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Alors il s’écroula d’un bloc.

Un silence lourd de vagues emplit la pièce.

Osborne lâcha la massue, qui tomba à son tour sur le sol. Ses mains tremblaient mais sa tête était vide. Rodé à l’obscurité, il vit trois corps sur le parquet : deux immobiles, baignant dans leur sang, l’autre contre le sofa, recroquevillé dans la position du fœtus… Osborne chassa son ombre dans le miroir. Du pied, il s’assura que les types ne bougeraient plus et remit le disjoncteur.

La lumière du salon l’aveugla un court instant. Amelia n’avait pas bougé. Nue, menottée, elle pleurait doucement. Osborne s’agenouilla près des cadavres, fouilla leurs poches. Une plaque de police : « Agent spécial Maerthens. » L’autre s’appelait Dowd : un gros type au faciès répugnant, le crâne ouvert… Il y avait aussi une blessure plus ancienne, à la paupière droite : la marque laissée par sa clé de voiture… C’était donc eux, les deux flics qui avaient tenté de lui régler son compte, l’autre nuit, derrière l’hôtel. Manquait le troisième homme cagoulé, celui qui tenait le Beretta : il devait actuellement cuver sa haine dans une chambre d’hôpital, estropié à vie — Gallaher…

Osborne se redressa, le cœur chiffonné. Il trouva les clés des menottes dans les poches de Maerthens et libéra les poignets meurtris de la jeune femme. Amelia se tassa un peu plus contre le sofa, comme si elle voulait s’y terrer. Osborne passa sa main poisseuse sur ses cheveux.

— Ils t’ont fait mal ?

Elle ne répondit pas. De grosses larmes perlaient sur ses joues pâles.

— Je les tuerai, murmura-t-il à la lune. Je les tuerai tous…

Une vague s’écroula en contrebas. Amelia soutint son regard :

— Contente-toi de me laisser vivre.

*

Les mains cramponnées au volant de la Chevrolet, Osborne roulait. Au loin, les lumières d’Auckland brillaient comme des cierges. Il revenait de la décharge où il avait enfoui les corps des deux flics — pas à dire : un beau charnier qu’il constituait là… Qu’importe, ce n’était pas le moment de s’interroger sur son destin de tueur. Il avait vérifié les derniers numéros appelés depuis les portables de Dowd et Maerthens : celui de Timu.

C’est donc le chef de la police qui les avait envoyés chez Amelia, à sa recherche… Étaient-ils au courant de leur relation ? Et pourquoi cette violence ?

Il atteignait maintenant les faubourgs de la ville endormie. Le coup était risqué mais il ne pouvait pas laisser Amelia dans cette situation : Osborne déposa les plaques des deux agents spéciaux, le club maori de Tagaloa et l’adresse de la boutique de Nepia devant la porte du domicile du coroner Moorie, dans le quartier chic de Devonport, un paquet à l’attention du chef de la police. Ça devrait faire son effet et brouiller les pistes : le légiste était de mèche avec Gallaher et Timu, les plaques des deux flics et la massue laisseraient supposer qu’ils avaient été tués, et la piste les enverrait à South Auckland, c’est-à-dire loin d’Amelia. Elle nierait avoir reçu leur visite. D’ici à ce qu’ils l’interrogent, l’assistante du coroner aurait le temps de finir l’autopsie de Tagaloa : car traumatisée ou pas par ce qu’elle venait de vivre, la petite Anglaise avait insisté pour achever son travail de fourmi. Osborne ne savait pas si c’était la haine qui lui donnait du courage, ou l’amour.

Il s’était passé quelque chose la nuit dernière, dans son lit. Il n’arrivait pas à l’oublier : cette application à s’enduire de ses fibres l’avait ému jusqu’aux os… Que venait faire Amelia dans leur histoire ? Jusqu’à présent, depuis toujours, Hana était sa seule obsession. C’est elle qu’il aimait, elle qui le dévorait du sol au plafond. Il avait cherché sa trace dans le corps des autres femmes, il s’était créé des sosies épisodiques, aussi sûr que sans elle il vivait sans horizon : il n’avait jamais songé qu’il pouvait exister une porte de sortie.

