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L’Inca préleva une pincée de poudre brune, qu’il bourra à l’extrémité d’un tube de bois sec. L’opération achevée, il saisit la petite pipe et leur fit signe de renverser la tête.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Osborne.

— Du tonnerre, répondit Ann.

Le colosse approcha d’abord de lui et, d’un coup sec, souffla la poudre dans sa narine gauche. Osborne gémit sous l’impact mais la main de l’Inca maintenait sa tête en arrière. Une douleur intense jaillit alors, inconnue, comme si on lui martelait l’arête du nez. La poudre brûla tout sur son passage, répandant une vague de braise dans sa gorge avant de gagner les poumons. Des larmes ruisselèrent sur son visage. Incapable de respirer, Osborne se sentit partir au loin. Un liquide visqueux s’écoulait de son nez, il étouffait. Il allait mourir. Il allait retrouver le néant. Un filet d’oxygène traversa alors le grumeau de mucosités éjectées par ses sinus : à l’agonie, Osborne aspira l’air frais comme s’il renaissait, les poumons déchirés.

Un flot de morve et de glaires maculé de poudre dégorgea de ses narines, inondant son menton, son cou et la serviette. Il ne voyait plus rien : Ann, l’Inca, ils avaient tous disparu. Haut-le-cœur, vertiges, Osborne tremblait de tous ses membres. Il régurgita des bolées de bave gluante, les poumons en dentelle. L’âcreté de la poudre lui arrachait des larmes par poignées : il allait suffoquer, il suffoquait. Un nouvel afflux d’humeurs déboucha ses sinus, glaires et vomi répandus sur la serviette : la douleur se dissipa tout à coup.

En rouvrant les yeux, Osborne réalisa qu’il était toujours vivant. Les voies aériennes dégagées comme jamais, il n’avait plus mal : il ne sentait plus rien.

Le box s’était agrandi, sa vue s’affûtait, il distinguait même avec une extraordinaire clarté les objets et les personnes qui l’entouraient : Ann, l’Inca qui dénouait leur serviette, il percevait tous les détails, des détails rassurants, presque familiers.

Ann se leva la première, aidée par le colosse qui bientôt s’occupa d’Osborne. Leur cerveau titubait mais ils pouvaient marcher. Ou plutôt ils volaient. Tout en bas, le sourire de la métisse était gigantesque. Submergé par la houle, Osborne prit sa main et quitta le box : n’avaient-ils pas l’éternité pour eux ? Un voile d’or enveloppa son esprit. Libéré de son enveloppe charnelle, il faisait des incursions dans le monde supérieur de la métempsychose, des fragments dispersés de la mémoire collective se synthétisaient sans chronologie ni linéarité dans son esprit planeur, ne prenant forme qu’une fois remis côte à côte, comme par miracle.

Au bout du vertige, le club échangiste et ses néons technoïdes.

Sorti par la petite porte d’un étrange coma répétitif, Osborne frémissait encore. L’espace-temps s’était fissuré sous leurs pas. Ann ayant disparu de son champ de vision, il erra un moment sous les voûtes, à sa recherche. Il entendait les sons sans vraiment les percevoir : son esprit errait, spectateur aérien. Il était double, triple même.

Dans la tourmente, il vit un type musculeux qui enfourchait une fille à quatre pattes, sorte de Peau d’âne maigrichonne. Une poignée d’admirateurs les regardaient faire, parmi lesquels deux grands highlanders curieusement identiques, les jambes poilues et maigres sous leur jupe écossaise. La fille en levrette ahana jusqu’à ce que, dans un ultime râle, le type se retirât de ses fesses incurvées. Elle gémit sans trier la douleur du plaisir. Un nouvel étalon le suppléa sur-le-champ, et s’y enfonça comme dans du beurre. Peau d’âne ahanait de nouveau, visiblement peu affectée par le manège qui se déroulait dans son dos… Bien accroché à son trip, Osborne se dirigea vers le bar où une Wonderwoman masquée servait des coupes de champagne. Une main glissa alors sous sa toge.

