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Lou me regarde droit dans les yeux et réclame des baisers papillon. Je cligne des paupières sur ses joues. Puis elle réclame la petite bête qui monte qui monte. Je m’exécute. « Encore. » Elle glousse quand mes doigts chatouillent son cou. « Encore. » J’aime ce délicieux moment matinal où Lou me préfère à Tchoupi.

Je profite de ces commencements qui vivifient mon agonie.

La première étape de ma quête d’éternité consista à effectuer un check-up chez le médecin préféré des stars au service d’explorations fonctionnelles et de médecine prédictive de l’hôpital européen Georges-Pompidou, dans le 15e arrondissement de Paris, près de l’ancien siège social de Canal +, dessiné par Richard Meier, studio où se tournent à la fois mon émission et « Quotidien » de Yann Barthès.

Frédéric Saldmann est un cardiologue et nutritionniste célèbre dont le premier livre, Le meilleur médicament, c’est vous, s’est écoulé à 550 000 exemplaires. En principe, il faut deux ans d’attente pour obtenir une consultation avec lui, mais je suis une célébrité et nous ne vivons pas dans un système tout à fait démocratique. J’avais tendance à faire confiance à Saldmann. Un médecin aussi exposé médiatiquement sera plus vigilant que ses confrères : il sait que mon trépas nuirait grandement à sa réputation.

L’hôpital de verre et d’acier ressemblait à un gigantesque vaisseau spatial hérissé de structures tubulaires comme le terminal 2E de l’aéroport Charles de Gaulle. Au centre, deux palmiers géants apportaient une touche d’exotisme écologique. Ce décor aurait été parfait pour tourner un clip de U2 ou héberger une fondation d’art contemporain. Le design faisait partie de l’utopie, il fallait du spectacle sinon personne n’y croirait : la médecine a peu évolué depuis les pièces de Molière. C’est à l’hôpital Pompidou que le premier cœur artificiel total Carmat a été implanté. Certes, le patient greffé est mort trois mois plus tard, mais la tentative était louable. Les Échos ont même cité cet établissement futuriste, dans leur édition du 24 octobre 2016 : « Les espoirs les plus fous de régénérescence tissulaire ont été ravivés au début de l’année après la présentation, au service du professeur Philippe Menasché à l’hôpital européen Georges-Pompidou, de la première patiente victime d’un infarctus et traitée avec succès à l’aide de cellules cardiaques dérivées de cellules souches embryonnaires humaines. » Je sais où prolonger maman si son cœur se remet à tousser.

Dans le couloir du 2e étage, bâtiment C, je suis passé devant le service de « Pharmacologie/Toxicologie ». Je l’ai pris pour un avertissement personnel. En traversant le hall d’accueil, j’ai croisé beaucoup de vieillards qui tremblaient, courbés ; ils ne semblaient pas savoir qu’on n’était plus obligé d’y passer. Des internes couraient vers des microscopes électroniques mais la star de l’étage se tenait debout, immobile, devant moi. Âgé de soixante-quatre ans, le docteur Saldmann en fait dix de moins. Mince, enjoué, le médecin d’Alain Delon, Sophie Marceau, Bernard-Henri Lévy, Isabelle Adjani, Jean-Paul Belmondo et Roman Polanski m’a tendu la main pour m’entraîner dans son petit bureau. Ici l’on ne lavait pas les draps souillés de personnes grabataires ; l’on envisageait le prolongement de l’humanité par d’autres moyens que la couche « Confiance ». Saldmann portait une blouse blanche et des lunettes à monture d’acier chromé. Il m’a rappelé Michael York dans L’Âge de cristal. L’éternité passe par un look de science-fiction clean. Je préfère le mot « clean » au mot « propre » car on entend « clinique ». Il a pris ma tension : élevée. Mon électrocardiogramme : banal.

Ensuite il m’a fait une échographie de l’abdomen avec une sonde gluante et gelée. Le seul truc qui ne va pas chez lui, c’est sa calvitie : on apercevait son crâne à travers ses cheveux. En revanche, son sourire était malicieux, probablement à cause de ses incisives écartées. Pour un médecin qui promettait la longévité, avoir les « dents du bonheur » est un gage de crédibilité. Sur un moniteur, il a regardé mon estomac, ma vésicule biliaire, mon pancréas et ma prostate — des nuages qui ondulaient en noir et blanc, comme dans un tableau de Soulages. Tous mes organes fonctionnaient correctement, m’a-t-il dit, sauf un qui émettait des gargouillis bizarres.

— Ton foie est un peu gras.

— J’en mange tout le temps.

— Si c’est celui d’un canard, c’est meilleur que si c’est le tien. Le foie, c’est ce qui filtre les déchets. Le tien est comme une passoire bouchée.

Il m’a montré la photo d’un vieux morceau de viande pourrie, vert et jaune. L’image rappelait les organes glauques qu’on met sur les paquets de cigarettes pour terroriser les disciples d’Humphrey Bogart (référence de vieux).

— Ton foie ressemble à ça. Déjà que t’es bizarre à l’extérieur, sache que c’est pire dedans.

Là, je commençai à bouder. Une des conséquences les plus exaspérantes de mon métier d’animateur impertinent, c’est que mes relations se croyaient autorisées à l’être avec moi.

— Ne fais pas ta tête de victime, a-t-il dit. Il faut cinq cents jours pour refaire un foie neuf. Tu vas juste être obligé de modifier tes habitudes alimentaires. Si tu fais ce que je te dis, tu retrouveras ton foie de jeune homme glabre, élevé à l’eau d’Évian en bouteilles de verre. Viens, on passe au test d’effort.

Il m’a fait monter sur un vélo elliptique. Au bout d’une minute de pédalage, mon cœur battait à 180 bpm. Il m’a supplié de descendre très vite.

— Au secours, il va nous faire un René Goscinny !

— Mais c’est normal, je ne cours jamais.

— Je t’interdis d’avoir ton infarctus sur mon lieu de travail.

Le décès de l’auteur d’Astérix sur un vélo en plein test d’effort est le cauchemar de tous les cardiologues depuis 1977. Il avait cinquante et un ans : mon âge.

— Bon, allez, on fait un check-up complet. Avec un scan du cœur. J’aimerais voir la tête de tes coronaires.

Je suis ressorti déprimé. Le lendemain matin, je me suis rendu à jeun dans un laboratoire d’analyses pour effectuer une prise de sang, des analyses d’urine et un prélèvement de mes selles. Au bout de quelques jours, j’ai fini par trouver une certaine sensualité à la jeune laborantine à qui je tendais quotidiennement un flacon contenant ma crotte avec mon nom étiqueté dessus. Cette humiliation communément appelée « vieillesse » avait quelque chose d’une perversion sexuelle particulièrement tordue — jamais je n’aurais imaginé que j’en viendrais à trouver sexy de chier tous les matins dans une boîte en plastique pour savoir combien de temps il me restait à vivre. Nous n’avons pas abordé le sujet mais j’ai senti une sorte de connivence scatologique se développer entre elle et moi.

Je suis aussi allé effectuer un coroscanner à l’institut Labrouste. On m’a injecté un produit iodé pour visualiser ma cage thoracique en 3D. Allongé en apnée dans un cercle de rayons radioactifs, j’ai avisé un panneau qui m’ordonnait de ne pas regarder le laser. Inévitablement, je cherchai alors des yeux le sabre de Dark Vador. Un quart d’heure après, je contemplais mon cœur, mon aorte et mes artères sur des écrans à cristaux liquides. On aurait dit un jarret de veau. Au technicien qui observait l’imagerie sur écran, j’ai déclaré :