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     "Ainsi, mon chagrin se renouvelant sans cesse, et me trouvant plus égarée à ses yeux, - comme à tous les yeux qui auraient voulu me fixer, si je n'eusse été condamnée pour jamais à l'oubli de tous! - j'avais de plus en plus faim de sa bonté. Avec ses baisers et ses étreintes amies, c'était bien un ciel, un sombre ciel, où j'entrais, et où j'aurais voulu être laissée, pauvre, sourde, muette, aveugle. Déjà j'en prenais l'habitude. Je nous voyais comme deux bons enfants, libres de se promener dans le Paradis de tristesse. Nous nous accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble. Mais, après une pénétrante caresse, il disait: "Comme ça te paraîtra drôle, quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passé. Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon coeur pour t'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il faudra que je m'en aille, très-loin, un jour. Puis il faut que j'en aide d'autres: c'est mon devoir. Quoique ce ne soit guère ragoûtant... , chère âme... " Tout de suite je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, précipitée dans l'ombre la plus affreuse: la mort. Je lui faisais promettre qu'il ne me lâcherait pas. Il l'a faite vingt fois, cette promesse d'amant. C'était aussi frivole que moi lui disant: "Je te comprends."

     "Ah! je n'ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois. Que devenir? Il n'a pas une connaissance; il ne travaillera jamais. Il veut vivre somnambule. Seules, sa bonté et sa charité lui donneraient-elles droit dans le monde réel? Par instants, j'oublie la pitié où je suis tombée: lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur les pavés des villes inconnues, sans soins, sans peines. Ou je me réveillerai, et les lois et les moeurs auront changé, - grâce à son pouvoir magique, - le monde, en restant le même, me laissera à mes désirs, joies, nonchalances. Oh! la vie d'aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me récompenser, j'ai tant souffert, me la donneras-tu? Il ne peut pas. J'ignore son idéal. Il m'a dit avoir des regrets, des espoirs: cela ne doit pas me regarder. Parle-t-il à Dieu? Peut-être devrais-je m'adresser à Dieu. Je suis au plus profond de l'abîme, et je ne sais plus prier.

     "S'il m'expliquait ses tristesses, les comprendrai-je plus que ses railleries? Il m'attaque, il passe des heures à me faire honte de tout ce qui m'a pu toucher au monde, et s'indigne si je pleure.

     "- Tu vois cet élégant jeune homme, entrant dans la belle et calme maison: il s'appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je? Une femme s'est dévouée à aimer ce méchant idiot: elle est morte, c'est certes une sainte au ciel, à présent. Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C'est notre sort à nous, coeurs charitables... " Hélas! Il avait des jours où tous les hommes agissant lui paraissaient les jouets de délires grotesques: il riait affreusement, longtemps. - Puis, il reprenait ses manières de jeune mère, de soeur aimée. S'il était moins sauvage, nous serions sauvés! Mais sa douceur aussi est mortelle. Je lui suis soumise. - Ah! je suis folle!

     "Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami!"

     Drôle de ménage!

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DÉLIRES

II

ALCHIMIE DU VERBE

  A moi. L'histoire d'une de mes folies.

     Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

     J'aimais les peintures idiotes, dessus des portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.

     Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de meurs, déplacements de races et de continents: je croyais à tous les enchantements.

     J'inventai la couleur des voyelles! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rhythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

     Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable, je fixais des vertiges.

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Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert?
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, - Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert!- Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case Chérie? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge, - Un orage vint chasser le ciel. Au soir L'eau des bois se perdait sur les sables vierges, Le vent de Dieu jetais des glaçons aux mares;
Pleurant, je voyais de l'or - et ne pus boire. - ______________
A quatre heures du matin, l'été, Le sommeil d'amour dure encore. Sous les bocages s'évapore L'odeur du soir fêté.
Là-bas, dans leur vaste chantier Au soleil des Hespérides, Déjà s'agitent - en bras de chemise - Les Charpentiers.
Dans leurs Déserts de mousse, tranquilles, Ils préparent les lambris précieux Où la ville Peindra de faux cieux.
Ô, pour ces Ouvriers charmants Sujets d'un roi de Babylone, Vénus! quitte un instant les Amants Dont l'âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers, Porte aux travailleurs l'eau-de-vie, Que leurs forces soient en paix En attendant le bain dans la mer à midi. _______________

      La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe.

     Je m'habituai à l'hallucination simple: je voyais très-franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac; les monstres, les mystères; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi!

     Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots!

     Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J'étais oisif, en proie à une lourde fièvre: j'enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, le sommeil de la virginité!

     Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances: