— Alors ? ai-je insisté. C’est normal que ta mère refasse sa vie.
— Alors quoi ?
— Alors tu promets de ne plus jamais te sauver ?
— J’ai une coquille et je commence par un O.
— Pardon ?
— Allez… J’ai une coquille et je commence par un O, trouve !
— Oursin ? Ormeau ?
— Non c’est en quatre lettres. Allez papa, t’as plus que dix secondes !
— Œuf ?
— Ouah trop bien !
— Allez, promis ?
— OK… T’es meilleur que maman à ce jeu.
Je me suis levé du lit de ma fille pour crier dans le couloir :
— Clémentine ? Pouvez-vous aider Romy à préparer sa valise ? On part en voyage. Ah : et aussi, nous allons nous passer de vos services à présent. Comme dirait un animateur de télévision devenu président des États-Unis : vous êtes virée.
4
NOBODY FUCKS WITH THE JESUS
(Hôpital hébraïque de Jérusalem)
« N’est pas mort pour toujours qui dort dans l’Éternel
Et d’étranges éons rendent la mort mortelle. »
De quoi mourons-nous principalement ? La revue médicale britannique The Lancet a publié en 2014 une étude financée par la fondation Bill Gates : 800 chercheurs internationaux ont passé en revue 240 causes de décès dans 188 pays du monde. Le quarté gagnant n’a rien de surprenant : c’est d’abord notre cœur qui lâche (maladies cardiaques : 8 millions de morts en 2013), ensuite notre cerveau qui grille (AVC : 6 millions de morts), le poumon qui s’asphyxie (3 millions), puis la maladie d’Alzheimer (1,6 million). Les accidents de la route n’arrivent qu’en 7e position (1,3 million de morts), ex aequo avec le sida.
J’ai écrit au professeur israélien spécialisé dans le rajeunissement des cellules, dont ma psy m’avait donné l’e-mail.
« Docteur Buganim, je vous contacte de la part d’une psychiatre que vous connaissez, le docteur Enkidu de Paris, j’espère que cette recommandation ne vous inquiétera pas. Accepteriez-vous de me recevoir pour reporter ma mort ? Mon budget est conséquent. À ce propos, j’aimerais bien savoir : combien coûte la vie éternelle ? Soyez bien aimable de me renvoyer un devis d’immortalité par retour de courrier. All the best. »
Quand vous adressez ce genre de mail à un grand ponte des biotechnologies, soit il vous dégage dans ses spams, soit il vous rappelle dans l’heure parce qu’il est toujours distrayant de dialoguer avec des aliénés. Le docteur Yossi Buganim m’a répondu dans le quart d’heure. Inquiet, il me demandait pourquoi Mrs Enkidu m’avait parlé de lui, et si je pouvais lui adresser un mail de confirmation en provenance de la responsable des relations extérieures de l’Université hébraïque de Jérusalem. J’avais tout d’un coup l’impression d’être dans un roman d’espionnage. Le monde de la recherche en biologie est aujourd’hui très paranoïaque : la quête d’éternité est une course lancée entre Chinois, Suisses, Américains et Israéliens (les Français sont à la remorque : pas assez de moyens et trop d’éthique). Dans cette guerre scientifique, il y a des fraudes, des effets d’annonce bidon (comme la découverte des nouveaux ciseaux génomiques NgAgo par Han Chunyu de l’université de Shijiazhuang), des coups de pub hasardeux, beaucoup d’intox et d’espionnage. La science génétique est un marathon pire que la course aux Oscars. Le docteur Yossi Buganim a reçu en 2016 un prix du magazine Science : il est un des chercheurs les plus avancés au monde dans le domaine de la création de cellules iPS. J’ai donc adressé un mail à la dircom de son laboratoire.
