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Osborne avait mis Culhane sur le coup. On verrait bien ce qui arriverait.

*

— Allô Josie ?

— Bonjour capitaine !

Cette manie qu’elle avait de l’appeler par son grade…

— Mark va bien ? demanda Timu.

— Oh oui ! Aujourd’hui on a fait un atelier peinture : il adore ! Vous voulez que je l’appelle ? Il est en salle de télé avec les autres mais j’en ai pour deux minutes…

— Non non, ne le dérangez pas ! Dites-lui simplement que je vais passer tout à l’heure. Vers six heures.

— Pas plus tard, hein ! materna-t-elle joyeusement. On mange à sept et vous savez que Mark n’aime pas être dérangé durant les repas !

— Je serai là à six heures.

Le Maori salua l’éducatrice spécialisée et raccrocha, les dents serrées — sa vessie lui faisait mal. Il avala un des cachets du docteur Beevan et put bientôt marcher normalement.

À cinquante-trois ans, Jon Timu ne se sentait pas vieux, simplement malade. C’était ça et seulement ça, la vieillesse. Cet état latent qui en douce vous exclut de la communauté des bien portants, des bien vivants. Même si tout le monde doit mourir un jour, la maladie inventait un compte à rebours dont seuls les sursitaires pouvaient mesurer le point d’impact. Timu se sentait mitraillé. À part Beevan, personne n’était au courant du cancer qui le rongeait. Même pas Mark — surtout pas Mark. Un secret aussi jalousement gardé que les circonstances de la mort de sa femme…

Le soleil brillait sur le parking du commissariat central. C’était pourtant une belle journée. Le chef de la police regagnait sa vieille BM quand il aperçut Osborne contre la portière, les mains dans les poches de son costume noir.

— J’ai à vous parler, dit-il.

— Je suis pressé, répondit le Maori. De quoi vous voulez parler ?

— De Fitzgerald.

Osborne avait sa tête des mauvais jours. Le Maori prit un air vaguement paternaliste :

— Vous avez du mal à l’encaisser, c’est ça ?

— Ne vous foutez pas de ma gueule, Timu, lui rétorqua-t-il sans détour. Fitzgerald suspectait Zinzan Bee d’être le complice de Kirk, qui de son côté s’adonnait à des rites sanguinaires : les cadavres tirés du charnier où il exécutait ses victimes étaient partiellement désossés. Des fémurs. Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant. J’ai entendu un tas de conneries sur le compte de ce Zinzan Bee, maintenant j’aimerais entendre les vôtres.

Timu réprima la colère qui lui lézardait le front.

— On vous a chargé de retrouver l’auteur d’un cambriolage, répliqua-t-il, pas de déterrer les cadavres de Fitzgerald.

— Je ne crois pas à son suicide.

— C’est pourtant la vérité. C’est pour ça que vous avez accepté de réincorporer le service ? s’esclaffa le Maori. Bon Dieu, vous déconnez complètement : Fitzgerald s’est suicidé avec son arme de service à l’institut médico-légal de Devonport, on a plusieurs témoins, en plus du rapport de la balistique : c’était un acte prémédité ! Fitzgerald s’est flingué, Osborne : si pénible que ce soit pour vous de l’admettre, il va falloir vous le mettre dans le crâne !

Une brise passa sur le parking déserté.

— Dans ce cas, pourquoi avoir escamoté les cadavres ?

Timu soupira bruyamment — quelle tête de mule.

— Nous n’avons pas escamoté des cadavres, comme vous dites, mais tu certains détails particulièrement sordides qui n’auraient fait qu’alimenter la peur, répliqua le chef de la police. Je ne tiens pas à ce que les médias remuent la merde : les services de sécurité privés et les vendeurs d’alarmes font déjà assez de business comme ça…

Le Maori ouvrit la portière de la Ford mais Osborne n’en démordait pas :

— D’un côté vous prônez le principe de tolérance zéro, de l’autre vous cachez des faits essentiels à l’enquête : dans quel but ?

