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— Oui.

Le feu passa au vert.

Ils dépassèrent le reject shop de Queen’s Street, fermé comme les autres commerces et, à l’angle de l’avenue, bifurquèrent vers Auckland Domain. La brise était douce. Le coupé stoppa devant les grilles du parc. De grands arbres se balançaient dans la nuit mauve. Plus loin, on devinait la silhouette hellénico-Troisième Reich du musée de la ville. Ann ôta ses sandales et les balança sur la banquette arrière.

— Tu vois des gens ?

Il regarda autour de lui.

— Que toi.

La réponse sembla lui convenir : elle prit sa main mais c’est la lune qui les guida à travers les ténèbres. Il n’y avait personne dans le parc, sinon quelques hiboux. Ils se dévêtirent partiellement sous les branches d’un gigantesque matai.

— Shit ! elle pesta. C’est plein d’épines !

Osborne distingua sa petite culotte blanche à terre, son sourire à l’ombre des branches et ce corps long et caressant au bout de ses doigts, comme entourée d’un halo merveilleux, alors qu’il tenait à peine debout. Ann se pressa contre lui et caressa ses testicules. Deux billes noires lui dirent qu’il était beau, qu’elle avait terriblement envie de lui, puis elle se baissa pour suçoter son gland. Le temps passa, suspendu à des fils invisibles. Ann observa l’engin à l’air libre, souffla doucement sur sa pointe dressée et, se relevant sans plus penser aux épines qui lui picoraient les pieds, le nicha comme un ardent secret au creux de ses cuisses.

C’est du moins la vision qu’il en eut. Pour le reste, on nageait dans le flou : en trois minutes Ann venait de renverser le monde, si bien qu’il s’abandonna à cette gymnastique cosmique, oubliant tout et même le reste. S’appuyant sur l’écorce du vieux matai, ils firent l’amour avec la virulence des soirs d’oubli. Ann jouit avant lui, puis, encore tremblante, se retourna pour l’avaler en entier. Hana en flammes traversait son cerveau mais il aima tout. Ann s’aida de la main et sentit monter le plaisir dans la queue de son amant. Il éjacula entre ses lèvres. Après, plus rien : le concentré d’ecstasy, l’alcool, le datura, tout explosa en blocs monolithiques.

Une, deux, dix secondes ? Quand Osborne rouvrit les yeux, les branches du matai tanguaient dans la nuit inodore.

— Ça va ?

Ann attrapait sa petite culotte, abandonnée sur le tapis d’épines.

— Oui. Oui…

Mais Osborne chancelait sous les branches. Il venait de subir une première amnésie : ça n’avait duré que quelques secondes, il y en aurait d’autres. Encore un effort et il oublierait qu’il existait…

— Tu viens ?

Ann Brook s’était rhabillée à la vitesse de la lumière. Elle attendait sous la lune, les pupilles toujours dilatées. Retrouvant peu à peu l’équilibre, Osborne suivit sa main tiède à travers le parc. Quelques écureuils roux les regardèrent passer, assis sur leur touffe.

La berline stationnait à la sortie du parc, portières ouvertes contre le trottoir. La jeune femme remit ses sandales tandis qu’il s’écroulait sur le siège.

— Tu en veux plus ? dit-elle.

Plus de quoi, il n’en savait rien. Il dit :

— Oui.

Ann sourit en coin et mit le contact. Dès lors, tout bascula.

*

K. Road. Des enseignes clignotantes, quelques noctambules passant comme des fantômes sur les trottoirs et des odeurs de fritures asiatiques qui finissaient de s’évaporer dans l’air tiède du soir. Les clubs se succédaient, avec leurs portiers tristes et les couloirs à néons où de la musique électronique filtrait. Ann prit Osborne par la manche et l’entraîna vers la ruelle voisine. La balade en voiture les avait un peu ragaillardis, l’effet du datura commençait à s’estomper et les lumières des lampadaires dansaient dans les flaques. Il n’avait pourtant pas plu.

Ils tombèrent bientôt nez à nez avec un Maori aux bras comme des jambes, gardien herculéen d’une porte discrète d’où rien ne perçait. Le Phénix.

