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Minuit sonna quelque part. L’assistante du coroner rentrait de l’institut médico-légal où elle avait fait les premières analyses des mokos. Elle s’apprêtait à poursuivre l’autopsie à la cave, en attendant, les restes d’un chili mijotaient dans la casserole et elle se demandait où Paul était encore fourré. Il devrait au moins repasser pour voir les résultats de ses travaux… On sonna alors à l’entrée. Elle n’avait même pas entendu arriver la voiture. Amelia abandonna son éponge dans le reste de mousse et courut jusqu’à la porte.

Son sourire se figea lorsqu’elle vit les deux hommes sur le perron. Le premier était gras, avec des lèvres de guenon, et brandissait une plaque de police.

— Agent Dowd, dit-il. Et voici l’agent Maerthens…

Dans son dos, un grand efflanqué souriait comme un mannequin de cire. Son œil droit était salement amoché, et les vaisseaux explosés lui donnaient un aspect sinistre. Ils portaient le même complet démodé, chemise blanche et cravate mal assortie.

— Qu’est-ce que vous voulez ? dit-elle.

— Osborne.

Merde.

— Quoi Osborne ?

D’une main, Dowd la poussa à l’intérieur de la maison. Amelia recula, d’abord furieuse, mais se tut : celui qui se tenait en retrait ferma la porte dans son dos, à clé. Dowd la contournait, boitant légèrement. Des yeux, elle chercha une issue de secours.

— N’aggravez pas votre cas, dit le plus gros.

Son œil porcin semblait la déshabiller. S’ils voulaient lui faire peur, c’était réussi. Maerthens croisa ses mains sur son entrejambe, dans la position de celui qui attend que ça se passe. Un numéro bien huilé.

— Vous n’avez pas le droit d’entrer chez moi comme ça, fit-elle sans se démonter. Montrez-moi votre mandat ! Et puis d’abord qui vous envoie ?

L’agent spécial la saisit par les poignets et, forçant à peine, lui broya l’articulation.

— Pas de ça avec nous, ma petite. Nous cherchons Osborne et tu vas me dire où il est.

— Vous me faites mal.

Il n’y avait rien dans les yeux du gros flic, qu’un vide sidéral.

— C’est moi qui parle. Toi tu réponds : où est Osborne ?

— Je n’en sais rien, couina Amelia. Mais lâchez-moi ! s’énerva-t-elle. Vous me faites mal !

Dowd lui tordait le poignet, si fort qu’elle dut mettre genoux à terre. Maerthens, qui connaissait la méthode, observait le mobilier. Son acolyte avait fléchi sa bedaine sans relâcher son étreinte.

— Osborne est un petit copain à toi, non ?

— Vous êtes fou !

— Il n’est pas rentré à son hôtel, siffla Dowd. Tu l’as hébergé ?

— Non !

— Tu l’as hébergé parce qu’il te baise ? C’est ça ?

Son haleine rappelait les salles d’autopsie.

— Pauvre type, fit-elle entre ses dents.

Dowd pinça ses petites lèvres et vissa son poignet. Amelia hurla en se contorsionnant sur le parquet.

— C’est ça, il te baise ! Et parce qu’il te baise, tu te crois au-dessus de la loi ! Petite pute !

Il postillonnait. Elle gémit.

— Lâchez-moi…

Dowd la jeta sur le parquet du salon. Amelia glissa jusqu’aux pieds de Maerthens, qui lui planta le genou dans la colonne vertébrale. Elle se tordit de douleur. L’autre lui passa une paire de menottes, serra les bracelets dans son dos.

— Aïe !

Amelia fit un geste pour se réfugier contre le mur quand son visage se figea : un canif luisait sous son nez. Au-dessus, le visage adipeux de l’agent Dowd suait à grosses gouttes. Il y avait autre chose que de la colère dans ces yeux.

— Tu vas parler, petite pute, dit-il, fais-moi confiance…

Amelia ne bougeait plus, tétanisée par la peur. D’un geste brutal, Dowd arracha sa robe, jeta les lambeaux sur le parquet peint et plongea le canif vers son sexe. Amelia lâcha un cri en serrant les cuisses : l’élastique de sa culotte sauta sous la pression de la lame.

— Petite cochonne…

Amelia se recroquevilla au milieu du salon.

— Ça vous coûtera cher, maudit-elle.

Le gros flic ricana avant d’adresser un signe à son compère, qui la tira par la racine des cheveux. Amelia tenait à peine debout : Dowd lui planta son poing dans le ventre. Amelia s’inclina, le souffle coupé. Un bloc de terre obstruait ses vaisseaux, elle respirait à peine, happant l’oxygène comme un poisson sur le pont. Maerthens l’empoigna de nouveau par le scalp et releva sa tête tandis que l’autre rajustait sa ceinture, l’air satisfait.

— Alors ? Il est où Osborne ?

Amelia ne pouvait pas parler. L’estomac dans la gorge.

Dowd renifla bruyamment, sortit un gant de plastique de la poche de sa veste et l’enfila. Maerthens la tint par les aisselles et la souleva du sol : Dowd en profita pour enfouir sa main gantée sous ses fesses et, forçant le passage de ses gros doigts boudinés, trouva les deux orifices. Il s’enfonça méchamment. Amelia eut une dernière torsion. L’homme aux yeux porcins fouillait en elle, les narines haletantes.

— Alors ? s’écria-t-il. Je vais t’arracher le cul, salope !

Elle fondit en larmes.

Soudain les lumières s’éteignirent. Le compteur avait disjoncté, plongeant la maison dans le noir. L’espace d’une seconde, on n’y vit plus rien.

— Dowd !

Une silhouette s’était glissée dans la pièce, Maerthens venait de l’apercevoir depuis le vestibule. Alerté, Dowd retira vite sa main gantée et fit volte-face quand un patu maori lui brisa le crâne.

L’agent spécial bascula en arrière et, trébuchant sur le corps d’Amelia, s’affala sur le sol. Maerthens avait dégainé son Magnum 57 : il cherchait une cible mouvante dans les ténèbres, crut en déceler une, pressa la queue de détente. La balle fit voler en éclats la lampe perchée sur la table. Il tira de nouveau mais une pluie de plâtre se répandit sur le canapé. Une menace à gauche, fugitive : Maerthens pivota. Le revolver lui gicla littéralement des mains. Il esquissa un geste pour ramasser le calibre mais la massue le percuta en plein visage. Le nez emporté dans un bruit d’osselets, Maerthens chancela un instant sur le parquet.

Osborne serra plus fort le patu de Tagaloa. Il avait tué un homme, c’était trop ou pas assez : alors il frappa, de toutes ses forces. L’épaule de Maerthens s’affaissa. La brute chuintait mais ne tombait pas : un flot de sang giclait de son nez, il titubait à la recherche de son arme, encore debout. Osborne frappa de nouveau. La mâchoire de Maerthens se brisa net, emportant quelques dents. Conséquence sans importance : le coup suivant lui fissura la tempe gauche.