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Mathias s’attelle à la tâche à grand et petit renforts d’annuaires internationaux. Et deux heures plus tard, mon rouquin magique se pointe avec la solution du rébus. Il existe bel et bien à San Antonio, Texas, un Peter Jeansen France. Gagné !

La profession de ce quidam ?

Je te le donne en mille ?

C’est trop ?

Alors en dix ?

Tu ne trouves toujours pas ?

Très bien, donne ta langue, chérie, à moins que tu n’aies mangé du Munster[3].

Eh bien, figure-toi (ou figure-moi, si tu préfères) que ce mystérieux mister France dirige une entreprise de pompes funèbres. Faut l’inventer, non ? Oui, cet homme dont le nom se trouve impliqué dans une sombre affaire d’espionnage entre l’Est et l’Ouest et qui possède sa biographie dans les dossiers du S.R. bernois, cet homme travaille tout bonnement dans la viande froide. Tu lui donnes un mort, il en fait un paquet.

Le gentil Mathias, ça va de soi, ou plutôt de lui, se livre à une enquête sur le gazier en question. Il s’adresse aux R.G., au G.I.G.N., au C.E., à la C.G.T., à l’U.D.R., au B.I.T., à la S.N.C.F., à la R.A.T.P., au C.O.C.A.C.O.L.A., au Q.I., au Z.O.B., au P.A.F., ailleurs. Il fouille dans les archives, les dossiers, les tiroirs, il regarde dans le tréfonds des placards, il vide les malles des greniers, il passe sa main sur les armoires, il vide les caves, explore les corbeilles à papiers sans rien obtenir. La réalité française est là, simple et tranquille : pour toutes nos instances policières, gendarmeuses, politiques, médicales, socioprofessionnelles, pédérastiques, religieuses, académiques, criminelles, problématiques, culturelles, occultes, maritimes, aériennes, antédiluviennes, ferrugineuses, vélocipédiques, militaires, maraîchères et phonétiques, pour tout, tous et toutes, dis-je, le dénommé Peter Jeansen France n’est qu’un nom sur l’annuaire de San Antonio. On ne possède aucun renseignement à son sujet. Ma crémière n’en a jamais entendu parler, non plus que M. Leprince-Ringuet, auquel je me plais à rendre hommage ici, et pas davantage que M. Roger Peyrefitte qui écrit mieux que moi, mais des trucs plus dégueulasses et que j’aime bien car on est deux au moins à pisser au cul des Jean-foutre ; nul journal ne mentionna jamais ces trois noms chargés de qualifier un même individu. Bref, la France, bien soudée et unanime comme dans les jours sombres de son Histoire, la France ignore mister France.

Et c’est pas plus mal comme ça.

Le vieux Texan d’à mon côté continue ses virtuosités maxillaires.

Il produit un bruit pénible de déglutition permanente. Quelle horreur, ces bipèdes qui se foutent des choses non comestibles dans la gueule et qui, plus tard, les recrachent pour les coller sous la table !

Je ferme les yeux. Mais l’œil étant dans la tombe et regardant Caïn, l’affaire continue de me fixer dans la pénombre relative de mes paupières closes. Je m’acharne à décrypter le texte du message trouvé sur Stone-Kiroul. Je surtresse, sautaille, sursaute, tressaille avec un synchronisme qui écœurerait un ordinateur (de pompes funèbres).

— Hello, please ! interpellé-je l’une des hôtesses, la plus mieux platinée du lot, avec en suce un sourire à t’arracher le copeau (ses chailles de devant ressemblent aux touches d’un appareil à sténotyper).

Elle attend mon bon plaisir, prête à ôter sa culotte si mes desiderata allaient dans ce sens.

— Avez-vous un horaire de tous les vols en direction ou en provenance de San Antonio, ravissante demoiselle ?

Elle paraît déçue comme si on lui annonçait qu’on va lui bouffer le frifri avec des baguettes.

La v’là partie dans son gourbi à frichti, farfouillant dans un placard du bas, ce qui tend admirablement une jupe qu’on aimerait fendre d’un coup de rasoir subtil. Elle se rabat ensuite sur la commode et finit par dégauchir un gros book grouillant de chiffres, de lettres abréviatives, de noms enchanteurs.

