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— Mais c’est passé complètement inaperçu !

— La découverte de Yamanaka a rendu obsolète cette piste… pour l’instant.

— Mais vous, dans votre labo, vous utilisez des souris clonées ou des souris reprogrammées ?

— Les deux. En 2009, une souris entièrement faite de cellules reprogrammées est née. Elle était fonctionnelle, vivante, et pouvait se reproduire. En 2011, on a fabriqué un larynx, en 2012 recréé une thyroïde. Il y a dix-huit mois, un foie de souris a été artificiellement recréé par iPS. Ce truc est hallucinant. Mais le problème avec les cellules iPS c’est que seulement 30 % d’entre elles peuvent fabriquer une souris entière. La grande majorité des iPS ne donnera que des embryons retardés ou des embryons qui mourront pendant la grossesse. Donc les cellules iPS ne sont pas de la meilleure qualité. Alors que si vous prenez de vraies cellules embryonnaires du blastocyste, presque toutes vont générer une souris entière par clonage.

— Je ne comprends pas. Je vous parle de prolonger la vie et vous me faites l’éloge du clonage ?

— Non. Je veux juste dire que nous n’avons toujours pas trouvé les meilleures conditions pour régénérer nos cellules. Le concept est là mais nous n’avons pas encore le bon moyen. Le but du clonage comme de la reprogrammation, c’est de revenir au point de départ. C’est ce qu’on appelle le « reset ».

— I want a reset, doctor ! It’s time to reboot me ! Moi 2.0 !

Le professeur Buganim me prenait définitivement pour un demeuré. Romy était sur son portable en train de jouer à Brick Breaker. D’une certaine façon, cela me rassura : il était plus urgent à ses yeux de descendre ce mur de briques rouges qui tintaient dans son téléphone que d’en savoir davantage sur le reseting de nos existences.

— Si je comprends bien, Professeur, ni le clonage humain, ni la reprogrammation n’apportent l’immortalité.

— C’est juste. Un clone vous ressemblera parfaitement mais il faut lui donner la vie : neuf mois de grossesse, l’accouchement, l’éducation, l’alimentation, tout recommence à zéro. Le clone aura votre apparence mais ne sera jamais vous. D’ailleurs nous n’employons plus ce terme, qui fait trop scandale. Nous préférons dire « somatic cell nuclear transfer » mais cela revient exactement au même. Effectivement, la brebis Dolly c’était en 1996, depuis on est passé à autre chose ; nous cherchons à générer le maximum de cellules rajeunies de bonne qualité pour espérer les réimplanter de façon saine.

— Vous venez de me dire que si vous m’injectiez des cellules iPS, j’attraperais une tumeur. Alors non merci !

— (Rires) Supposons que vous ayez la maladie de Parkinson, vous tremblez de partout et je vous injecte des neurones génétiquement modifiés qui diminuent vos symptômes. Vous serez très content, même si vous développez une tumeur dix ans plus tard. Ici nous avons découvert quatre gènes (Sall4, Nanog, Esrrb et Lin28) capables de créer des cellules iPS de meilleure qualité. Pour l’instant elles tiennent sur des souris clonées.

— C’est ce qui vous a valu le prix de la revue Science.

— Voilà. Nous essayons d’autres facteurs que Yamanaka.

— Et pourquoi ça met trois semaines alors qu’un œuf met trois jours ?

— La reprogrammation est plus lente que la programmation ! Et en plus, durant cette période il peut y avoir des mutations de l’ADN, des aberrations ; il faut pouvoir mieux contrôler cette opération.

— L’immortalité est un processus long et difficile.

— Je ne recherche pas l’immortalité. Je cherche à prendre une cellule de peau d’un patient atteint de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer et à la reprogrammer en cellule iPS de neurone afin d’étudier des neurones atteints de Parkinson ou Alzheimer. En étudiant ces neurones génétiquement rajeunis, je pourrais peut-être soigner la maladie. Trouver de nouvelles molécules qui nous en débarrassent. Et puis il y a cet autre rêve : la médecine régénérative. On peut essayer de réparer le neurone afin de le réimplanter dans le cerveau du malade.

