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Elle reçut une lettre de l’abbé Tolbiac : « Madame, la main de Dieu s’est appesantie sur vous. Vous Lui avez refusé votre enfant ; Il vous l’a pris à son tour pour le jeter à une prostituée.

N’ouvrirez-vous pas les yeux à cet enseignement du Ciel ? La miséricorde du Seigneur est infinie. Peut-être vous pardonnera-t-il si vous revenez vous agenouiller devant Lui. Je suis son humble serviteur, je vous ouvrirai la porte de sa demeure quand vous y viendrez frapper. »

Elle demeura longtemps avec cette lettre sur les genoux.

C’était vrai, peut-être, ce que disait ce prêtre. Et toutes les incertitudes religieuses se mirent à déchirer sa conscience. Dieu pouvait-il être vindicatif et jaloux comme les hommes ? mais s’il ne se montrait pas jaloux, personne ne le craindrait, personne ne l’adorerait plus. Pour se faire mieux connaître à nous, sans doute, il se manifestait aux humains avec leurs propres sentiments. Et le doute lâche, qui pousse aux églises les hésitants, les troublés, entrant en elle, elle courut furtivement, un soir, à la nuit tombante, jusqu’au presbytère, et, s’agenouillant aux pieds du maigre abbé, sollicita l’absolution.

Il lui promit un demi-pardon, Dieu ne pouvant déverser toutes ses grâces sur un toit qui recouvrait un homme comme le

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baron : « Vous sentirez bientôt, affirma-t-il, les effets de la Divine Mansuétude. »

Elle reçut, en effet, deux jours plus tard, une lettre de son fils et elle la considéra, dans l’affolement de sa peine, comme le début des soulagements promis par l’abbé.

« Ma chère maman, n’aie pas d’inquiétude. Je suis à Londres, en bonne santé, mais j’ai grand besoin d’argent. Nous n’avons plus un sou et nous ne mangeons pas tous les jours.

Celle qui m’accompagne, et que j’aime de toute mon âme a dépensé tout ce qu’elle avait pour ne pas me quitter : cinq mille francs ; et tu comprends que je suis engagé d’honneur à lui rendre cette somme d’abord. Tu serais donc bien aimable de m’avancer une quinzaine de mille francs sur l’héritage de papa, puisque je vais être bientôt majeur ; tu me tireras d’un grand embarras.

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« Adieu, ma chère maman, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que grand-père et tante Lison. J’espère te revoir bientôt.

« Ton fils,

Vicomte Paul de LAMARE. »

Il lui avait écrit ! Donc il ne l’oubliait pas. Elle ne songea point qu’il demandait de l’argent. On lui en enverrait puisqu’il n’en avait plus. Qu’importait l’argent ! Il lui avait écrit !

Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron.

Tante Lison fut appelée ; et on relut, mot à mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme.

Jeanne, sautant de la complète désespérance à une sorte d’enivrement d’espoir, défendait Paul :

« Il reviendra, il va revenir puisqu’il écrit. »

Le baron, plus calme, prononça : « C’est égal, il nous a quittés pour cette créature. Il l’aime donc mieux que nous, puisqu’il n’a pas hésité. »

Une douleur subite et épouvantable traversa le cœur de Jeanne ; et tout de suite une haine s’alluma en elle contre cette maîtresse qui lui volait son fils, une haine inapaisable, sauvage, une haine de mère jalouse. Jusqu’alors toute sa pensée avait été pour Paul. À peine songeait-elle qu’une drôlesse était la cause de ses égarements. Mais soudain cette réflexion du baron avait évoqué cette rivale, lui avait révélé sa puissance fatale ; et elle sentit qu’entre cette femme et elle une lutte commençait, acharnée, et elle sentait aussi qu’elle aimerait mieux perdre son fils que de le partager avec l’autre.

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Ils envoyèrent les quinze mille francs et ne reçurent plus de nouvelles pendant cinq mois.