En me le tendant, elle déchapeaute le vieux Texan, ce qui fait bougonner celui-ci et laisse apparaître une calvitie fortement eczémateuse.

Voici ton Antonio joli (le vrai, à tiret) parti dans des compulsages méthodiques. Une sorte de jubilation mal contenue chauffe mes cellules grises, j’ai la certitude prémonitée que je vais découvrir ce que j’attends, ce que je sais. Car la vérité me pénètre par pulsions violentes et un instinct poulardier m’indique ce que je dois apprendre.

Si tu n’as pas cette espèce de don, il est inutile de pratiquer mon dur métier et mieux vaut te faire épilateur chez la femme à barbe.

Je mets dix minutes à trouver ce que je cherche ; mais le trouve, et un hymne de grasse (c’est Manouche qui me l’a appris) s’échappe de mon cœur, comme un vent du fauteuil directorial de M. Alexandre-Benoît Bérurier.

« Il » est là, bien là, avec ses trois chiffres avenants : 818. Ah ! chers 8, signes de l’infini. Et toi, 1, sans qui rien ne serait puisque tout commence par toi, si svelte. Vol 818 ! Voilà donc déchiffré un autre bout du message écrit à l’encre de veine. Vol 818, soit San Francisco-San Antonio. J’avance. Ne reste plus que deux mots à déchiffrer : Stocky et Pied. Mais je trouverai.

Sur cette certitude, l’avion se pose impeccablement sur une piste jonchée de criquets énormes.

COUP D’ŒIL

Funeral House

C’est écrit en puissants caractères dorés dans du marbre blanc. Une porte immense, laquée de couleur lie-de-vin, à doubles vantaux, pourrait livrer passage à des funérailles nationales italiennes. Commence alors une succession de halls d’exposition very interessinges, offrant à l’amateur indécis tout ce que l’art funéraire a pu produire depuis les pharaons jusqu’au style new look américain, en passant par les plus folles créations napolitaines. Il y a des halls de cercueils, d’autres de tombeaux. C’est présenté par un étalagiste qui doit se faire la main au Salon de l’Auto. Des podiums drapés de velours, des tentures, des décors peints, des tourniquets, mettent en valeur les ères les plus époustouflantes. Capitonnées, cela va de soi ; en bois rares, inutile de le mentionner, avec des poignées de métal précieux et des marqueteries qui auraient foutu la diarrhée verte à Charles X, ce grand con, je te le consigne pour mémoire ; en marbre sculpté, en bronze, en papier mâché ; mais faut voir les formes ! Certains cercueils, tu croirais des bagnoles de formule 1 ; d’autres sont gothiques, d’autres byzantins ; il y a le cercueil époque Néron, le cercueil Rudolph Valentino, avec plume dans le cul, le cercueil indien, comportant quatre éléphants aux angles et des poignées en ivoire. Cercueils d’ébène, d’acier, de verre ; cercueils à coupole, à roulettes, à ailerons ; cercueils en forme de chars romains, de sous-marins, de pianos droits, de cigare (allumé : le bout est éclairé au néon et c’est l’occupant qui fait les cendres). Cercueils blancs, rouges, arc-en-ciel. Cercueil, en forme de dalle dont le couvercle est un gisant (motif à choisir, t’as l’Indien à plumes, le guerrier noir, le cosmonaute en combinaison, le lancier du Bengale, le toréador, Ophélie, Caligula, Nixon, Moïse, Amin Dada, le doge de Venise, l’archevêque de Canterbury, Gaston Defferre, Ramsès II, George Washington, Charlie Chaplin (à roulettes), Napoléon Pommier, Frank Sinatra, Mme Récamier, Agrippine (de cheval), le Spirit of Saint Louis, mon cul, le tien, le nôtre, Lenôtre, Louis XIV, Marilyn Monroe, Juan Carlos II, Fenimore Cooper, Maurice Schumann, un autre, Reagan en cow-boy, le docteur Mabuse, Léon Tolstoï, Léon Trotte-ski, Léon Zitrone, Canuet, deux autres, Buster Keaton, Dioclétien, Casanova, Anne de Boleyn, Agamemnon, l’Agha Khân III, l’Agha même nom IV, Coluche, et deux mille autres).

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3

San-Antonio serait le plus grand écrivain français de langue française s’il n’était aussi, hélas ! le plus répugnant !

Jean-François Revel (de l’Académie française)