fois encore, D.B. Davis !…

Je restai pantois. J’avais là, sous les yeux, un document établissant que le brevet d’un appareil (où je reconnaissais bien ma marque de fabrique) avait été pris, en 1970, par moi-même.

Or, je savais que cet appareil-là n’avait jamais existé que dans mon cerveau ! Les choses prenaient une tournure proprement ahurissante…

Après un assez long laps de temps, j’appelai le Dr Albrecht, le médecin qui m’avait rééduqué lors de ma sortie du Long Sommeil. Quand il se trouva à l’autre bout du fil, je lui dis qui j’étais, car mon appareil n’avait, pas d’écran de vision.

— J’ai reconnu votre voix, dit-il. Salut, mon garçon. Comment va le travail ?

— Plutôt bien. Ils ne m’ont pas encore proposé une part dans l’affaire.

— Laissez-leur le temps. Et par ailleurs ? Heureux ? Vous vous réadaptez ?

— Très bien. Si j’avais su combien ces jours-ci seraient merveilleux, j’aurais commencé plus tôt ma cure de Long Sommeil ! Pour rien au monde je ne retournerais en 1970 !

— Oh ! n’exagérons rien ! Je me souviens très bien de cette année-là. J’étais un gamin dans une ferme du Nebraska, je péchais, je chassais, je m’amusais bien. Plus qu’aujourd’hui.

— Chacun ses goûts. Je préfère aujourd’hui. Dites, docteur, je ne vous ai pas appelé pour philosopher ; il m’arrive quelque chose de troublant.

— De quoi s’agit-il ?

— Est-il possible, docteur, que le sommeil hypothermique provoque de l’amnésie ?

Il hésita avant de répondre.

— Ce n’est pas impossible, bien que pour ma part, je n’aie jamais eu connaissance de cas de ce genre ; j’entends, sans autre cause que le Sommeil lui-même.

— Qu’est-ce qui peut susciter l’amnésie ?

— Toute une série de choses. La plus courante étant peut-être le désir inconscient qu’en a le malade. Il oublie une suite d’événements, ou en modifie les données, parce que la vérité à leur sujet lui est insupportable. C’est ce qu’on appelle l’amnésie proprement dite. Ensuite, il y a les amnésies provoquées par choc sur le crâne, les amnésies par suggestion, sous l’action de drogues ou d’hypnotisme. Qu’avez-vous, mon garçon ? Vous ne retrouvez plus votre carnet de chèques ?

— Aucun rapport. Pour autant que je puisse en juger, je me sens parfaitement, normal. Mais il y a des choses d’avant ma cure dont, je ne parviens pas à retrouver le souvenir… et ça m’ennuie.

— Je vois. Y a-t-il une possibilité du genre de celles que je vous ai énumérées ?

— Oui… heu… toutes, si l’on excepte le coup sur le crâne, et même ça a pu arriver pendant que j’étais ivre.

— J’oubliais de parler de l’amnésie temporaire la plus courante : sous l’influence de l’alcool. Voyons, pourquoi ne pas venir me voir ? Nous en discuterions ensemble. Si je ne parviens pas à vous aider (après tout je ne suis pas psychiatre), je peux vous aiguiller sur un hypno-analyste qui vous épluchera, la mémoire comme un oignon et vous dira pourquoi vous avez été en retard à l’école le 4 février, quand vous étiez à la Maternelle. Comme il est assez cher, vous feriez bien de venir essayer avec moi d’abord.

— Écoutez, docteur, je vous ai déjà suffisamment ennuyé… et vous êtes assez chatouilleux quand il s’agit d’accepter un peu d’argent.

— Je m’intéresse toujours à mes patients, mon garçon. C’est toute la famille que j’ai.

Je remis la visite en lui promettant de l’appeler au début de la semaine suivante si je ne me sentais pas mieux. Je voulais d’abord réfléchir. La plupart des lumières de la maison s’éteignirent sauf dans mon bureau. Un robot-femme de ménage entra, se rendit compte qu’il y avait quelqu’un et ressortit aussitôt en silence. Je demeurai cloué à mon bureau.

Bientôt, Chuck Freudenberg passa une tête curieuse dans la pièce.

— Tiens ! Je croyais que tu étais parti depuis longtemps ! Réveille-toi… tu dormiras mieux chez toi !

— Écoute, Chuck, j’ai une idée formidable : achetons un tonneau de bière et deux pailles…

— Voyons, nous sommes vendredi… j’aime bien avoir ma tête à moi le lundi, cela me permet de savoir quel jour on est…

— Nous sommes d’accord. Attends une minute, le temps de fourrer quelques affaires dans cette serviette.

Nous bûmes de la bière. Puis nous mangeâmes. Ensuite, nous bûmes encore de la bière dans un bar ou il y avait de la bonne musique. De là, nous allâmes à un endroit sans musique, où les différents boxes étaient insonorisés de manière à empêcher les voisins d’entendre votre conversation, et où on ne vous dérangeait pas à condition de renouveler vos consommations d’heure en heure. Nous parlâmes. Je lui fis voir les brevets.

Chuck examina le prototype du Robot U 1.

— Voilà du beau boulot, Dan. Je suis fier de toi, mon vieux. Pourrais-je avoir un autographe ?

— Et regarde ça, dis-je en lui passant les plans de la machine à dessiner. C’est encore mieux que l’autre, par certains côtés.

— Dis donc, Dan, est-ce que tu te rends compte que tu as probablement eu plus d’influence sur l’état actuel de notre métier que… mettons Einstein en son temps. C’est vrai. Dan…

— Oh ! Assez ! N’en jette plus ! (Je fis un geste vers les documents :) C’est très curieux. Voici : je suis responsable de l’un de ces projets. Quant au deuxième, je n’en suis pas l’auteur. A moins d’avoir complètement embrouillé tous mes souvenirs d’avant mon Sommeil, je ne puis en être l’auteur. Ou alors, je fais de l’amnésie…

— Il y a vingt minutes que tu répètes la même chose. Moi, je ne te trouve pas plus dingue que n’importe quel inventeur.

J’abattis mon poing sur la table.

— Il me faut une certitude !

— Doucement, vieux ! Que comptes-tu faire ?

— Quoi ? (Je réfléchis un moment :) Je vais aller consulter un psychiatre pour qu’il élucide le problème.

Il soupira.

— Voilà la réponse que je craignais. Écoute, Dan. Si tu vas voir un de ces fouilleurs de cerveau et qu’il déclare que tout est en ordre, que ta mémoire fonctionne parfaitement… Alors ?

— C’est impossible.

— Ça, c’est ce qu’on disait à Christophe Colomb. L’explication la plus simple ne t’est donc pas venue à l’esprit ?

— Laquelle ?

Sans me donner la peine de me répondre, il fit signe au garçon et lui demanda d’apporter l’annuaire téléphonique.

— Que se passe-t-il ? Tu veux me faire enfermer ?

— Pas encore ! (Il feuilleta l’épais annuaire, s’arrêta et me montra une page :) Regarde, Dan.