Выбрать главу

Culhane opina.

— Pourquoi ? demanda Osborne.

Timu évacua un nuage de fumée.

— Nick Melrose ne veut pas de publicité et je crois qu’il a raison.

Le Maori toussa alors bruyamment. Ses petits yeux marron étaient pleins de buée mais il n’écrasa pas son cigarillo. Manquant de s’étrangler, il poursuivit son exposé :

— Outre la disparition de Fitzgerald et son équipe, la personnalité de Kirk et le nombre de ses victimes ont profondément choqué l’opinion. La presse a été plus ou moins contenue mais la population s’est vue sensibilisée aux problèmes d’insécurité. Kirk était polynésien, précisa le policier, et les victimes des pakehas pure souche. D’un cas particulier on a fait une généralité. Aujourd’hui la situation est embarrassante : vous devinez pourquoi ?

— On y a vu des crimes racistes ? avança Osborne.

— Disons que d’une série de faits isolés on a fait une constante, des amalgames, la presse s’y est mise et maintenant la situation est assez tendue.

Osborne acquiesça — il avait observé la même dérive xénophobe en Australie avec la diaspora libanaise. À la différence près que les Maoris étaient ici chez eux…

— Vous le savez, l’opinion publique, et plus particulièrement la population blanche, a été ébranlée par ces événements, enchaîna Timu. Les autorités m’ont choisi à ce poste pour faire preuve de fermeté, et c’est ce que je vais faire. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler lors de la soirée organisée ce soir à l’Observatoire, mais nous verrons ça plus tard : je suis moi-même maori et, à ce titre, je ne tiens pas à embraser nos deux communautés. Je ne veux pas de crimes racistes dans ma ville, ni d’un côté ni de l’autre. Vous avez la réputation d’être un bon médiateur, aussi je compte sur vous.

Osborne ne bronchait pas. Timu ranima la braise de son cigarillo.

— Voilà les premières informations récoltées au sujet du cambriolage, dit-il en désignant une chemise ocre. Elles pourront vous aider dans vos recherches. Vous livrerez votre rapport au lieutenant Gallaher ; c’est son service qui chapeaute l’affaire…

Osborne laissa Culhane s’emparer du dossier. C’est à peine si Timu lui avait adressé un regard.

— Et Zinzan Bee ? relança le capitaine. Du nouveau ?

— J’ai fait le tour de mes anciens contacts, répondit Osborne, évasif.

— Et alors ?

— Alors rien.

*

Sur l’affiche collée à l’arrière du bus, trois Maoris à la mine pincée se tenaient devant le cercueil d’un quatrième :

If you drink and drive, it’s one more bro’ for the road[2].

Une pub ciblée comme on dit.

Culhane doubla le bus qui se traînait sur la file de gauche et s’engagea sur Nelson Street. Tobby agitait la queue sur la banquette arrière, comme fou de bonheur. Osborne fumait en silence, un œil pour la ville où il avait vu le jour. Auckland avait toujours souffert de la comparaison avec Sydney. Ici, pas de rouleaux énormes pour vous clouer aux coraux, pas de filets pour éloigner les squales, de filles aux fesses riboulantes sur les trottoirs, ni bières décapsulées à tout bout de champ, ni gays à parader une fois l’an dans un tonnerre identitaire : rien que des avenues dégagées où les embouteillages se résumaient à des feux rouges, quelques buildings neufs et sans âme — on retrouvait les mêmes à Hong Kong ou à Singapour —, un sentiment d’isolement tranquille et cette vague mélancolie de la Mère Patrie qui, avec la présence du port tout proche, n’en finissait plus de lui lécher la face. Il y avait seulement un peu plus de sans-abri à quêter sur les trottoirs et une communauté asiatique qui avait doublé…

Culhane bifurqua vers le mont Éden, où culminait l’un des cinquante volcans éteints de la ville. Tobby tournait en rond sur la banquette arrière, à la recherche d’une odeur quelconque. Ils longèrent les blanches résidences de One Tree Hill. Surplombé d’un obélisque dédié aux Maoris, le site tenait son nom du tatora[3] sacré, mais aujourd’hui un pin malade faisait l’affaire — un Maori contestataire l’avait attaqué à la tronçonneuse. Le lieu était devenu un quartier cossu, touristique et huppé. Osborne écrasa sa cigarette contre la portière.

— Melrose habite ici à l’année ?

— Entre deux voyages d’affaires, oui, répondit Culhane, qui connaissait déjà le dossier par cœur. Melrose a fait fortune dans le commerce du bois, puis dans la pêche. C’est un autodidacte et aussi un spécialiste de l’histoire du pays, de la culture maorie… Il paraît même qu’il écrit des livres sur le sujet…

Osborne les connaissait : sous couvert d’un pseudo, Melrose y dépeignait le labeur des pionniers du XIXe siècle à qui la nation devait ses routes, ses villes, ses lois et sa civilisation, les Maoris restant des sauvages plus ou moins imperméables à toute idée de progrès. D’autres livres dénonçaient les agissements du tribunal de Waitangi et du ministère chargé d’indemniser les Maoris spoliés, lesquels, par opportunisme ou conscience d’avoir mis la main sur un filon, en profitaient pour soutirer de substantielles et intarissables compensations aux contribuables. Ces livres, édités à compte d’auteur, étaient devenus des best-sellers…

Culhane ne les ayant visiblement pas lus, Osborne se tut. De toute façon, ils arrivaient.

Laissant Tobby à sa banquette poilue, ils claquèrent les portières de la Ford et marchèrent vers l’entrée de la propriété.

Nick Melrose habitait une maison de style victorien à peine visible derrière de hautes haies verdoyantes. Une voiture de police était garée devant la grille. Filtrant les entrées auprès d’un policier en uniforme, l’homme censé garder la propriété n’en menait pas large : un dénommé Cooper, employé intérimaire d’une société de gardiennage jusqu’alors réputée pour son sérieux. Culhane l’interrogea brièvement. Ancien militaire qu’on n’avait pas repris faute de guerre, Cooper ne comprenait pas ce qui avait pu arriver : il avait gardé son poste toute la nuit et patrouillé comme d’habitude toutes les demi-heures dans le parc, autour de la maison. Osborne n’insista pas — Cooper avait le regard du type qui vient de perdre son job.

L’entrevue avec Percy, l’inspecteur que Gallaher avait envoyé sur le coup, n’ajouta rien à ce que leur avait déjà dit Timu : ni bris de glace, ni serrure forcée, pas d’empreintes, pas d’indices. Même le système d’alarme n’avait pas fonctionné. Quant aux voisins, eux non plus n’avaient rien entendu.

— Un vrai mystère, résuma Culhane.

Le soleil de midi les accompagna le long d’une allée fleurie. Une nuée d’abeilles vrombissaient, soûlées de pollen. Outre les grilles de la façade sud, le jardin était séparé du voisinage par des palissades où grimpaient des plantes parfumées importées d’Asie. Comme dans les tableaux d’Hockney, le jet d’arrosage circulaire avait moins pour fonction d’entretenir la pelouse que d’en éloigner les intrus.

Nick Melrose attendait à l’ombre de la terrasse, visiblement sur les nerfs. Grand, la cinquantaine sportive dans un polo de marque, bel homme si l’on aimait le style poivre et sel, le tout gâché par un regard de murène.

вернуться

2

« Boire et conduire : et encore un pour la route ! »

вернуться

3

Arbre de Nouvelle-Zélande.