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qu’il avait, et les tours ordinaires de ses ruses. Et comme il se croyait appelé particulièrement à combattre cette Puissance mystérieuse et fatale, il avait appris toutes les formules d’exorcisme indiquées dans les manuels ecclésiastiques.

Il croyait sans cesse sentir errer dans l’ombre le Malin Esprit ; et la phrase latine revenait à tout moment sur ses lèvres : Sicut leo rugiens circuit quaerens quem devoret.

Alors une crainte se répandit, une terreur de sa force cachée. Ses confrères eux-mêmes, prêtres ignorants des campagnes, pour qui Belzébuth est article de foi, qui, troublés par les prescriptions minutieuses des rites en cas de

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manifestation de cette puissance du mal, en arrivent à confondre la religion avec la magie, considéraient l’abbé Tolbiac comme un peu sorcier ; et ils le respectaient autant pour le pouvoir obscur qu’ils lui supposaient que pour l’inattaquable austérité de sa vie.

Quand il rencontrait Jeanne, il ne la saluait pas.

Cette situation inquiétait et désolait tante Lison, qui ne comprenait point, en son âme craintive de vieille fille, qu’on n’allât pas à l’église. Elle était pieuse sans doute, sans doute elle se confessait et communiait ; mais personne ne le savait, ne cherchait à le savoir.

Quand elle se trouvait seule, toute seule avec Paul, elle lui parlait, tout bas, du bon Dieu. Il l’écoutait à peu près quand elle lui racontait les histoires miraculeuses des premiers temps du monde ; mais, quand elle lui disait qu’il faut aimer, beaucoup, beaucoup le bon Dieu, il répondait parfois : « Où qu’il est, tante ? » Alors elle montrait le ciel avec son doigt : « Là-haut, Poulet, mais il ne faut pas le dire. » Elle avait peur du baron.

Mais un jour Poulet lui déclara : « Le bon Dieu, il est partout, mais il est pas dans l’église. » Il avait parlé à son grand-père des révélations mystérieuses de tante.

L’enfant prenait dix ans ; sa mère semblait en avoir quarante. Il était fort, turbulent, hardi pour grimper dans les arbres, mais il ne savait pas grand-chose. Les leçons l’ennuyant, il les interrompait tout de suite. Et, toutes les fois que le baron le retenait un peu longtemps devant un livre, Jeanne aussitôt arrivait, disant : « Laisse-le donc jouer maintenant. Il ne faut pas le fatiguer, il est si jeune. » Pour elle, il avait toujours six mois ou un an. C’est à peine si elle se rendait compte qu’il marchait, courait, parlait comme un petit homme ; et elle vivait dans une peur constante qu’il ne tombât, qu’il n’eût froid, qu’il

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n’eût chaud en s’agitant, qu’il ne mangeât trop pour son estomac, ou trop peu pour sa croissance.

Quand il eut douze ans, une grosse difficulté surgit ; celle de la première communion.

Lise, un matin, vint trouver Jeanne et lui représenta qu’on ne pouvait laisser plus longtemps le petit sans instruction religieuse et sans remplir ses premiers devoirs. Elle argumenta de toutes les façons, invoquant mille raisons, et, avant tout, l’opinion des gens qu’ils voyaient. La mère, troublée, indécise, hésitait, affirmant qu’on pouvait attendre encore.

Mais un mois plus tard, comme elle rendait une visite à la vicomtesse de Briseville, cette dame lui demanda par hasard :

« C’est cette année sans doute que votre Paul va faire sa première communion. » Et Jeanne, prise au dépourvu, répondit : « Oui, madame. » Ce simple mot la décida, et, sans en rien confier à son père, elle pria Lise de conduire l’enfant au catéchisme.

Pendant un mois tout alla bien ; mais Poulet revint un soir avec la gorge enrouée. Et le lendemain il toussait. Sa mère affolée l’interrogea, et elle apprit que le curé l’avait envoyé attendre la fin de la leçon à la porte de l’église dans le courant d’air du porche, parce qu’il s’était mal tenu.

