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— M. Melrose n’attend personne, lâcha-t-il derrière la herse amovible.

— Moi non plus, répliqua Osborne. Dites-lui que je suis là.

Il montra sa plaque au vigile. Le museau passé à travers les barreaux, son chien aboyait à pleine gueule.

— Tais-toi, Circo ! réprimanda Grayson avant de palabrer dans l’interphone.

Le temps était lourd, l’air plein d’eau. Osborne crevait de chaud. Il vit bientôt revenir Grayson et son bas-rouge, tous crocs dehors.

— C’est bon, dit-il sous les cris rauques du chien. M. Melrose me fait dire qu’il a pas beaucoup de temps à vous consacrer, il est très pris par son roman et…

Osborne pinça très fort la truffe qui dépassait de la grille.

— Ce ne sera pas long…

Grayson fronça les sourcils devant la soudaine passivité de son chien puis, l’œil noir, consentit à actionner le système d’ouverture. Au bout de la laisse, le bas-rouge le regarda passer en montrant les crocs mais ses oreilles étaient basses.

Le jet d’eau circulaire fonctionnait malgré l’averse de la nuit passée. Osborne longea l’allée du parc et fila vers la terrasse où Melrose écrivait, une chemisette Ralf Lauren sur ses larges épaules.

— Vous avez trouvé quelque chose ? lança-t-il sans même le saluer.

— Pas grand-chose.

Melrose releva la tête de l’ordinateur.

— J’ai un livre à finir et peu de temps à vous accorder, dit-il. Qu’est-ce que vous voulez ?

— Vous parler d’une fille retrouvée morte sur une plage de la côte ouest, répondit Osborne. Johann Griffith, vous connaissez ?

Il présenta une photo : châtain, pas très jolie, un visage austère malgré le sourire sur papier glacé. Melrose eut une moue désobligeante.

— Non, dit-il. Qui est-ce ?

— Une comptable. Employée modèle chez Century Inc.

— Je ne connais pas de Johann Griffith, déclara-t-il comme si ça tombait sous le sens.

— Elle travaillait pourtant pour vous.

— Comme des centaines d’autres employés. Vous n’imaginez tout de même pas que je connais tous les gens qui travaillent pour moi ! Quel rapport avec notre affaire ?

Osborne alluma une cigarette.

— Je pensais que vous pourriez m’aider.

L’écrivain trouva qu’il avait une sale gueule avec ses lunettes tordues et son nez amoché.

— Eh bien, c’est raté, rétorqua-t-il sèchement : je ne connais pas votre noyée mais j’enverrai des fleurs à sa famille. Ça vous va ?

En passant, l’arrosage circulaire fit crépiter les cailloux dans l’allée.

— Comment savez-vous qu’elle s’est noyée ?

— Vous avez parlé d’une plage.

Melrose haussait les épaules. Impossible de rien déceler dans son regard de pierre.

— Gestion, spéculation, immobilier, construction, vous avez beaucoup de casquettes, poursuivit Osborne, soit autant de concurrents prêts à tout pour vous enfoncer.

— Et alors ? C’est le business.

— Jolie mentalité. Pas d’ennemis déclarés ?

Melrose soupira, comme fataliste.

— Ils sont des dizaines, dit-il, voire des centaines à vouloir prendre ma place. Ça aussi c’est le business. Mais si je suis là aujourd’hui, c’est que je l’ai mérité. C’est pour me raconter ça que vous me dérangez ?

Son ton autoritaire devait faire son effet dans les conseils d’administration. Osborne transpirait sous sa chemise, les amphétamines n’arrangeaient pas les affaires.

— Zinzan Bee, dit-il sans desserrer les dents : ce nom vous dit quelque chose ?

— Non. Qui est-ce ?

— Un ancien activiste maori, répondit-il, de la tribu ngati kahungunu. Comme la hache qu’on vous a volée.

L’écrivain hocha la tête.

— Jamais entendu parler de ce personnage, dit-il avec un dédain d’aristocrate. Pourquoi, vous soupçonnez ce Zinzan Bee d’être l’auteur du vol ? Dans quel but ?