Puis, un homme d’affaires se présenta pour régler les détails de la succession de Julien. Jeanne et le baron rendirent les comptes sans discuter, abandonnant même l’usufruit qui revenait à la mère. Et, rentré à Paris, Paul toucha cent vingt mille francs. Il écrivit alors quatre lettres en six mois, donnant de ses nouvelles en style concis et terminant par de froides protestations de tendresse : « Je travaille, affirmait-il ; j’ai trouvé une position à la Bourse. J’espère aller vous embrasser quelque jour aux Peuples, mes chers parents. »

Il ne disait pas un mot de sa maîtresse ; et ce silence signifiait plus que s’il eût parlé d’elle durant quatre pages.

Jeanne, dans ces lettres glacées, sentait cette femme, embusquée, implacable, l’ennemie éternelle des mères, la fille.

Les trois solitaires discutaient sur ce qu’on pouvait faire pour sauver Paul ; et ils ne trouvaient rien. Un voyage à Paris ?

À quoi bon ?

Le baron disait : « Il faut laisser s’user sa passion. Il nous reviendra tout seul. »

Et leur vie était lamentable.

Jeanne et Lison allaient ensemble à l’église en se cachant du baron.

Un temps assez long s’écoula sans nouvelles, puis, un matin, une lettre désespérée les terrifia.

« Ma pauvre maman, je suis perdu, je n’ai plus qu’à me brûler la cervelle si tu ne viens pas à mon secours. Une

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spéculation qui présentait pour moi toutes les chances de succès vient d’échouer ; et je dois quatre-vingt-cinq mille francs. C’est le déshonneur si je ne paie pas, la ruine, l’impossibilité de rien faire désormais. Je suis perdu. Je te le répète, je me brûlerai la cervelle plutôt que de survivre à cette honte. Je l’aurais peut-

être fait déjà sans les encouragements d’une femme dont je ne parle jamais et qui est ma Providence.

« Je t’embrasse du fond du cœur, ma chère maman ; c’est peut-être pour toujours. Adieu.

« PAUL. »

Des liasses de papiers d’affaires joints à cette lettre donnaient des explications détaillées sur le désastre.

Le baron répondit poste pour poste qu’on allait aviser. Puis il partit pour Le Havre afin de se renseigner ; et il hypothéqua des terres pour se procurer de l’argent qui fut envoyé à Paul.

Le jeune homme répondit trois lettres de remerciements enthousiastes et de tendresses passionnées, annonçant sa venue immédiate pour embrasser ses chers parents.

Il ne vint pas.

Une année entière s’écoula.

Jeanne et le baron allaient partir pour Paris afin de le trouver et de tenter un dernier effort quand on apprit par un mot qu’il était à Londres de nouveau, montant une entreprise de paquebots à vapeur, sous la raison sociale « Paul Delamare et Cie ». Il écrivait : « C’est la fortune assurée pour moi, peut-être la richesse. Et je ne risque rien. Vous voyez d’ici tous les avantages. Quand je vous reverrai, j’aurai une belle position

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dans le monde. Il n’y a que les affaires pour se tirer d’embarras aujourd’hui. »

Trois mois plus tard, la compagnie de paquebots était mise en faillite et le directeur poursuivi pour irrégularités dans les écritures commerciales. Jeanne eut une crise de nerfs qui dura plusieurs heures ; puis elle prit le lit.

Le baron repartit au Havre, s’informa, vit des avocats, des hommes d’affaires, des avoués, des huissiers, constata que le déficit de la société Delamare était de deux cent trente-cinq mille francs, et il hypothéqua de nouveau ses biens. Le château des Peuples et les deux fermes furent grevés pour une grosse somme.

Un soir, comme il réglait les dernières formalités dans le cabinet d’un homme d’affaires, il roula sur le parquet, frappé d’une attaque d’apoplexie.

Jeanne fut prévenue par un cavalier. Quand elle arriva, il était mort.

Elle le ramena aux Peuples, tellement anéantie que sa douleur était plutôt de l’engourdissement que du désespoir.