Deux femmes. C’était une de trop.

*

Il était quatre heures du matin lorsque James et Andrew O’Brian sortirent du Phénix.

Comme tous les vendredis, les jumeaux s’étaient rendus au club échangiste le plus huppé de la ville. Les fils du maire se contentaient de mater les couples qui s’exhibaient sous les lumières feutrées, et plus particulièrement celle qui, comme ce soir, les accompagnait dans leurs virées nocturnes : Melanie Melrose.

« Peau d’âne ».

Avec le masque qu’elle portait cette nuit-là Osborne ne l’avait pas reconnue, mais c’était elle la fille rachitique qui se faisait chevaucher au bord de la piste. Il ne savait pas ce qui poussait la fille de Melrose à s’humilier de la sorte mais il avait sa petite idée sur la question.

Osborne guettait leur sortie au volant de la Chevrolet. D’après Julian Lung, Ann Brook se rendait au Phénix tous les vendredis : Melanie et les jumeaux O’Brian l’accompagnaient et, en dépit du meurtre de leur petite camarade, les gamins ne dérogeaient pas à leurs habitudes… Osborne s’apprêtait à les intercepter mais les jeunes gens, plutôt que de regagner leurs véhicules, filèrent dans la direction opposée, à savoir l’hôtel qui faisait clignoter son enseigne au bout de la rue. Ils y disparurent aussitôt.

Osborne attendit un moment avant de les suivre. C’était un hôtel haut de gamme, avec une caméra de surveillance à l’entrée. Il sonna. Le veilleur de nuit arriva bientôt, un type au visage spongieux ravagé d’acné. Osborne lui colla son .38 et sa plaque sous le nez avant de le pousser à l’intérieur.

— Aucun danger si tu obéis en fermant ta gueule.

L’homme recula jusqu’au comptoir. Le hall de l’hôtel était désert.

— Tu es seul ici ?

L’autre fit signe que oui. Osborne arracha les fils du téléphone.

— Les trois jeunes, ils viennent souvent ?

— De temps en temps, répondit le veilleur de nuit, peu rassuré.

— Quelle chambre ?

— 122, dit-il. Une suite…

— Il est où le passe ?

— Là, bredouilla l’employé : sur le tableau…

Osborne attrapa la clé en question.

— Ferme l’hôtel, colle-toi derrière ton comptoir et ne bouge plus avant que je redescende, ordonna-t-il.

Le veilleur de nuit opina et obéit sans un mot. Osborne grimpa à l’étage. Une lumière tamisait le couloir. Papier peint dégueulasse. Arrivé devant la 122, il plaqua son oreille. Silence. Pas de lumière sous la porte. Il glissa le passe dans la serrure et, sans bruit, s’introduisit à l’intérieur. La suite était plongée dans le noir mais on devinait des faisceaux lumineux qui couraient par l’embrasure de la porte voisine. Il avança à pas de loup vers le petit salon adjacent. Enfin il les vit : les jumeaux se tenaient debout face à une table de bois verni, surplombant Melanie qu’ils avaient attachée sur le dos, bras et jambes écartés.

La fille de Nick Melrose était nue, un foulard serré autour de la bouche. Les fils O’Brian dirigeaient le faisceau lumineux sur son corps qui se tortillait sur la table : « Salope, pute, chienne », ils marmonnaient devant le spectacle de ses lèvres offertes tout en se masturbant avec la frénésie de leurs vingt ans.

Melanie mimait l’orgasme malgré son bâillon et ses petits seins blancs gigotaient sous le feu des torches. Les jumeaux l’inspectaient par tous les trous, s’empoignaient de plus belle, manifestement très excités par ses gémissements étouffés… Osborne les laissa faire. Les gringalets jouirent presque en même temps, sur le visage de Melanie. À leurs râles, ça avait l’air épatant.

Il alluma alors la lumière en grand.