Выбрать главу

Nous bûmes une autre bière.

Le temps de rentrer chez moi et de prendre une douche, je compris que Chuck avait raison. Le voyage dans le temps était une solution aussi adaptée à mon problème que la décapitation pour guérir le mal de tête. Par ailleurs, Chuck avait la possibilité, en savourant une côtelette et une salade avec Mr Springer, d’apprendre ce que je désirais savoir, sans mal, sans dépense et sans risques. Et puis, j’aimais l’année dans laquelle je vivais…

Je me mis au lit avec les journaux de la semaine. A présent que j’étais un citoyen solvable, j’avais un abonnement au Times. Pourtant, il ne m’arrivait pas souvent d’y jeter un coup d’œil. J’avais généralement la tête remplie de problèmes relatifs à de nouvelles inventions et les sottises que l’on trouve quotidiennement dans les journaux m’agaçaient. Et s’il s’y trouvait, par hasard, des nouvelles intéressantes, c’était pire : cela me distrayait de mon travail.

Néanmoins, je ne jetais un journal qu’après avoir regardé les gros titres et vérifié la rubrique État Civil – non aux colonnes des naissances, mariages, ou décès, mais à celle des « retraits » de Réveillés récents. J’avais l’impression qu’un jour j’y découvrirais le nom d’une ancienne connaissance, et ne voulais pas manquer d’aller la saluer ni de lui offrir un coup de main. Bien sûr, il y avait peu de chances que cela arrive, mais je trouvais quelque satisfaction, néanmoins, à consulter cette colonne.

Je pense que, subconsciemment, je considérais tous ces revenants comme faisant un peu partie de ma famille. Tout comme on est « copain » avec un garçon qui a appartenu au même régiment que vous.

Les journaux n’annonçaient rien de sensationnel. Ne découvrant aucun nom connu parmi les revenants de la semaine, je m’allongeai et attendis que la lumière s’éteignît.

Vers 3 heures du matin, je m’éveillai et m’assis brusquement. La lumière s’alluma. Je venais d’avoir un drôle de rêve, pas un cauchemar mais presque. J’avais rêvé que j’avais raté le nom de Ricky dans la colonne de l’état civil.

Je savais bien que c’était impossible, pourtant quand j’aperçus la pile de journaux je me sentis soulagé ; j’aurais pu les fourrer dans le vide-ordures avant de m’endormir comme il m’arrivait souvent de le faire.

Je les repris dans mon lit et me remis à lire la rubrique État Civil. Cette fois-ci je lus tous les paragraphes : naissances, mariages, décès, divorces, adoptions, changements de nom, mises en Sommeil et retraits. Tout y passa car je m’étais dit que le nom de Ricky avait pu m’échapper n’importe où… elle avait pu se marier, ou avoir un enfant…

Je faillis rater ce qui avait peut-être déclenché mon rêve. Dans la liste des retraits de la veille, on lisait : « Riverside Sanctuary… F.V. Heinicke. »

F.V. Heinicke !

Heinicke était le nom de la grand-mère de Ricky, j’en étais tout à fait certain. J’étais bien incapable de retrouver pourquoi je le savais. C’était comme s’il avait été enseveli au fond de ma mémoire et ne m’était réapparu qu’à sa lecture. Je l’avais probablement entendu prononcer par Ricky ou Miles, dans le temps. Peut-être même avais-je rencontré la vieille dame à Sandia ? Cependant, j’avais la sensation bizarre (à nouveau cette impression de « déjà vécu ») d’avoir rencontré ce nom bien plus récemment, à propos d’autre chose. Et voici que ce nom lu dans le Times comblait comme une faille. A présent, je savais.

Il me restait à faire la preuve que F.V. Heinicke était bien Frederica Virginia Heinicke.