— Tu es sûr que tu ne veux pas venir au salon ?

La voix déformée, sa fée d’un soir souriait derrière son loup d’argent. Ann. Ann Brook…

— Quel salon ?

On s’entendait à peine sous le vacarme des sons qui percutaient les cloisons de la boîte. Ann le prit par la main et louvoya avec lui vers une salle au fond du club. Si la musique y était moins forte, la lumière était plus crue — un lustre à facettes traversé de lasers rouges et violets qui se reflétaient sur les masques.

Ils étaient une demi-douzaine à attendre au bord du cercle. Il n’y avait ni table ni bar mais une piste de terre glaise où deux hommes se battaient à la manière des sumotoris : Peter Pan affrontait ce soir Jason, dont le casque d’argent couvrait les yeux. S’accrochant par les épaules, ils tâchaient de se précipiter à terre et soufflaient bruyamment sous les encouragements de l’assemblée. Jason semblait à bout de souffle ; de fait, il s’affala bientôt sur la terre glaise. Soumis à la loi du plus fort, Jason ne bougea plus. Son vainqueur vint dans son dos et, encore essoufflé par l’effort qu’il avait dû livrer, le pénétra jusqu’à la garde. Enfin, la bedaine flasque sur le cul de l’autre, il s’arc-bouta et commença à limer, de plus en plus fort. Le but était visiblement de repousser le vaincu hors du cercle.

Les cris des autres allaient grandissant à mesure qu’ils approchaient du bord de la piste — ce serait bientôt leur tour. Jason glissait sur la terre humide tandis que le gros homme le chevauchait, ponctuant chaque coup de reins d’un chuintement viril qui les repoussait un peu plus loin. Maintenant l’équilibre par ses seules mains, Jason faiblissait à vue d’œil : il roula dans la boue et se vit ainsi éjecté du cercle.

Le Peter Pan se redressa, ruisselant d’une joie mauvaise, le sexe encore dur. Pas de capotes. Ceux qui attendaient leur tour applaudirent tandis que le prochain adversaire se préparait. Debout paraît-il, Osborne les regardait faire, éberlué. Le champion n’eut guère le temps de souffler puisqu’une fille entra en piste : Peau d’âne.

On siffla des insultes. Enfin le combat commença. Chétive, la pauvre fille ne tint pas longtemps le choc : après quelques empoignades, elle se laissa choir. Le gros type se précipita aussitôt, la tint face contre terre, écarta ses fesses en s’aidant des deux mains et la pénétra si violemment qu’elle hurla. Contorsionnée de la sorte, Peau d’âne subit l’assaut. L’engin rentré de moitié dans les fesses, elle pleurait doucement.

Consternant.

Ann s’était mêlée aux prétendants, ne perdant pas une miette du spectacle. Peau d’âne glissait littéralement sur l’argile et, éjectée à grands coups saccadés, quitta le cercle en se tordant à terre. L’autre avait joui dans un ultime râle : son sexe pendait maintenant sous sa tunique vert feuille, mou.

On redoubla d’insultes lorsque Ann entra sur la piste. Adossé contre ce qui ressemblait à un mur de pierre, Osborne retint son souffle. Sa fée était magnifique sous le lustre à facettes, la toison brune dépassant à peine de son costume lamé, mais il tremblait pour elle, perdu dans son délire. Les combattants s’agrippèrent sauvagement. L’homme avait l’avantage de la force, la fée d’argent celui de l’agilité. Elle échappait à ses prises et, fuyante comme une anguille, gardait l’équilibre. Les cris redoublaient au bord de la piste, ou alors Osborne rêvait en bloc. Peter Pan faillit la faire tomber mais les cuisses d’Ann étaient puissantes : elle profita de l’attaque avortée pour l’attirer à terre. Est-ce du fait d’avoir joui qu’il manqua de force ? Emporté par son élan, l’homme s’affala sur le sol.