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Et il s’emportait ; il menaça d’un procès ; il s’indignait avec véhémence. Et le baron, confus, fit des excuses, demanda pardon, et tendit sa main loyale que Julien refusa de prendre.

Quand Jeanne connut la réponse de son mari, elle ne se fâcha point et répondit : « Il ment, papa, mais nous finirons par le convaincre. »

Et pendant deux jours elle fut taciturne, recueillie, méditant.

Puis, le troisième matin, elle voulut voir Rosalie. Le baron refusa de faire monter la bonne, déclara qu’elle était partie.

Jeanne ne céda point, répétant : « Alors qu’on aille la chercher chez elle. »

Et déjà elle s’irritait quand le docteur entra. On lui dit tout pour qu’il jugeât. Mais Jeanne soudain se mit à pleurer, énervée outre mesure, criant presque : « Je veux voir Rosalie : je veux la voir ! »

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Alors le médecin lui prit la main, et, à voix basse :

« Calmez-vous, madame ; toute émotion pourrait devenir grave ; car vous êtes enceinte. »

Elle demeura saisie, comme frappée d’un coup, et il lui sembla tout de suite que quelque chose remuait en elle. Puis elle resta silencieuse, n’écoutant pas même ce qu’on disait, s’enfonçant en sa pensée. Elle ne put dormir de la nuit, tenue en éveil par cette idée nouvelle et singulière qu’un enfant vivait là, dans son ventre ; et triste, peinée qu’il fût le fils de Julien ; inquiète, craignant qu’il ne ressemblât à son père. Au jour venu, elle fit appeler le baron. « Petit père, ma résolution est bien prise ; je veux tout savoir, surtout maintenant ; tu entends, je veux ; et tu sais qu’il ne faut pas me contrarier dans la situation où je suis. Écoute bien. Tu vas aller chercher M. le curé. J’ai besoin de lui pour empêcher Rosalie de mentir ; puis, dès qu’il sera venu, tu la feras monter et tu resteras là avec petite mère.

Surtout veille à ce que Julien n’ait pas de soupçons. »

Une heure plus tard, le prêtre entrait, engraissé encore, soufflant autant que petite mère. Il s’assit près d’elle dans un fauteuil, le ventre tombant entre ses jambes ouvertes ; et il commença par plaisanter, en passant par habitude son mouchoir à carreaux sur son front : « Eh bien, madame la baronne, je crois que nous ne maigrissons pas ; m’est avis que nous faisons la paire. » Puis, se tournant vers le lit de la malade : « Hé ! hé ! qu’est-ce qu’on m’a dit, ma jeune dame, que nous aurions bientôt un nouveau baptême ? Ah ! ah ! ah ! pas d’une barque cette fois. » Et il ajouta d’un ton grave :

« Ce sera un défenseur pour la patrie », puis, après une courte réflexion : « À moins que ce ne soit une bonne mère de famille » ; et, saluant la baronne, « comme vous, madame ».

Mais la porte du fond s’ouvrit. Rosalie, éperdue, larmoyant, refusait d’entrer, cramponnée à l’encadrement, et poussée par le

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baron. Impatienté, il la jeta d’une secousse dans la chambre.

Alors elle se couvrit la face de ses mains et resta debout, sanglotant.

Jeanne, dès qu’elle l’aperçut, se dressa brusquement, s’assit, plus pâle que ses draps ; et son cœur affolé soulevait de ses battements la mince chemise collée à sa peau. Elle ne pouvait parler, respirant à peine, suffoquée. Enfin, elle prononça d’une voix coupée par l’émotion : « Je… je… n’aurais pas… pas besoin… de t’interroger. Il… il me suffit de te voir ainsi… de… de voir ta… ta honte devant moi. »

Après une pause, car le souffle lui manquait, elle reprit :

« Mais je veux tout savoir, tout… tout. J’ai fait venir M. le curé pour que ce soit comme une confession, tu entends. »

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Immobile, Rosalie poussait presque des cris entre ses mains crispées.

Le baron, que la colère gagnait, lui saisit les bras, les écarta violemment, et, la jetant à genoux près du lit : « Parle donc…

Réponds. »

Elle resta par terre, dans la posture qu’on prête aux Madeleines, le bonnet de travers, le tablier sur le parquet, le visage voilé de nouveau de ses mains redevenues libres.

Alors le curé lui parla : « Allons, ma fille, écoute ce qu’on te dit, et réponds. Nous ne voulons pas te faire de mal ; mais on veut savoir ce qui s’est passé. »

Jeanne, penchée au bord de sa couche, la regardait. Elle dit : « C’est bien vrai que tu étais dans le lit de Julien quand je vous ai surpris. »

Rosalie, à travers ses mains, gémit : « Oui, madame. »

Alors, brusquement, la baronne se mit à pleurer aussi avec un gros bruit de suffocation ; et ses sanglots convulsifs accompagnaient ceux de Rosalie.

Jeanne, les yeux droit sur la bonne, demanda :

« Depuis quand cela durait-il ? »

Rosalie balbutia : « Depuis qu’il est v’nu. »

Jeanne ne comprenait pas. « Depuis qu’il est venu…

Alors… depuis… depuis le printemps ?

– Oui, madame.

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– Depuis qu’il est entré dans cette maison ?

– Oui, madame. »

Et Jeanne, comme oppressée de questions, interrogea d’une voix précipitée : « Mais comment cela s’est-il fait ?

Comment te l’a-t-il demandé ? Comment t’a-t-il prise ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ? À quel moment, comment as-tu cédé ? comment as-tu pu te donner à lui ? »

Et Rosalie, écartant ses mains cette fois, saisie aussi d’une fièvre de parler, d’un besoin de répondre :

« J’sais ti mé ? C’est le jour qu’il a dîné ici la première fois, qu’il est v’nu m’trouver dans ma chambre. Il s’était caché dans l’grenier. J’ai pas osé crier pour pas faire d’histoire. Il s’est couché avec mé ; j’savais pu c’que j’faisais à çu moment-là ; il a fait c’qu’il a voulu. J’ai rien dit parce que je le trouvais gentil !

… »

Alors Jeanne, poussant un cri :

« Mais… ton… ton enfant… c’est à lui ?… »

Rosalie sanglota.

« Oui, madame. »

Puis toutes deux se turent.

On n’entendait plus que le bruit des larmes de Rosalie et de la baronne.

Jeanne, accablée, sentit à son tour ses yeux ruisselants ; et les gouttes sans bruit coulèrent sur ses joues.

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L’enfant de sa bonne avait le même père que le sien ! Sa colère était tombée. Elle se sentait maintenant toute pénétrée d’un désespoir morne, lent, profond, infini.

Elle reprit enfin d’une voix changée, mouillée, d’une voix de femme qui pleure :

« Quand nous sommes revenus de… là-bas… du voyage…

quand est-ce qu’il a recommencé ? »

La petite bonne, tout à fait écroulée par terre, balbutia :

« Le… le premier soir, il est v’nu. »

Chaque parole tordait le cœur de Jeanne. Ainsi, le premier soir, le soir du retour aux Peuples, il l’avait quittée pour cette fille. Voilà pourquoi il la laissait dormir seule !

Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre ; elle cria : « Va-t’en, va-t’en ! » Et comme Rosalie ne bougeait point, anéantie, Jeanne appela son père : « Emmène-la, emporte-la. » Mais le curé, qui n’avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon.

« C’est très mal, ce que tu as fait là, ma fille, très mal ; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sitôt. Pense à l’enfer qui t’attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite.