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Le cimetière de Fort Makabee se niche dans un vallon verdoyant, complanté de cyprès et autres espèces relevant davantage de l’art funéraire que de l’arboriculture : buis, saule chialeur, etc. De simples dalles recouvrent les caveaux. Tout y est géométrique comme une ville ricaine neuve. C’est compartimenté en allées et en travées, avec des feux tricolores dans les carrefours les plus importants. Des squares y sont aménagés, pourvus de bancs et de lampadaires, il existe des aires de pique-nique, avec tables de pierre, blocs sanitaires, cabines téléphoniques, manèges pour les enfants, postes à essence, marchands de sandwiches, piscines.

C’est la mort de bonne compagnie.

J’abandonne ma tire soporifiante pour me repérer. Allée 45, m’a dit le préposé. Un plan en couleur, éclairé par une rampe de néon, est à la disposition du visiteur. Il ne me faut pas cinq minutes pour aboutir à la tombe de feu Stocky. Sobre pierre blanche où l’on a gravé l’essentiel de son curriculum vitré, à savoir son nom, l’année de sa naissance, celle de sa mort. Et que voudrais-tu ajouter, mon pauvre ami ? Il n’y a jamais rien de plus à dire sur un homme qui a cessé. Signaler qu’il fut est déjà une bien grande distinction, car point n’est besoin de renseigner qui reste sur qui est parti vu qu’ils sont désormais totalement étrangers l’un à l’autre.

Or, donc, mister Stocky gît là, sous cette dalle de ciment poli. Et il m’appartient de violer sa sépulture, histoire de m’assurer si elle abrite ou non un secret capable de déclencher tout le bordel qui précède.

Il va me falloir desceller la dalle et la soulever. Et moi, bonne pomme antoniaise, de me pointer mains aux poches, avec un canif à deux lames ; tu juges ?

« Heureusement, me dis-je, que tu disposes de la trousse d’outils de la Cadillac. Elle aura été à la peine, donc à l’honneur, dans cette aventure texane. »

Je m’en vais donc rassembler un max de matériel.

Dûment lesté, je reviens au labeur, dépose mon veston sur la tombe de Mary Krackett (1920–1981), et déballe ma panoplie sur celle de Steve Bheurgh (1913–1982).

Primo : torche électrique. J’inspecte le boulot à accomplir. Et alors je constate que le ciment scellant la dalle est tout frais. Je te parie le gros machin que je t’ai fait voir l’autre jour, ma chérie, contre le petit truc que tu m’as permis de caresser, que cette tombe a été ouverte depuis moins de quarante-huit heures.

La déception me défrise les poils sous les bras. Eh quoi ! Grillé, l’Antoine ? Coiffé au poteau rose ? Dieu, se peut-ce ?

Accablé, je dépose mes fesses sur la page de garde de Samuel (1908–1979).

A quoi bon entreprendre cette macabre besogne ? D’autres sont venus, ont cherché, trouvé, refermé. Et moi, pauvre de moi, je n’ai droit qu’aux restes, si je puis dire. Mon enquête tombe en cendres (celles du pauvre Mr. Stocky, que Dieu ait son âme et l’emmitoufle bien, le doux Seigneur).

Il ne me reste plus qu’à recoltiner mes outils jusqu’à la tuture et à m’emporter dans des contrées plus propices à mon épanouissement.

Seulement, telle la flamme qui veille dans le chœur de l’église, y assurant la permanence de l’Esprit Saint, une petite lueur d’espoir, pas plus hardie que la lumière d’un ver luisant dans la cathédrale de Dakar, subsiste au creux de ma déconfiture. En moi germe la question suivante : « Que ferait le président Mitterrand s’il était à ta place ? Et James Bond zéro zéro sept (ses six aînés sont dans le commerce de gros, eux aussi), et Tintin ? Hein ? » Force m’est de répondre qu’ils ne s’avoueraient pas vaincus, eux ; oh ! mais que non ! Tu les connais ?

« Bien, soupiré-je, y étant, je vais y rester. »

Me munis alors d’un fort tournevis et d’un marteau. Evidemment, ça irait plus vite avec un ouvre-tombes automatique ; le ciment a beau être frais, il faut tout de même le dépiauter sur tout le pourtour. Fortreusement, l’endroit est désert ; mieux : isolé. Je n’entends que la très lointaine rumeur de l’autoroute et aussi le jappement d’un coyote tenaillé par une bergerie.

