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Une musique allègre retentit sur cet immense bazar funéraire ; air de jazz guilleret qui va bien avec le style « Mourez, nous ferons le reste » de cet établissement comme il est regrettable que nous n’en possédions pas chez nous car l’Europe, quoi qu’elle prétende, est une contrée sous-développée.

De fort jolies hôtesses, accortes comme disait mon grand-père, en uniforme rose praline, sont là pour vous renseigner, vous distribuer les prospectus, voire vous guider jusqu’aux bureaux de location-vente pour y passer commande.

Ma pomme échafaude en parcourant ces salles d’exposition. Il s’agit, maintenant que me voici à pied d’œuvre, de ne pas renverser la saucière sur mon complet blanc. Prudence est mère de la P. J., a dit La Fontaine.

Après que j’aie visité les trois mille mètres carrés d’exposition, caressé les sarcophages, admiré l’architecture des plus beaux tombeaux, rêvé des moelleux capitons à l’intérieur desquels il doit faire bon dormir, il me paraît opportun de commencer à chercher une fente où enfoncer mon coin.

Ayant reparcouru l’ensemble, je m’intéresse au mouvement de cette étrange boutique. Des couples y viennent choisir leur future sépulture, comme d’autres vont à l’aéroport de Bruxelles, le dimanche, pour jeter du pain aux avions. C’est un but de promenade utile. Ils supputent, admirent, demandent des prix et emportent des catalogues. D’autres personnes moins chalandes sont là afin de requérir les services immédiats de la maison à la suite d’un deuil tout frais.

Je surveille, entre z’autres, les pérégrinations de deux messieurs noirs, de condition aisée, cela se remarque à leur vestimenture et à leur maintien, qui font l’emplette pour leur vieille maman défunte d’un mirifique cercueil rouge, avec hard top en plexiglas fumé, poignées incorporées. Deux grands fils aimants, je pressens, soucieux de gâter une dernière fois la mère vénérée. Je leur virgule un sourire de compassion fraternelle qui ne parvient pas à destination car ils se méprennent sur sa signification profonde. Ainsi, souventes fois, nos élans de l’âme glissent-ils sur les peaux de banane de l’incompréhension, ce qui est déplorable, mais qu’y puis-je ? Je remets donc mes excellents sentiments dans ma culotte et poursuis ma vadrouille dans le palais des ultimes mirages.

Je ne tarde pas à remarquer que chaque jeune femme préposée, lorsqu’une commande s’amorce, va en référer à une dame blonde, en robe de ville sobre mais élégante. Ladite est coiffée tiré, avec une raie médiane, une sorte de chignon sur la nuque, maintenu par une grosse barrette d’écaille. La fille est grande, mince, distinguée pour une Ricaine, avec un regard sombre, intelligent ; elle a très peu de poitrine, c’est dommage, mais on peut s’en acheter une ailleurs. Elle se tient en principe dans un grand box vitré, meublé somptueusement, mais qu’elle abandonne à tout bout de champ pour répondre aux sollicitations de ses hôtesses. Bref, il est clair que la jolie personne assume la direction de la partie présentoir. Elle s’acquitte de sa tâche avec classe, affable et réservée ainsi qu’il sied dans un négoce de ce genre qui t’amène des pratiques chez qui la mort vient de frapper.

Je jette sur elle mon dévolu, attendant que ses activités connaissent une accalmie pour l’aborder des plus civilement.

— Pardonnez-moi, miss, fais-je en lui présentant ma carte de grand reporter (j’en possède douze pour mes déplacements à l’étranger, affirmant que je suis journaliste, médecin, réalisateur TV, artiste peintre, ingénieur dans l’électronique, etc., selon les besoins des causes).

Elle regarde, mais c’est écrit en français que je suis correspondant permanent aux U.S.A. du Courrier de l’Ardèche, et dans l’ignorance de cette langue où elle se trouve, me rend la brème en ne retenant d’elle que le mot « Presse » et sa barre tricolore en diagonale.