— Salut, Will !

Ann l’embrassa sur la joue. Le type devait mesurer près de deux mètres : sa carrure et son ventre étaient impressionnants mais, chose curieuse, sa tête était si petite qu’elle semblait appartenir à quelqu’un d’autre. Disproportionné, et pas aimable avec ça. Will Tagaloa jaugea Osborne d’un œil noir.

— Il est avec moi, tempéra la jeune femme. Pas de problème.

Le gros Maori avança le menton mais ne broncha pas. Ils passèrent sous son bras musculeux, qui venait d’ouvrir la porte.

— Il a l’air méchant comme ça mais c’est plutôt le bon bougre, commenta Ann.

Il n’y avait pas de caisse à l’entrée du club privé mais un vestiaire plongé dans la pénombre. Un simple faisceau violet éclairait le plafond et les bouts de mannequins qu’on y avait collés, des jambes de femmes peinturlurées qui semblaient jaillir du mur… Une fille apparut, en chair et en os, une blonde en maillot de bain fifties et talons aiguilles qui souriait telle une starlette sur la Riviera.

— Il est avec toi ? lança-t-elle.

Ann fit signe que oui.

— O.K., allez-y…

De lourdes tentures rouge sang séparaient le comptoir du club où un rythme électro battait la mesure. La lumière améthyste les guida dans la pièce voisine. Osborne écarquilla les yeux.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le ton était celui du type qui découvre l’Amérique. Des costumes étaient pendus aux murs, par dizaines…

— Des déguisements, répondit Ann. Il faut en choisir un et mettre un masque si on veut entrer, précisa-t-elle, visiblement amusée par la tournure que prenaient les événements.

Ann décrocha un costume de fée et l’enfila très vite. Lamé, très court, méchamment décolleté, il lui allait, il faut le dire, plutôt bien. Barbarella en goguette, elle minauda :

— Alors, comment tu me trouves ?

Ses cuisses fuselées marquaient des points.

— Pas mal.

Ça la fit rire.

— Enfile un de ces trucs et suis-moi !

Ann choisit son costume — une sorte de toge romaine qui, dans leur état, finit par leur arracher un rire nerveux. Il ne savait pas où cette fille l’entraînait et il s’en foutait complètement. Ils enfilèrent leur masque. Osborne ne distinguait plus que les yeux de sa compagne sous son loup de plumes pailletées.

Elle poussa une porte, cachée derrière la lourde tenture. Elle donnait sur le club en question. Un long comptoir serpentait sous les voûtes de ce qui ressemblait à une cave aménagée ; plus loin on apercevait une piste où des silhouettes grimées se frôlaient dans un débat d’alcôve, et les spots bleutés faisaient ressortir l’éclat des costumes qui scintillaient sous les lampions du bal new age. La musique était presque assourdissante. Il y avait aussi un salon aux fauteuils de style rococo fondus dans une décoration pour le moins ostentatoire. Tous évoluaient masqués, sans se soucier des mains qui les palpaient.

Ann Brook l’avait mené dans un club échangiste. Celui-là semblait très spécial. Les paupières d’Osborne papillonnaient devant les silhouettes des clients qui s’abordaient, incognito sous leurs masques. Ann glissa sa main sur son sexe.

— Tu viens ?

Puis elle lui prit la main et l’entraîna dans un box caché derrière un voile doré. Deux fauteuils design et une petite table de plastique transparent constituaient le mobilier.

— Une installation d’art contemporain ? fit Osborne.

— Non. Ce serait même plutôt l’inverse…

La jeune métisse dut faire un signe puisqu’un homme apparut bientôt sous le voilage d’or, portant deux écuelles qu’il déposa sur la table. Ils s’assirent sur les fauteuils, manquant de basculer en arrière. L’homme était immense, coiffé d’un masque de serpent à plumes dans un accoutrement d’Inca qui découvrait ses muscles bodybuildés : d’autorité, il leur noua une serviette autour du cou. Ann souriait toujours. Il aurait dû se méfier.