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Il fut encore tout troublé le lendemain. Il s’apprêtait à prendre son petit déjeuner en compagnie de Lucy, quand celle-ci poussa un cri de surprise et leva le doigt. Au milieu du plafond était griffonné comme au charbon le nombre 28. Lucy n’en comprenait pas la signification et son père ne la lui expliqua pas. Cette nuit-là, armé de son fusil, il monta la garde. Il ne vit ni n’entendit rien. Pourtant, au matin suivant, il trouva le nombre 27 en gros chiffres peints sur l’extérieur de sa porte!

Chaque matin, il trouva ainsi affiché le nombre de jours qui lui restaient sur le mois de grâce; ses ennemis invisibles l’inscrivaient à différents endroits bien en vue, tantôt sur un mur, tantôt sur le parquet, d’autres fois sur de petits placards accrochés à la grille du jardin ou à un barreau de la clôture. Malgré sa vigilance, Ferrier ne pouvait découvrir comment ces avertissements quotidiens lui parvenaient. Rien qu’à les voir, une crainte quasi-superstitieuse le bouleversait. Il devint hagard, agité. Ses yeux avaient le regard angoissé d’un animal traqué. Il gardait un espoir: le jeune chasseur du Nevada.

Le nombre fatal était tombé de 20 à 15, puis de 15 à 10, sans que Jefferson eût donné de ses nouvelles. Les nombres allèrent diminuant, un par un: toujours pas de nouvelles! Chaque fois que le vieux fermier entendait passer un cavalier sur la route ou crier un conducteur après son attelage, il se précipitait à la grille: en vain! Quand il vit le nombre tomber de 5 à 4, puis à 3, le courage et l’espérance désertèrent son cœur. Sans aide, et connaissant mal les montagnes qui entouraient la colonie, comment s’évaderaient-ils? Les routes étaient surveillées d’une manière stricte; personne ne pouvait les utiliser sans une permission du Conseil. Il avait beau chercher, il ne voyait aucun moyen de détourner le coup suspendu sur sa tête. Jamais, cependant, sa résolution ne faiblit: les Mormons n’auraient pas sa fille; il mourrait plutôt!

Un soir, il était seul et réfléchissait. Le matin même, on avait inscrit le chiffre 2 sur un mur. Ce serait ensuite le dernier jour du délai accordé. Qu’adviendrait-il? Son imagination était pleine de visions vagues et terribles. Et sa fille, que ferait-on d’elle quand il ne serait plus là? Comment échapper au filet qui les enveloppait? Comment échapper au filet qui les enveloppait? Il laissa tomber sa tête sur la table et éclata en sanglots.

Soudain il se redressa. Il avait entendu un léger grattement: faible, mais distinct dans le silence de la nuit. Ce bruit était venu de l’extérieur. Ferrier se glissa dans le vestibule et tendit l’oreille. Il y eut une brève pause, puis le bruit faible, insinuant, recommença. De toute évidence, quelqu’un frappait doucement à la porte. S’agissait-il d’un assassin venant à minuit exécuter la sentence du tribunal secret? Ou bien d’un agent marquant le chiffre du dernier jour? Bah, une prompte mort vaudrait encore mieux que cette attente qui lui figerait le sang! Il prit son élan, tira le verrou et ouvrit toute grande la porte.

Dehors, tout était calme et silencieux. La nuit était brillante d’étoiles. Le fermier ne vit personne dans le petit jardin fermé par la clôture et la grille, ni sur la route. Il poussa un soupir de soulagement. Il regarda encore à droite, à gauche, enfin à ses pieds. Quelle ne fut pas sa surprise: un homme était allongé sur le sol, la face contre terre!

Sidéré, Ferrier dû s’appuyer contre le mur et porter la main à sa gorge pour ne pas crier. Sa première pensée fut que l’homme était blessé, peut-être mourant. Mais il le vit ramper sur le sol et entrer dans le vestibule aussi rapidement et silencieusement qu’un serpent. Une fois dans la maison, l’homme se dressa vivement sur ses pieds pour fermer la porte; il se retourna: le visage farouche de Jefferson Hope apparut au fermier.

