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Les garçons se retournèrent, passablement ahuris. Osborne se tenait dans l’embrasure de la porte avec un sourire mauvais, une arme à la main. Écartelée sur la table, couverte de leurs humeurs, Melanie eut un pauvre regard, de ceux dont on se détache vite : les deux maigrichons balbutiaient on ne sait quoi mais il les coupa vite :

— La ferme !

Melanie cherchait, dans un geste de pudeur impossible, à se cacher de lui, en vain : les liens étaient solides. Les jumeaux restèrent un moment sans voix, le pantalon sur les chevilles. Osborne vissa son silencieux.

— Écoutez, je…

— La ferme !

Il passa une paire de menottes à la conduite de gaz qui courait au-dessus de la fenêtre aux rideaux clos et, les menaçant du revolver, leur fit signe de s’y attacher.

— Une main chacun, précisa-t-il sans desserrer les dents. On se dépêche.

Les fils du maire voulurent remonter leurs pantalons mais d’un claquement de la langue, Osborne les en dispensa. Se hissant sur la pointe des pieds, les jumeaux s’emprisonnèrent à la conduite. Un bras levé, l’autre tentant en vain d’atteindre le pantalon, leurs jambes poilues tremblaient de peur. Pauvres types. Toujours bâillonnée sur la table, Melanie Melrose essayait de croiser les cuisses mais on était loin du compte.

Osborne dénoua le foulard.

— Maintenant tu vas me dire tout ce que tu sais, dit-il d’une voix blanche. Un mensonge, un seul, et j’appelle ton père.

Les joues rouges de honte, Melanie retint son souffle : tout mais pas son père.

Nick Melrose n’avait qu’une fille mais à sa manière l’aimait pour deux. De loin, les uns y voyaient volontiers la patine victorienne d’une éducation paternaliste sévère mais juste. De près, les autres n’y voyaient que du feu : Melanie était son trésor, son bien. Il avait un droit sur elle, celui de la juger, d’en disposer, et aussi de lui montrer le droit chemin. Elle lui en serait un jour reconnaissante. En attendant et en dehors de lui, personne ne la toucherait. Melanie avait juste le droit de sortir avec les fils du maire, deux jeunes gens du même standing qu’il estimait sérieux et corrects. À terme, qu’elle se mariât un jour avec l’un d’eux n’était pas pour lui déplaire — d’ailleurs Phil O’Brian, lui aussi, ne voyait pas cette relation d’un mauvais œil, ils n’en avaient bien sûr jamais parlé mais on s’était compris… Une belle bande d’hypocrites, et complètement à côté de la plaque.

— C’est pour emmerder ton père que tu t’humilies comme ça ?

Melanie le regardait avec des yeux affolés, encore incapable de parler. Osborne se pencha sur elle :

— Je te cause !

— Oui, répondit-elle enfin.

Il opina d’un air entendu. Pendant que Melanie Melrose réglait ses comptes avec son père, Will Tagaloa avait tout loisir de fouiller ses affaires laissées au vestiaire, de faire un double des clés et à la première occasion de cambrioler la maison, seul ou avec des complices… Osborne s’assit sur le rebord de la table et fixa la gamine.

— Je sais à peu près tout sur vos relations, dit-il. Toi, les deux débiles ici présents, Ann Brook, ce qui lie vos parents et leurs employés respectifs. Maintenant cesse de trembler comme une vierge effarouchée et réponds par oui ou par non. Attention c’est parti : Ann Brook était la maîtresse de Michael Lung ?

Melanie inclina la tête, les larmes aux yeux.

— Réponds ou je réveille ton connard de père !

— Oui.

Sa voix n’était qu’un souffle.

— Ann t’a parlé de sa relation avec Lung ?

— Oui !

Elle était déjà à bout de nerfs.

— Michael Lung avait de quoi se payer un petit mannequin sans faire de vagues, poursuivit Osborne : hormis quelques babioles, ce n’est pas Ann qui allait lui réclamer un enfant. Seulement elle avait un gros défaut, elle parlait trop. Et c’est pour ça qu’on l’a tuée ?