J’interromps parfois ma besogne pour tendre l’oreille et filer un coup de périscope, mais mon qui-vive est vain ; alors je me remets au turbin.

Et enfin, après une bonne heure d’escrimance, j’ai détouré la pierre. A l’aide d’un démonte-pneu, je pratique un trou dans le sol, à dix centimètres de la dalle, je stabilise le fond du trou à l’aide d’un caillou plat (tu viendras pas te plaindre que j’esquive les explications) et pose le socle du cric sur le caillou, qu’ensuite j’incline l’outil pour que sa tête se loge sous le rebord de la pierre tombale, et puis me mets à le cigogner, façon pompiste du début de siècle. La dalle remue, s’écarte progressivement. Belle astuce ! Tu me surprendras toujours, Santantonio ! Tu es le king ! Le king des kongs ! Le roi des kings, voire à la limite, le roi des kongs, des Vikings et du Viêt-cong.

Donc, la dalle s’écarte suffisamment pour que je puisse la saisir et, en marc-boutant bien, la déplacer complètement, par saccades héroïques : Jean Valjean soulevant la charrette à l’essieu brisé pour sauver la vie d’un pauvre roulier, au nez et à la fausse barbe de l’impitoyable Javert, lequel devant l’exploit se dit : « Il n’est qu’un homme pour accomplir cet exploit : c’est l’ancien forçat du bagne de Toulon ! » Car il a passé sa carrière à traquer le malheureux Jean Valjean pourtant rédempté de bas en haut, le Javert. Faut dire que le délit initial à Valjean était de taille : il avait barboté un pain dans une boulangerie un jour de disette.

Moi, tu sais mon hugolâtrerie, mais merde, valait mieux qu’il écrivasse des pouèmes, Totor, plutôt que des Santonio, des A.D.G., des Gérard de Villiers, des Boileau-Narcejac. Comment qu’il se serait planté la gueule, Barbapoux, s’il avait pondu dans la chicorne voluptueuse, le coup de théâtre et tutti frutti (ou tutti chianti, si t’as soif).

Voleur de pain aux abois pendant des lustres ; identifié because il soulève un tombereau, y a pas de quoi se faire élire pair de France, ni paire de couilles, du point de vue phosphoraison. T’envoies ça à l’Eclaireur de la Pointe du Raz, le rédacteur en chef te le retourne en même temps qu’une baffe, non sans s’être torché en trois exemplaires avec ton bioutifoule papier pelure (d’oignon).

Mais enfin, quoi : autre étang, autre nurse, ça l’a pas empêché de best-sellerer, le vieux Vic, ni d’avoir sa poire sur les talbins de cinquante pions, comme moi bientôt. Tout ça, je t’en ai déjà causé, par ailleurs, et par-derrière, mais quand un truc me tracasse, j’hésite pas à le mettre en vitrine. Toujours bien se vider de ses préoccupations. Une vessie peut cacher une lanterne.

Etant délicat à outrance de nature, j’abstiens de te signaler la féroce odeur qui me saute au nez, aussi promptement que ta dame me saute au paf quand tu descends chercher la glace du dessert avant le repas. C’est à peine soutenable pour un type possédant un sens olfacpif (j’écris bien olfacpif) tellement surdéveloppé qu’il parvient à trouver des truffes dans les cervelas truffés de Jacques Borel.

Je m’applique à respirer avec la bouche, réservant mon nez à des parfums ultérieurs.

Le cercueil est en place, un gros machin d’acajou qui ressemble à une Lamborghini sans roues. C’est ici qu’il va falloir se recueillir et ne plus se lâcher, mon Tonio joli. Sale moment et qui ne servira peut-être à rien, mais nous autres, hommes d’action, avons également des obligations.

Je saute dans la fosse, heureusement cimentée. Il existe un intervalle d’une quarantaine de centimètres entre la bière et les parois. Suffisant ! Le faisçal de ma loupiote étudie le couvercle et je constate d’emblée qu’il a été dévissé et simplement reposé sur le coffrage par des gens pressés.