«Bonté divine! balbutia John Ferrier. Que vous m’avez fait peur! Pourquoi diable êtes vous entré comme ça?

– Donnez-moi à manger, dit l’autre d’une voix éraillée. J’ai été quarante-huit heures sans boire ni manquer.»

Il se jeta sur le pain et la viande froide qui restaient du repas de son hôte.

«Comment va Lucy? demanda-t-il, sa faim apaisée.

– Bien, répondit Ferrier. Mais elle ne se doute pas du danger que nous courons.

– Tant mieux! La maison est gardée de tous côtés. Voilà pourquoi je suis venu en rampant. Ils sont peut-être malins, mais pas assez pour pincer un chasseur des montagnes de la Nevada.»

John Ferrier se sentait un autre homme. Il saisit la main calleuse de l’ami dévoué et la serra avec force.

«Je suis fier de vous! dit-il. Il n’y en a pas beaucoup qui seraient venus partager notre danger et nos peines.

– Vous l’avez dit! répondit le jeune chasseur. J’ai du respect pour vous, mais, si vous aviez été seul dans cette affaire, j’y aurais regardé à deux fois! C’est pour Lucy que je suis venu. Avant qu’il lui arrive le moindre mal, la famille Hope comptera un membre de moins!

– Qu’allons-nous faire?

– C’est demain le dernier jour. Si vous n’agissez pas cette nuit, vous êtes perdu. Deux chevaux et une mule nous attendent au cañon de l’Aigle. Combien d’argent avez-vous?

– Deux mille dollars en or et cinq mille en billets.

– Cela suffit. J’en ai autant. Il faut nous rendre à Carson City par les montagnes. Faites lever Lucy. C’est une chance que les domestiques ne couchent pas dans la maison.»

Pendant l’absence de Ferrier, Jefferson Hope fit un petit paquet de tout ce qu’il put trouver de comestible et il emplit d’eau une jarre de grès: il s’avait par expérience que, dans les montagnes, les sources sont rares. A peine avait-il terminé ces préparatifs, que le fermier revint avec Lucy tout habillée et prête à partir. Les épanchements entre les amoureux furent tendres, mais brefs: il n’y avait pas une minute à perdre.

«Partons tout de suite! dit Jefferson Hope, de la voix basse mais résolue d’un homme qui a mesuré la grandeur du péril mais qui s’est armé de courage pour l’affronter. Le devant et le derrière de la maison sont surveillés; mais, en faisant bien attention, nous devrions pouvoir nous enfuir par une fenêtre sur le côté et de là à travers champs. Une fois sur la route, nous ne serons plus qu’à trois kilomètres du ravin où nos montures attendent. A l’aube, nous devrions être en pleine montagne.

– Et si on nous arrête?» dit Ferrier.

Hope frappa la crosse du revolver qui gonflait sa tunique.

«S’ils sont trop nombreux, dit-il avec un sourire sinistre, nous en emmènerons deux ou trois avec nous!»

Ils avaient éteint les lumières. De la fenêtre, Ferrier contempla pour la dernière fois ses champs. Il s’était longtemps préparé à en faire le sacrifice. L’honneur et le bonheur de sa fille lui importaient beaucoup plus que sa fortune. Tout respirait une paix profonde: les arbres au bruissement léger et les grands champs de blé silencieux. Le moyen de croire que des meurtriers s’y tenaient tapis à l’affût? Cependant, le visage blême et l’expression figée du jeune chasseur en disaient long sur ce qu’il avait pu observer en s’approchant de la maison.

Ferrier porterait le sac d’or et de billets; Jefferson Hope, les maigres provisions, et Lucy, un petit paquet: ses choses les plus chères. Ils ouvrirent la fenêtre, lentement, doucement; quand un nuage rendit l’obscurité plus complète, ils se glissèrent dans le jardin, l’un après l’autre; tout recroquevillés et retenant leur souffle, d’un pas hésitant ils atteignirent la haie. Ils la longèrent jusqu’à une trouée qui s’ouvrait sur un champ de maïs. Là, le jeune homme saisit le bras de ses compagnons et les fit rentrer dans l’ombre, où ils restèrent muets et tremblants.