Quand elle rouvrit les yeux, le sexe avait reflué, laissant un vide inquiétant au fond de son ventre.
Le temps passa sans elle. Osborne avait fui : il ne restait plus dans la cuisine que des odeurs de marinade et la désagréable impression d’avoir été possédée.
Rosemary baissa la tête, et doucement se mit à sangloter.
Une fois sur le trottoir, Osborne se sentit décoller. L’électricité grimpait dans son corps, tous ses muscles tendus, aux aguets : sombre miracle, il était de nouveau d’attaque.
Le cauchemar pouvait recommencer.
II
RECHUTES
1
On trouvait de tout dans la mallette : speed, opium, herbe, cocaïne, acides, PCP, des amphétamines dont la plupart étaient en vente légale, morphine, ecstasy, MDMA, ainsi qu’une petite quantité d’héroïne.
Osborne choisit de la poudre de MDMA. La lumière montante des lampadaires créait des ombres sur le tableau naturaliste accroché au mur de la chambre, reproduction bon marché qu’on trouvait à Parnell. Il ôta son pansement. La plaie avait fini par se résorber. Son esprit, en revanche, s’enfuyait à petites pensées décousues.
Globule apparut, en équilibre sur le rebord de la fenêtre.
— Je croyais t’avoir dit de dégager…
Ses gros yeux jaunes le fixaient, d’une innocence crasse. Il caressa l’animal et, une veste sur le dos, retrouva le comptoir du Debrett. Là, Kieren lui paya une vodka citron, puis deux…
C’était un vendredi. Avocats, employés de banque, étudiants ou chômeurs professionnels, les clients formaient une population hétéroclite et bruyante. Des enseignes criardes invitaient la population locale à consommer du vin blanc ou du champagne australien mais c’est de la bière qui moussait dans les chopes. Onze heures. Osborne commanda un dernier verre : le bar allait fermer. Seul l’imposant portier maori semblait le tenir à œil — celui du professionnel. Osborne quitta bientôt le bar de l’hôtel, pressé par une petite foule joyeuse et éméchée. La chaleur s’était emparée de son corps et ne le lâcherait plus.
Le Bronx, une boîte à la mode du centre-ville : il but en espérant dissiper le goût de médicament qui pataugeait dans sa bouche et tenta d’oublier le reste — Hana. Les gens étaient là, avec leurs poumons insalubres, s’épuisant à vivre pendant qu’il les observait. Des jeunes gens se trémoussaient sur la piste, mimaient des contorsions érotiques, les basses soulevaient le sol, il imaginait des formes sous les stroboscopes, jamais les mêmes : de ces sculptures vivantes il tâtait l’éphémère, le présent simple, l’instant photographique, déjà certain que sa conscience se délitait. Même le spectre d’Hana s’était volatilisé dans ses méandres. Il était de nouveau dans l’œil du cyclone.
Les sentiments les plus contradictoires s’opposaient en lui quand il crut distinguer un sourire sous les flashes. Celui d’une fille qui l’examinait, adossée à un pilier en bordure de piste. Le visage était étrangement familier. Une grande métisse qui, sur le coup, lui rappelait… Le stroboscope remballa brusquement ses flashes aveuglants : des étoiles noires plein la tête, Osborne recula contre le comptoir. La fille et son sourire avaient disparu, il ne restait plus qu’un poteau de béton et des gens qui passaient comme des pantins affolés… Il sentit alors le contact d’une main sur ses reins. La métisse de tout à l’heure lui lança un clin d’œil équivoque et s’en fut au milieu de l’allée, dans sa robe qui dansait.
À la poche arrière de son pantalon, un papier griffonné qui disait (il avait du mal à lire à l’ombre des spots) : « Viens. »
Sur la piste les gens s’agitaient toujours, frénétiques. Saisi par d’incessantes bouffées de chaleur, Osborne suivit le chemin qui menait à la sortie.
La fille se tenait à l’entrée de la boîte, une cigarette à la bouche, vedette ignorée sous les étoiles. Plus robuste qu’Hana mais vêtue d’une robe légère qui soulignait les mêmes hanches, les mêmes jambes, elle souriait comme un chat sous la lune.
— On s’est vus l’autre soir, lança-t-elle, les pupilles dilatées. Tu étais déjà dans un sale état.
Ça avait l’air de l’amuser. Son visage était d’un brun satiné à la lueur des lampadaires. Osborne la regardait comme s’il était venu sur terre il y a très longtemps. La fille posa ses mains sur ses joues brûlantes et l’embrassa, les yeux ouverts. Une idée qui visiblement lui trottait dans la tête depuis un moment.
— Ann, dit-elle seulement. Ann Brook.
Il pouvait respirer son odeur, mélange de parfum français et de sueurs polynésiennes.
— Dans l’ascenseur, précisa-t-elle. Tu te souviens ?
La soirée à l’Observatoire.
— Oui.
Ann Brook avait à peine vingt-cinq ans mais son regard était celui d’une adulte.
— Viens par ici, toi, murmura-t-elle en l’attirant vers la ruelle voisine.
Ils fumèrent un joint à bord de sa voiture, une décapotable dernier cri.
— Qu’est-ce que c’est que cette herbe ? demanda Osborne.
— Datura. Une plante hallucinogène venue directement d’Amérique du Sud, expliqua-t-elle en crachant la fumée au cosmos.
— Connaisseuse ?
— Grande connaisseuse ! s’égaya-t-elle en insistant sur sa poitrine.
Pas une mauvaise fille. Ils entamaient le carton.
— Qu’est-ce que tu faisais à la soirée de l’Observatoire ? dit-il.
— Rien de spécial. Je regardais le visage des gens.
— Et alors ?
— Ils sont vieux et moches. Pas comme toi… (Ann lui jeta un regard goulu.) Un copain a organisé une soirée du côté de Ponsonby. J’ai promis de passer mais il est encore tôt ; on peut s’amuser un peu avant…
Le tableau de bord affichait minuit. Osborne avait ses cuisses en ligne de mire. Tombées des nues.
— O.K.
Il écrasa le joint contre la portière. Ann Brook mit le contact et la décapotable s’ébroua.
— Je suis dans la pub, dit-elle aux étoiles.
— Je m’en fous.
La jeune femme égrena un petit rire déformé par le stupéfiant. Ils filèrent par les avenues désertes.
— Tu es flic, non ? fit-elle en défiant les trottoirs.
— Non.
— Ha ha !
— Oublie pas ton volant.
Osborne rattrapa la trajectoire au moment de percuter une poubelle, qui valsa quand même. Ann rit de plus belle. Au-dessus, les astres se consumaient à petit feu. Il sourit au vide qui les unissait. Partie dans son trip, la métisse ne se posait plus de questions ; ce type lui avait plu dès le premier regard et c’était exactement le genre de choses contre lesquelles elle refusait de se battre. Ann vivait dans la société du désir à consommation rapide et, puisque les dés étaient pipés, elle avait choisi de se servir toute seule, comme une grande. Arrêtée à un feu rouge, elle demanda :
— Un parc, ça te va ?
C’était Ann Brook qui lui parlait, pas Hana.
Il répondit :