Ses yeux brillaient au soleil.

— Quelle enquête ? répliqua Timu.

— Fitzgerald.

Il secoua sa grosse tête :

— Vous n’y êtes pas, Osborne : pas du tout ! Il n’y a pas d’affaire Fitzgerald, il y a une affaire Kirk avec des zones d’ombre et un suspect dans la nature, Zinzan Bee. Je garde des informations sous le coude pour ne pas alerter inutilement la population au sujet d’un quelconque chaman maori sanguinaire : je plante mes graines et je regarde ce qui pousse. Vous êtes une de ces graines.

Osborne se méfiait. Le Maori avait des yeux malades.

— La hache de Melrose fait partie de vos graines ?

— Possible, répliqua Timu. Vos recherches, vous en êtes où ?

— Zinzan Bee reste introuvable. Je sais juste qu’il faisait partie des contestataires de Bastion Point, concéda Osborne.

Un groupe de policiers approchait. Timu regarda sa montre : six heures. Déjà en retard, il se jeta sur le siège de sa BM.

— Ce que je viens de vous dire est et doit rester confidentiel, dit-il d’un air entendu. Si la presse n’a pas été mise au courant de certains détails, c’est aussi parce que je ne tiens pas à ce qu’on vienne entacher la mémoire de mon prédécesseur…

Sur ces entrefaites, Timu mit le contact et partit retrouver son fils.

*

L’affaire se compliquait et Osborne pataugeait. Il prit le problème à l’envers : qui pouvait en vouloir à Melrose ? Qui d’autre que des Maoris ?

Si Osborne le connaissait surtout pour ses livres, Nick Melrose avait commencé son ascension sociale grâce à l’exportation de bois exotique — kauris principalement, dont il avait parachevé l’extinction — puis comme promoteur de kits-maisons à monter soi-même. Après quoi, il avait acheté différentes pêcheries et créé la compagnie Sealord Products, qui dix ans plus tard devait devenir la plus grosse entreprise de pêche du pays. Quand en 1993 le gouvernement racheta au nom des Maoris la moitié des parts de la compagnie en vertu de l’article 2 du traité de Waitangi stipulant que les Maoris resteraient maîtres de 10 % de tous les quotas (de nombreuses tribus plaignantes n’avaient en effet plus accès à leurs pêcheries, activités traditionnelles et base de leur alimentation), Nick Melrose avait revendu l’entreprise à un consortium japonais, en signe de protestation — vente, prime de départ et stock-options estimées à 250 millions de dollars NZ.

Melrose était à l’occasion devenu un virulent détracteur du processus de réconciliation nationale érigé par le tribunal de Waitangi et, craignant comme beaucoup de pakehas des dérapages incontrôlables, avait lancé une série de livres édités à compte d’auteur dont le succès depuis ne faiblissait pas. Melrose avait par ailleurs pris des parts dans différentes entreprises et autres conseils d’administration. C’est Tom qui, involontairement, l’avait mis sur la piste : si Melrose avait vendu la compagnie de pêche aux Japonais, il avait gardé son entreprise de construction. Les kits-maisons s’étaient si bien vendus que la firme avait grossi au point d’englober une demi-douzaine de concurrents. Acquisitions de manufactures, sous-traitance, construction, Melrose et son armée de gérants maîtrisaient aujourd’hui une bonne part du marché de l’immobilier. Parmi ses satellites, la première entreprise de travaux publics du pays : Century Inc.

La société où travaillait Johann Griffith, retrouvée noyée sur la plage de Karekare.

Osborne cherchait un lien entre toutes ces affaires, il était peut-être là…

Il était cinq heures de l’après-midi lorsqu’il gara la Chevrolet le long de One Tree Hill. Un vigile en uniforme apparut aussitôt derrière la grille électrique, escorté d’un bas-rouge aux crocs étincelants. Front bas, sourcils épais, Grayson était le nouveau gardien du temple :