— Je réalise un grand reportage sur « la mort aux Etats-Unis », expliqué-je. Vos habitudes diffèrent beaucoup des nôtres et il y a là matière à intéresser le public de mon journal ; envisageriez-vous de m’accorder une interview ? Bien entendu il n’est pas question de vous importuner pendant vos heures de travail, mais c’est volontiers que je vous inviterais à dîner si la chose vous paraît réalisable.

Elle sourit.

Et puis me défrime car, sous toutes les latitudes, toutes les longitudes, tous les parallèles, tous les pôles, tous les équateurs, avant de répondre à une proposition de ce genre, l’intéressée examine celui qui l’articule.

Je m’efforce donc (et sans grand mal, ma modestie dût-elle en pâtir) de ressembler à un homme bien tourné, au visage agréable, au regard pétillant d’esprit, possédant un sexe de belle facture et sachant où le placer ainsi que la façon de l’actionner lorsque c’est chose faite.

L’examen, pour bref qu’il soit, est concluant car la jeune belle femme dit :

— Ce serait une bonne idée.

J’évite de me pourlécher de façon trop ostentatoire.

— J’habite l’hôtel Commodore, sur la San Antonio River, voulez-vous me rejoindre au bar, ce soir à neuf heures ? Nous prendrons quelques drinks et ensuite je compte sur vous pour m’indiquer le meilleur restaurant de la ville.

— Celui du Commodore jouit d’une excellente réputation.

— Merveilleux, dis-je en songeant que, de la sorte, nous ne serons pas éloignés de ma chambre.

Elle déclare, très spontanée, comme toutes les Ricaines :

— Mon nom est Maggy.

— Ce soir, je le saurai par cœur, promets-je.

Je chique les cérémonieux et m’incline comme si j’étais le roi d’Espagne en visite chez la duchesse d’Albe ; les bonnes manières impressionnent toujours les gens qui n’en ont pas. Même si elles sont contraires aux principes de la personne.

Cette prise de congé ravit la belle Maggy. Elle me regarde disparaître à travers son bric-à-brac d’emballages à osselets comme une génisse s’attarde sur le fourgon de queue d’un petit train d’intérêt départemental.

Je me promets pour très bientôt des instants exceptionnels.

En sortant, je musarde par la ville. Il y fait chaud et l’air est empuanti de gaz d’échappement. Un homme-tronc vend des journaux aux titres tapageurs au bord du trottoir.

Le sol est jonché de papiers sales et d’insectes qui éclatent sous vos pas. Une petite Noirpiote vêtue d’une jupe bleu ardent et d’un tee-shirt sur lequel est écrit « Mon cul s’appelle Reagan » actionne un appareil distributeur de Coca. Je lui souris, elle me tire la langue. Jolie langue d’un mauve de samoyède. Un cireur de pompes, qui a surpris mon manège, murmure en me fixant en plein dans les carreaux comme, autrefois, le président Giscard fixait la France : I kill you (je te tue).

Décidément, les sourires ne sont pas appréciés au Texas.

J’atteins un carrefour marqué par une tour au sommet de laquelle galope le texte d’un journal lumineux. Nouvelles locales. Des accidents de bagnole…

Il est five o’clock. Tu crois que la belle Maggy va se laisser embarquer dans ma combine ? Et dans mon plumard, dis ?

Le hasard nonchalant, mais qui veille, me conduit jusque devant les vastes burlingues de la T.W.A.

J’y pénètre. C’est grand comme le siège principal d’une banque suisse avec plein de guichets. L’air conditionné sévit si fort que tu te sens illico au bord de la pleurésie. Au bout de dix secondes tu y es accoutumé et tu baignes dans le bien-être de la vie moderne.

J’opte pour un guichet marqué « Renseignements », derrière lequel M.H.J. Malckommer, un rouquin au nez pointu, essuie ses lunettes de myope (si j’en crois l’épaisseur de ses vitres, c’est le dernier stade avant la canne blanche).