Je tremblais de joie et d’anxiété tout à la fois. En dépit des nouvelles habitudes bien acquises, je voulus machinalement tirer sur mes fermetures Éclair au lieu de les laisser se fermer d’elles-mêmes, et enfiler mes vêtements fut toute une affaire. Enfin, au bout de quelques minutes, je me retrouvai dans le hall, devant la cabine téléphonique. Puis je dus remonter en hâte en m’apercevant que j’avais oublié mes jetons. J’étais vraiment sens dessus dessous.

Une fois le jeton en main, je tremblais tellement que je ne parvenais pas à le faire entrer dans la fente. Enfin, j’y réussis et demandai le standard.

— Vous désirez ?

— Heu… Je voudrais le Riverside Sanctuary.

— Un instant. Je cherche le numéro, ne quittez pas.

L’écran s’éclaira enfin et un visage d’homme me dévisagea sans aménité.

— On a dû vous donner un faux numéro. Vous êtes en communication avec le sanctuaire. Nous sommes fermés la nuit.

— Ne raccrochez pas, je vous en prie ! Si vous êtes le Riverside Sanctuary, c’est bien à vous que je désire parler.

— Bon. Que désirez-vous ?

— Vous avez une cliente du nom de F.V. Heinicke, une Réveillée récente. Je voudrais savoir…

— Nous ne donnons pas de renseignements sur nos clients par téléphone, fit-il en secouant la tête. Et surtout pas au milieu de la nuit. Vous feriez mieux de rappeler demain matin, après 10 heures, ou mieux, de venir sur place.

— Oui, je viendrai certainement. Mais je voudrais un simple renseignement : quels prénoms désignent les initiales F.V. ?

— Je vous ai dit que…

— Je vous en prie, écoutez-moi. Je ne suis pas un plaisantin, je suis un ex-Dormeur du Sanctuaire de Sawtelle, réveillé récemment. Le nom de votre cliente a été publié dans les journaux. Je sais que les sanctuaires donnent les prénoms entiers de leurs clients, mais que les journaux les ramènent à des initiales pour gagner de la place.

— C’est possible.

— Dans ce cas, quel mal y a-t-il à ce que vous me donniez la signification exacte des deux initiales ?

Il hésita un long moment.

— Aucun mal, sans doute, si c’est tout ce que vous désirez savoir. Un instant. Il s’éloigna de l’écran, demeura absent pendant un temps qui me sembla durer une heure, puis revint, une carte à la main.

— La lumière est mauvaise, dit-il en clignant les yeux vers la carte. Frances… non, Frederica Virginia.

Mes oreilles bourdonnèrent, et je faillis tomber raide.

— Merci, mon Dieu !

— Ça ne va pas ?

— Ça va, merci. Merci du plus profond du cœur. Oui, ça va très bien.

— Bon. Je suppose que je peux encore vous donner un tuyau. Ça vous évitera un dérangement. Cette personne est déjà rayée de nos listes.

9

J’aurais gagné du temps en prenant une voiture, mais il ne me restait plus un sou. J’habitais Hollywood Ouest, et la banque de permanence la plus proche se trouvait à l’autre bout de la ville ! Il me fallut donc prendre l’autobus afin d’aller chercher de l’argent. Une amélioration capitale que je n’avais guère appréciée jusque-là était le nouveau système de carnets de chèques universels, valables dans toutes les banques. Avec le code radioactif de mon chéquier, vérifiable par le cerveau électronique qui commandait toutes les banques de la ville, on me donna des billets aussi rapidement que si j’avais été me faire régler à la caisse de Robot Maison.

Ensuite j’attrapai l’express pour Riverside.

Quand j’arrivai devant le sanctuaire, le jour se levait.

Il n’y avait personne, sauf le veilleur de nuit auquel j’avais parlé, et l’infirmière de garde. Je crains de n’avoir pas fait bonne impression. J’avais une barbe de vingt-quatre heures, les yeux exorbités, et il est probable que je dégageais une forte odeur de bière. De plus, je n’avais pas préparé un tissu de mensonges consistant.