« Précisez bien au docteur que je ne suis pas malade. Je ne lui demande pas de me guérir, mais de me prolonger. Nous préparons un grand documentaire sur l’immortalité et je veux juste savoir si l’injection de cellules souches peut me permettre de freiner mon vieillissement. Ma fille m’accompagnera au rendez-vous : ses cellules sont nettement plus fraîches que les miennes. Merci de me proposer plusieurs dates. Nous sommes disponibles dans l’immédiat. »
Un peu de pédagogie sur les cellules souches. Ne vous inquiétez pas : je ne vais pas vous recopier la fiche Wikipédia, qui est incompréhensible. En 1953, un biologiste américain nommé Leroy Stevens, qui faisait des expériences sur l’influence néfaste de la cigarette sur des souris dans le Maine, en aperçoit une avec un gros scrotum. Il la tue, l’ouvre en deux : en fait elle est atteinte d’une tumeur des couilles. Bon, déjà, ce symptôme confirme que fumer est dangereux pour la santé. Mais Stevens constate que la tumeur de la souris est bizarre. À l’intérieur, elle contient des cheveux, des bouts d’os et des dents. What the fuck ?! Il fait fumer des cigarettes à d’autres souris, dissèque d’autres tumeurs, qui cette fois ressemblent à des embryons. C’est Alien en miniature. Il décide alors de transplanter cette tumeur sur des souris plus jeunes, pour voir ce qui se produira — et aussi parce qu’il n’existe pas encore de Déclaration Universelle des Droits de la Souris. Il constate alors que les tumeurs s’adaptent à leur nouvel environnement, et se développent comme des embryons ratés et répugnants, toujours chevelus et dentés. On savait rigoler à Bar Harbor (Maine) à l’époque. Leroy Stevens venait de découvrir les cellules souches. Pour simplifier, nous les humains, sommes des animaux multicellulaires : de grandes souris composées de 75 000 milliards de cellules. Dès l’embryon, nos cellules se répliquent indéfiniment et sont capables de se transformer en n’importe quoi : os, foie, cœur, yeux, peau, dents, une chevelure ondoyante, ta chatte. (Pardon pour ce subterfuge destiné à réveiller l’attention de mon lecteur.) Supposons que quelqu’un parvienne à contrôler ces cellules souches, il pourrait soit nous sauver la vie (par exemple, en reconstituant un organe défectueux), soit nous transformer en tumeurs géantes et visqueuses. Attention : c’est ici que le jeu se complique. Les cellules souches prolifèrent dans l’embryon mais on ne va pas tuer des milliers de fœtus pour voler leurs cellules : même si l’idée semble logique — nous verrons plus loin que la lutte contre le vieillissement a quelque chose de vampirique —, ce serait amoral et d’ailleurs c’est interdit en France par la loi bioéthique de 2004. La question du clonage humain s’est posée il y a dix ans pour cultiver les cellules souches mais en 2006, deux savants japonais ont trouvé une autre solution. Kazutoshi Takahashi et Shinya Yamanaka, de l’université de Kyoto, ont réussi à rajeunir des cellules d’adultes prélevées sur la peau, en les « reprogrammant » en iPS (Induced Pluripotent Stem Cells = Cellules souches pluripotentes induites). Pour simplifier, les Japonais ont exercé une manipulation génétique en injectant quatre facteurs (Oct3/4, Sox2, Klf4 et c-Myc) permettant de transformer des cellules adultes en cellules de bébé « tout-terrain », capables de s’adapter n’importe où et de s’autorenouveler. Yamanaka a reçu le prix Nobel de médecine en 2012 pour cet exploit. Et voici pourquoi, depuis cinq ans, des milliers de biologistes torturent des millions de souris dans le monde entier en espérant trouver la pierre philosophale. Pigé ? Fin de la parenthèse pédagogique. Maintenant, j’attends mon Nobel de la vulgarisation.
La business class qui nous a emmenés à Tel-Aviv était remplie d’hommes d’affaires qui lisaient Le Charme discret de l’intestin. Beaucoup portaient une kippa. Dans la carlingue, j’étais entouré d’êtres mortels que la mort n’effrayait pas. Les juifs frôlent la mort à chaque coin de rue ; ils semblent accoutumés à sa fréquentation. On dirait qu’elle ne leur fait ni chaud, ni froid. Contrairement à Romy, je ne trouve pas que « mortel » soit synonyme de « génial ». De même, je déteste quand elle perd au jeu vidéo, car elle emploie alors cette expression débile :