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Ses yeux brillaient d’une rage inassouvie. Osborne opina : Melrose lui rappelait le bas-rouge de l’entrée.

— Peut-être que les Maoris ont autre chose à proposer, dit-il sobrement.

L’écrivain secoua la tête comme s’ils ne parlaient pas de la même chose. C’était le moment de le provoquer.

— Vous êtes également consultant lors de conférences et différentes manifestations à caractère négationniste, dit-il, notamment en Afrique du Sud…

Cette fois-ci, Nick Melrose s’empourpra pour de bon.

— Qu’est-ce que vous cherchez ? feula-t-il. Des ennuis ? Vos méthodes ne me plaisent pas, lieutenant. Vous enquêtez sur qui, au juste ? Sur moi ou sur le vol caractérisé dont j’ai fait l’objet ?

— Celui qui a commis le vol connaissait la topographie des lieux et possédait un double des clés, esquiva Osborne. Je cherche à savoir comment il les a subtilisées à vous ou à votre fille, et si la noyée de Karekare faisait partie de votre entourage. Votre fille ne connaissait pas Johann Griffith ?

La fureur dessinait des méandres sur les tempes de Melrose.

— Ma fille ne fréquente pas de comptable, éructa-t-il. Et puisque vous abordez le sujet, je tiens à vous dire qu’à la prochaine incartade de votre part je vous poursuis pour harcèlement moral et détournement de mineure ! Je ne sais pas ce que vous avez dit ou fait à Melanie l’autre soir, mais vous ne vous en tirerez pas à si bon compte ! (Le père de famille enfonça ce qu’il croyait être un clou.) En attendant, je veux des résultats : vous êtes spécialiste de la question maorie, oui ou non ?

Pas à dire : le businessman savait parler aux hommes.

*

Quelques filles s’époumonaient au bar de l’hôtel Debrett. Osborne posa le coude au comptoir et commanda une vodka à Kieren.

— Le nez, ça va mieux ?

Le pansement ne recouvrait plus que l’arête supérieure mais il restait gonflé et virait au jaune.

— Je respire.

Osborne croqua quelques quartiers de citron et se rinça avec la moitié du verre.

C’était un vendredi, les employés de la City sortaient les cartes de crédit, les filles leur décolleté mais ça n’allait pas mieux : il se sentait fatigué, crevé, lessivé, l’enquête n’avançait pas, Hana et son grand-père avaient disparu, la communauté maorie était muette au sujet de Tukao et de Zinzan Bee, il avait réussi à se mettre tout le monde à dos, ou presque, les pilules lui démangeaient le crâne, une menace diffuse flottait dans l’air du temps et c’est toute sa vie qui, mêlée aux volutes de cigarettes, s’évaporait sous ses yeux…

— Au fait, lança le jeune barman, y a une fille qui a déposé ça pour vous. (Une enveloppe de papier kraft glissa sur le comptoir.) Petit gabarit mais jolie comme un cœur, ajouta Kieren, le sourire malin.

Osborne décacheta l’enveloppe et lut.

Cher Paul Osborne,

Comme vous le savez peut-être, je suis une jeune femme consciencieuse et prévoyante : si vous lisez ces lignes, c’est que vous n’étiez pas à votre hôtel quand je suis passée. J’aurais préféré vous parler de tout ça de vive voix mais le destin en a voulu autrement. Voilà pour la prévoyance. Pour ce qui concerne mon côté consciencieux (promis, je me soigne), je me suis occupée personnellement de vos analyses. Vous savez, le cheveu arraché à cette pauvre Mlle Griffith. Figurez-vous que j’ai mis un temps fou à trouver ce que c’était. Je veux parler de la substance peu ordinaire contenue dans ce poil de tête. Vous connaissez le tutu, Paul ? Moi il m’a fallu une nuit entière pour en déchiffrer la composition chimique ! Pour votre gouverne, le tutu est une plante, une espèce d’arbuste qu’on trouve par chez vous, plante dont on extrait le fruit. À l’intérieur, très concentrée, une substance qui à forte dose est assimilée à un poison. Notre cheveu en était imprégné, si bien qu’on peut supposer sans trop se tromper que Mlle Griffith en a absorbé une certaine quantité, susceptible de l’avoir mise sur le flanc, voire de l’avoir tuée par empoisonnement : avant ou pendant la noyade ? Je tiens à vous signaler qu’en aucun cas l’absorption de tutu sous forme de fruit, même en grand nombre, n’aurait pu provoquer un tel taux de toxicité. C’est donc sous forme concentrée que notre trépassée en a ingurgité. J’ai également retrouvé la trace d’aliments divers (poisson, tomate, oignon) et une petite quantité d’alcool (vin blanc de vos coteaux). Pas de drogue.

Je ne vois pas bien ce que cela change à l’affaire puisque c’est désormais le lieutenant Gallaher qui s’en charge. En tout cas, je vous remercie chaleureusement de m’avoir fait veiller au-dessus de mes microscopes (j’en ai plein la maison, comme des animaux de compagnie), ça faisait longtemps que je ne les avais pas vus. Ne me remerciez pas, ce n’est pas votre genre.

Sans rancune.

C’était signé A.

Seulement Amelia.

Osborne reposa l’enveloppe de papier kraft sur le comptoir et commanda une autre vodka. Une double — maintenant c’était sûr, Johann Griffith avait été assassinée.

8

Hana l’avait retrouvé la première. Paul ne savait pas ce qu’elle cherchait à lui signifier avec son caillou, mais elle n’était pas venue au K. Mart de Newmarket par hasard. Pendant deux jours il avait retourné le problème, sans résultat.

Le midi du troisième jour, après le travail, alors que Paul récupérait les livres soutirés un peu plus tôt, le chef du personnel l’avait pris la main dans le sac. Gibson ne pouvait pas l’encadrer, ça ne faisait de mystère pour personne, aussi ne rata-t-il pas l’occasion qui lui était offerte.

— Tu es viré ! siffla-t-il en pointant son doigt vers la sortie.

Le petit chef écumait de plaisir, de ces mauvaises vagues qui vous passent à la lessiveuse. Paul haussa les épaules — pauvre garçon. En prenant le chèque de la semaine, il avait juste demandé qui l’avait découvert : Gibson était trop bête pour ça.

— Un client, répondit la responsable des embauches, laconique.

Sur ces entrefaites, Paul avait payé les livres volés et quitté le bureau administratif du K. Mart qui, depuis deux ans, le faisait travailler.

Dehors, l’orage menaçait.

Hana attendait sous les nuages, appuyée contre les flancs d’une guimbarde au bleu passé. Paul avança vers le parking où sa robe flottait, au gré du vent…

— Tu as vieilli, dit-il en guise de préambule.

— Toi aussi tu as une sale gueule.

— Grâce à toi : je viens de perdre mon boulot.

Elle croisa les bras et s’adossa à ce qui ressemblait fort à une voiture.

— Ça te dérange ?

— Bof…

Ils s’observèrent un instant, sourds aux bruits des chariots métalliques qu’on poussait dans leurs retranchements.

— Et ton école ?

— Le kohangareo  ? fit Hana. J’ai fini le cycle…