Melanie fondit en larmes.

— On l’a tuée parce qu’elle était au courant des magouilles ? Et toi, tu étais au courant ? Ces magouilles ont à voir avec la campagne du maire, forcément : Ann t’en a parlé aussi ?

La jeune fille balbutiait mais ses yeux étaient un livre ouvert.

— Ton père finance la campagne de réélection d’O’Brian via l’obtention du terrain de Karikari Bay, continua Osborne : un marché de plusieurs dizaines de millions de dollars qui doit bien générer quelques valises d’argent liquide, c’est ça ?

Melanie secoua la tête.

— Je… je ne sais pas comment il s’y prend…

Intérêt, communauté de pensée, tolérance zéro, Melrose et O’Brian avaient tout à faire ensemble. Mais, l’époque voulant cela, on durcissait le ton : sécurité, répression, criminalisation, les forts contre les faibles, les riches contre les pauvres, ceux qui fabriquent les couleuvres et ceux qui les avalent, le même phénomène apparaissait dans tout l’Occident. La société néo-zélandaise n’y échapperait pas.

Melanie tirait toujours sur ses liens, ce qui était stupide.

— Pourquoi le Phénix est-il sous surveillance ? insista Osborne. Parce que les huiles viennent y fricoter de temps en temps ?

— Je ne sais pas !

Elle se mit à gémir en se tortillant sur la table. À l’autre bout de la pièce, les jumeaux serraient les fesses.

— Vous alliez au Phénix : vous et qui d’autre ?!

— Peu de gens sont au courant, marmonna la gamine. Michael allait au club avec Ann mais pas très souvent. Elle venait plutôt avec nous.

— Pourquoi ?

— On s’est connus par le biais de Julian Lung et on ne se mélange pas trop aux vieux. Mon père n’est pas au courant, le leur non plus, fit-elle en se tournant vers ses deux acolytes.

— Tu as vu Ann le soir où elle a été assassinée.

Ce n’était pas une question.

— Oui, fit Melanie. Au club. J’ai eu peur qu’on m’interroge mais il ne s’est rien passé…

L’adolescente avait l’air sincère mais elle se trompait lourdement. Le club échangiste était sous surveillance. Timu et Gallaher travaillaient main dans la main avec le maire. O’Brian savait donc que son conseiller en communication fréquentait Ann Brook et une boîte échangiste. Ann parlait trop, et Lung aussi. Elle risquait de tout foutre en l’air.

— Tu sais qui a tué Ann ? demanda Osborne.

Melanie secoua la tête pour dire non mais elle se mordait les lèvres. Elle aussi avait de sérieux doutes. Il eut un rictus amer — tous ces gens lui donnaient envie de vomir.

— Je vous en prie, gémit-elle, détachez-moi…

Il regarda un instant cette pauvre fille, le visage encore couvert de sperme, puis les crétins menottés. La jeunesse dorée d’Auckland…

Sa montre indiquait quatre heures trente. Osborne prit son portable et composa le numéro de Nick Melrose.

Le businessman dormait mais, à force d’insistance, il finit par se réveiller. Un réveil brutal :

— J’ai trouvé ce que je cherchais, lâcha Osborne. Hôtel Empire, Nelson Street, près de K. Road. Chambre 122. Je vous y attends.

— Quoi ? grogna Melrose à l’autre bout du fil.

— Je vous conseille de vous dépêcher.

Il raccrocha, sous le regard ahuri des gamins.

— Mais…, murmura Melanie. Vous aviez promis…

— La ferme, dit-il en la bâillonnant.

Laissant la gamine écartelée sur la table, Osborne vida les lieux.

Son utu à lui.

12

Amelia était penchée sur le morceau de cadavre. Les viscères étaient à l’air et il flottait dans le réduit comme une atmosphère chimique. Aussi pâle que sa combinaison, l’assistante du coroner ne disait rien mais le souvenir de l’agression avait laissé des traces sur son visage. Le bonheur avec Osborne était de courte durée. Le voilà justement qui revenait, la mine sombre.