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Gallaher ne semblait pas convaincu. En retrait, Culhane comptait les points.

— La palissade dont vous parlez donne sur le jardin des voisins, reprit le chef du Département. On n’a retrouvé aucune empreinte de pas, ni le long des rosiers qui bordent l’enceinte ni ailleurs. Sans compter qu’en suivant votre hypothèse il a bien fallu l’escalader cette palissade. Près de quatre mètres de haut, parfaitement lisse : impossible d’y grimper à mains nues. Quant à l’éventualité d’un grappin, on aurait décelé des marques sur l’arête de la palissade.

— Sauf si l’on sait grimper aux arbres, avança Osborne. Il y a un nikau pas très loin de la palissade. En s’introduisant chez les voisins, il suffit d’y grimper et de se laisser pendre aux branches pour atteindre le mur d’enceinte. L’opération est délicate mais pour quelqu’un d’agile, ça reste dans le domaine du possible.

Le crâne de Gallaher luisait de sueur.

— Vous oubliez que personne n’a dérobé les clés de la famille Melrose, dit-il. Ils sont formels.

— Quelqu’un peut avoir fait des doubles.

— Ils le sauraient, non ?

— Pas forcément.

— Vous pensez à quoi ?

— La même chose que vous.

Melanie Melrose.

— Ça ne tient pas debout, fit Gallaher.

— Eh bien tant pis.

— Ce n’est pas une réponse, siffla-t-il en retour. On vous a mis sur cette affaire pour vos prétendues connaissances de la question maorie. Alors ? Il y avait d’autres objets de valeur chez Melrose, parmi lesquels d’autres reliques d’origine autochtone : pourquoi n’a-t-on volé que cette hache ?

Osborne cracha la fumée vers le bureau.

— Pour sa valeur symbolique, j’imagine. La relique appartenait jadis à un chef de la tribu ngati kahungunu : quelqu’un a pu chercher à la récupérer, estimant qu’un tel objet n’avait rien à faire chez un personnage comme Melrose.

— Que voulez-vous dire ?

— Que Melrose n’est pas à proprement parler un admirateur de la culture maorie.

— Il collectionne pourtant les objets d’art.

— Comme un chasseur les trophées.

Le chef du Département criminel s’adossa contre son fauteuil.

— Ainsi, quelqu’un aurait voulu récupérer une arme ancestrale dans le seul but de l’arracher aux mains d’un collectionneur trop zélé ?

— En quelque sorte…

Mais Gallaher n’aimait pas les approximations.

— L’œuvre d’un activiste maori ou d’un désaxé ?

— Peut-être les deux, répondit Osborne.

— Vous avez une piste ?

— Des membres de la tribu ngati kahungunu, peut-être. Il y a des détails qui ne ressemblent pas encore à des indices : reste à les vérifier.

Ses yeux d’anguille le scrutèrent :

— Des détails de quel ordre ?

— Je vous le dirai quand j’aurai fait le tour de la communauté. Pour le moment je patauge.

L’odeur de Gallaher imprégnait la pièce, mélange de menthol et d’after-shave bon marché. Il pivota sur son fauteuil rotatif comme un vendeur qui baratine.

— Votre rapport est succinct, Osborne, conclut-il. Nick Melrose est furieux au sujet de vos méthodes et je ne tiens pas à ce que la réputation de mon service soit mise en cause.

— La réputation de votre service ?

— Oui, rétorqua-t-il d’un air pincé. Je sais que c’est pour vous quelque chose d’insignifiant, mais aujourd’hui c’est moi le responsable de ce foutu service et je ne me laisserai pas pourrir la vie par qui que ce soit. Vous avez été envoyé sur cette affaire pour trouver une piste et éventuellement la relique de Nick Melrose, pas pour harceler sa fille. (Il le menaça du doigt.) Que les choses soient claires : au prochain faux pas, on vous renvoie d’où vous venez, compris ? Vous n’êtes plus la vedette ici, c’est fini !

Gallaher attendait une réponse de son ennemi intime, qui ne vint pas — Osborne avait bien assez à faire avec lui-même…

*

Le port de Freemans Bay s’était considérablement agrandi après la première victoire de Peter Blake à l’America’s Cup. Tout un business s’était depuis créé autour des jusqu’alors invincibles Néo-Zélandais, des pontons pour accueillir les bolides mais aussi bars, restaurants à la mode world food et une promenade que des groupes de jazz se chargeaient d’égayer. Au bout des quais, les hangars aux couleurs des sponsors abritaient les outsiders de la prochaine édition, les quilles bâchées…

Osborne avala un verre d’eau fraîche pour faire passer la benzodiazépine et commanda un café à la fille en minijupe qui déambulait entre les tables encore désertes. Ils venaient de prendre place à l’une des terrasses qui donnaient sur le port, en quête d’un café digne de ce nom. Le labrador couché à ses pieds, Culhane évoquait l’affaire Melrose mais Osborne n’écoutait pas. Des chevaux sauvages dans la tête, il alluma une cigarette.

— Et la noyée, dit-il au bout d’un moment : tu as des nouvelles ?

Culhane avait ouvert son carnet.

— On a retrouvé un billet d’avion chez elle, à destination de Tahiti, dit-il en tournant les pages. Le départ était prévu dimanche dernier, ce qui colle avec la date du décès : Johann Griffith a été vue pour la dernière fois le samedi soir, à un dîner chez des amis où elle parlait de son voyage. D’après eux, Johann était bonne nageuse et aimait se baigner sur la côte ouest : Piha, Karekare… Le vol pour Tahiti était prévu à sept heures du soir, poursuivit le rouquin. J’imagine qu’elle aura voulu profiter du dimanche pour se baigner avant de partir, sans se méfier des courants qui sévissaient ce jour-là. J’ai vérifié la météo : le temps était instable et les vents violents sur la côte. Quant au sang qui aurait attiré les squales, elle a pu s’écorcher sur un rocher avant d’être emportée au large…

Culhane avait mené sa petite enquête. Elle corroborait la thèse de la noyade.

— On a commencé à reconstituer son emploi du temps le jour de la noyade, continua le sergent. Il semblerait que Griffith ait pris sa voiture pour se rendre à Karekare, tôt le matin. Quand les voisins se sont réveillés le dimanche matin, vers neuf heures, la Volvo n’était plus dans l’allée. De fait, puisqu’on l’a retrouvée en bordure du camping qui longe la plage. Avec la cohue des vacances, personne n’avait remarqué son stationnement prolongé…

Osborne revenait à la vie, comme on sort de l’hiver.

— Le billet d’avion a été retrouvé chez elle ?

— Oui. Il était dans son sac à main.

— Et le sac de voyage ?

— Bouclé. Dans la chambre…

Osborne ôta ses lunettes, se massa les sinus mais une douleur inédite le remit à sa place.

— Comment tu expliques qu’après une soirée arrosée une femme qui s’apprête à partir en voyage à Tahiti se lève aux aurores pour aller se baigner à quarante kilomètres de son domicile sur une plage réputée dangereuse alors que le temps est mauvais ?

— Il ne l’était pas à l’aube, répondit Tom. Johann Griffith s’est fait surprendre, comme pas mal de surfeurs d’ailleurs : deux types ont été sauvés de justesse ce jour-là. Quant au fait qu’elle se soit levée tôt, Griffith avait sans doute besoin de se dégriser un peu avant de partir…