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Elle le garda donc chez elle et lui fit apprendre elle-même cet alphabet de la religion. Mais l’abbé Tolbiac, malgré les supplications de Lison, refusa de l’admettre parmi les communiants, comme étant insuffisamment instruit.

Il en fut de même l’an suivant. Alors le baron, exaspéré, jura que l’enfant n’avait pas besoin de croire à cette niaiserie, à ce symbole puéril de la transsubstantiation, pour être un honnête homme ; et il fut décidé qu’il serait élevé en chrétien, mais non pas en catholique pratiquant, et qu’à sa majorité il demeurerait libre de devenir ce qu’il lui plairait.

Et Jeanne, quelque temps après, ayant fait une visite aux Briseville, n’en reçut point en retour. Elle s’étonna, connaissant la méticuleuse politesse de ses voisins ; mais la marquise de Coutelier lui révéla, avec hauteur, la raison de cette abstention.

Se regardant, par la situation de son mari, et par son titre bien authentique, et par sa fortune considérable, comme une sorte de reine de la noblesse normande, la marquise gouvernait en vraie reine, parlait en liberté, se montrait gracieuse ou cassante, selon les occasions, admonestait, redressait, félicitait à tout propos. Jeanne, donc, s’étant présentée chez elle, cette dame, après quelques paroles glaciales, prononça d’un ton sec :

« La société se divise en deux classes : les gens qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas. Les uns, même les plus humbles, sont nos amis, nos égaux ; les autres ne sont rien pour nous. »

Jeanne, sentant l’attaque, répliqua : « Mais ne peut-on croire en Dieu sans fréquenter les églises ? »

La marquise répondit : « Non, madame ; les fidèles vont prier Dieu dans son église comme on va trouver les hommes en leurs demeures. »

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Jeanne, blessée, reprit : « Dieu est partout, madame.

Quant à moi qui crois, du fond du cœur, à sa bonté, je ne le sens plus présent quand certains prêtres se trouvent entre lui et moi. »

La marquise se leva : « Le prêtre porte le drapeau de l’Église, madame ; quiconque ne suit pas le drapeau est contre lui, et contre nous. »

Jeanne s’était levée à son tour, frémissante : « Vous croyez, madame, au Dieu d’un parti. Moi, je crois au Dieu des honnêtes gens. »

Elle salua et sortit.

Les paysans aussi la blâmaient entre eux de n’avoir point fait faire à Poulet sa première communion. Ils n’allaient point aux offices, n’approchaient point des sacrements, ou bien ne les recevaient qu’à Pâques selon les prescriptions formelles de l’Église ; mais pour les mioches, c’était autre chose ; et tous auraient reculé devant l’audace d’élever un enfant hors de cette loi commune, parce que la Religion, c’est la Religion.

Elle vit bien cette réprobation, et s’indigna en son âme de toutes ces pactisations, de ces arrangements de conscience, de cette universelle peur de tout, de la grande lâcheté gîtée au fond de tous les cœurs, et parée, quand elle se montre, de tant de masques respectables.

Le baron prit la direction des études de Paul, et le mit au latin. La mère n’avait plus qu’une recommandation : « Surtout ne le fatigue pas », et elle rôdait, inquiète, près de la chambre aux leçons, petit père lui en ayant interdit l’entrée parce qu’elle interrompait à tout instant l’enseignement pour demander :

« Tu n’as pas froid aux pieds, Poulet ? » Ou bien : « Tu n’as pas

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mal à la tête, Poulet ? » Ou bien pour arrêter le maître : « Ne le fais pas tant parler, tu vas lui fatiguer la gorge. »

Dès que le petit était libre, il descendait jardiner avec mère et tante. Ils avaient maintenant un grand amour pour la culture de la terre ; et tous trois plantaient des jeunes arbres au printemps, semaient des graines dont l’éclosion et la poussée les passionnaient, taillaient des branches, coupaient des fleurs pour faire des bouquets.