— Ah. On y vient. Cela a quelque chose à voir avec l’invention des deux chercheuses en 2012 ? Le CRISPR-Cas9 ?

Ici je crains d’avoir définitivement semé mon vaillant lectorat. Résumons l’état de la génétique actuelle en quelques mots : en 2012 (grande année puisque c’est aussi celle du Nobel de Yamanaka) deux biologistes, Jennifer Doudna (une Californienne) et Emmanuelle Charpentier (une Française), ont développé une technique pour découper l’ADN et y réintroduire un gène corrigé. Ayant constaté des répétitions palindromiques (c’est-à-dire des répétitions inversées des lettres A,C,T et G) en séquençant l’ADN de bactéries, elles lui ont donné ce nom : CRISPR, qui est l’acronyme de « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats » (ce qui, bien sûr, signifie « Répétition de palindromes courts à espacements réguliers groupés »). Ne me demandez surtout pas de vous expliquer comment — il nous faudrait à tous dix années d’études pour y comprendre quoi que ce soit — les deux chercheuses se sont servies de CRISPR pour découper un gène dans l’ADN. « Cas9 » est le nom de la protéine utilisée durant l’opération. Cette technique nouvelle a considérablement simplifié la modification génétique de l’être humain. Yossi Buganim paraissait épaté que je connaisse aussi bien les avancées de la science alors que j’avais simplement demandé à mon assistante de me préparer des fiches avant le voyage. Il conversait à présent sans vulgariser, comme s’il discutait avec un confrère au congrès « Healthcare » sponsorisé par J.P. Morgan tous les ans à San Francisco.

— Imaginons un ADN mutant de patient parkinsonien, dit-il, nous pouvons théoriquement le soigner en introduisant un nouvel ADN à la place. Avec la protéine Cas9 guidée par l’ARN, on coupe l’ADN et on le corrige. On se sert de ça tous les jours maintenant.

— Cela ne vous effraie pas de créer un HGM (Humain Génétiquement Modifié) ? Les Américains, les Chinois et les Anglais ont recommandé un moratoire sur les manipulations génétiques de l’humain.

— (Sourire) En Chine, le docteur Lu You, à l’université de Chengdu, effectue ce mois-ci une modification des lymphocytes T sur des malades souffrant de cancer du poumon métastasé ne réagissant à aucune chimiothérapie. Avec une prise de sang, ils prélèvent des cellules T du patient et modifient dans l’ADN le gène PD1 qui « protège » le cancer. En réinjectant ces cellules génétiquement modifiées, ils supposent que la protéine ne pourra plus dire aux cellules T de ne pas attaquer la tumeur.

— L’expérience a lieu en ce moment ?

— Oui. Ils ont commencé les tests sur les humains. Théoriquement ça pourrait marcher, mais en même temps, comme les cellules n’auront plus ce signal « ne m’attaquez pas », il y a un risque que les cellules génétiquement modifiées attaquent des cellules saines… D’où un risque de maladies auto-immunes.

— Pourquoi ne tentez-vous pas de telles expérimentations ici à Jérusalem ?

— Nous n’obtiendrons pas l’autorisation avant des années. Aux États-Unis, des essais similaires d’immunothérapie sur des leucémiques (le protocole « Rocket ») ont été interrompus après la mort de cinq patients. Et puis il y a des tragédies, des charlatans. Une famille de Russes vivant ici, en Israël, dont le fils avait une maladie neurodégénérative, a payé une fortune pour faire injecter des cellules souches au Kazakhstan. Lorsque le garçon est revenu, il a fallu l’admettre en urgence au Sheba Hospital : il avait deux tumeurs au cerveau. Il est mort peu après.