Son regard de murène s’était affûté.

— Je ne sais pas, concéda Osborne. Vos livres ne suscitent pas que de l’admiration, ajouta-t-il en désignant l’ordinateur. Vous n’avez jamais reçu de menaces ?

— Comment ça, des menaces ? s’empourpra-t-il. Vous voulez dire de la part d’une certaine communauté maorie ?

— Oui.

Melrose montra ses dents, d’une blancheur publicitaire.

— Ce que je pense de la communauté maorie ne regarde que moi, lâcha-t-il, ombrageux. Que des gens apprécient ou non mes idées m’est parfaitement égal : nous vivons en démocratie, que je sache, tout le monde a le droit de s’exprimer.

Osborne sentit la faille.

— Vos livres dénoncent les agissements du tribunal de Waitangi et du ministère chargé des négociations, dit-il pour l’asticoter : ça fait aussi beaucoup d’ennemis potentiels, en particulier chez les Maoris. Une raison pour que ce Zinzan Bee vous en veuille, lui ou ses petits camarades maoris.

Il le cherchait sur un terrain glissant. Melrose dérapa de bon gré.

— Vous voulez connaître le fond de ma pensée, eh bien, c’est très simple, commença-t-il, soudain revigoré. Écoutez bien ce que je vais vous dire, lieutenant Osborne : quand les Maoris ont débarqué en Nouvelle-Zélande, il y avait des Morioris, les premiers autochtones de l’île. Vous savez ce qu’ils leur ont fait ? Ils les ont exterminés, puis ils les ont mangés. Oui, mangés. Tous. Vous comprenez ? Ils les ont dévorés ! (Le débit de ses paroles s’accéléra.) Les Maoris sont un peuple guerrier, incapable de se fondre dans notre société, voire notre civilisation. Quand on pense aux guerres maories, on oublie souvent que les pires tueries ont été perpétrées par les Maoris eux-mêmes, à travers des querelles intertribales sans autre fin que de se faire la guerre ; et si le mousquet s’est avéré plus efficace que la hache, c’est que nos techniques étaient déjà supérieures aux leurs. Je ne vois pas pourquoi on contesterait ce fait historique. Les Maoris étaient tellement subjugués par nos armes qu’ils ont vendu leurs terres pour en obtenir et assujettir leurs voisins, certaines tribus se sont même alliées aux Blancs pour exterminer la tribu voisine ! Chez eux, la violence est une seconde nature : ils se livraient à des massacres organisés suivis de véritables orgies cannibales et il a fallu l’avènement de la civilisation européenne pour abolir ces pratiques, interdire l’anthropophagie et tous ces rites sanguinaires. Nous avons acheté une partie de leurs terres, nous les avons assimilés, nous leur avons apporté le progrès, nos richesses, sans quoi ils seraient encore à s’entre-dévorer pour je ne sais quel prétexte ! Les Maoris ont profité de notre système pendant des dizaines d’années mais c’est fini l’État-providence : notre société a évolué, les Maoris doivent évoluer avec elle, comme les autres communautés. Le problème, c’est qu’on les a trop longtemps assistés : aujourd’hui ils préfèrent s’enivrer que travailler, ils nourrissent à peine leurs enfants au point qu’on est obligé de leur donner un verre de lait en arrivant à l’école, ils battent leurs femmes quand ce ne sont pas elles qui dilapident l’argent des allocations au casino ou dans les jeux de loterie. Ils volent, vivent de rapines et de drogues, les plus violents violent les vieilles femmes avant de les tuer, quant aux soi-disant activistes et autres défenseurs des droits maoris, ils sont tout juste bons à réclamer de l’argent via le tribunal de Waitangi. Ce tribunal absurde est pour eux un véritable filon ! Et qui paie ? Le contribuable ! Parfaitement ! s’emporta-t-il. Je dis haut et fort ce que tout le monde pense tout bas, et rien ni personne ne m’en empêchera ! Les Maoris sont des parasites, conclut-il. La preuve, ils ne produisent rien : rien !