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Elle hésite, luttant avec des principes que madame sa maman lui a probablement serinés pendant vingt piges.

Mon accueil urbain la décide. Elle relourde, s’approche jusqu’à deux mètres quatre-vingt-dix.

— Asseyez-vous, madame. Je déplore de ne pouvoir moi-même vous avancer un siège, mais ce serait au détriment d’une pudeur que je devine fortement ancrée en vous.

Elle sourit menu, se dépose sur un bout de fauteuil qui se voudrait Louis XV, ce con, comme si ça pouvait l’avancer à quelque chose.

— Je suis Anny Etoilet, je travaille à Berne à la Burnkreuse Petroleum Company. J’avais rendez-vous, tôt ce matin, avec Jean Rameau. Il ne s’est pas présenté. J’ai essayé de l’appeler, mais ça ne répond pas dans sa chambre. Inquiète, je suis venue aux nouvelles. La direction a bien voulu visiter sa chambre : son lit n’est pas défait.

Elle a une voix agréable, ferme et chaleureuse. C’est le genre de mémé qui doit te faire ronfler la toupie fantasque, espère ! Comme toujours, je ne puis m’empêcher, en l’écoutant et regardant, d’imaginer la façon dont je me comporterais si, de bonne aventure, elle acceptait mon lit au lieu de mon fauteuil merdico-louis-chose.

Elle continue, de son ton uni, précis :

— Des employés questionnés prétendent qu’ils l’ont vu hier au soir au bar, avec vous. Si je me permets de venir vous importuner, c’est parce que nos affaires en cours sont très importantes et que je suis inquiète de les lui voir négliger. Jean Rameau est un homme très à cheval sur le travail. Son absence, pour ne pas dire sa disparition, m’alarme.

Tout cela bien balancé, net, sans bavures. Je signe le récépissé d’un acquiescement pénétré.

Mon siège est fait, ma décision prise, mon paquetage bien carné. Je lui narre notre rencontre d’hier à Rameau et à moi, sans omettre son autoréquisitoire à propos de la société de consommation, ce qui la fait sourire. J’achève sur ma prise de congé et m’abstiens de lui raconter les péripéties du Ran-Tan-Plan. Après tout, la nouvelle va être connue incessamment et il serait mal venu que je me mouillasse pour la renseigner.

Elle s’apprête à me prendre congé quand le turlu retentit.

Déjà, c’est le camarade Demussond.

— Ton Rameau d’olivier est un bonhomme très honorablement connu, ayant pignon sur rue, ladite rue se trouvant être les Champs-Elysées où il possède ses bureaux. Réputation irréprochable, il est très demandé dans le monde de l’or noir.

J’écoute sans cesser de contempler ma visiteuse. Belle à croquer, décidément. Je me la ferais façon Jockey-Club, tout en rond de bite et en usant du subjonctif pour prendre mon pied. Dame surchoix. Quand elle monte en mayonnaise, ça ne doit pas être de la mayonnaise sous tube.

— Par ailleurs, j’ai fait le nécessaire pour ta visite au bonhomme. Il se trouve à l’hôpital cantonal, service du professeur Achpentzeinmayer.

— C’est pas un nom, c’est un éternuement, objecté-je.

— Il s’en est tout de même servi pour faire carrière dans le bistouri électronique. Maintenant, concernant le colonel Müller, c’est le black-out le plus complet et je suis infoutu de te dire ce qu’il comptait te communiquer.

— En somme, je fais du tourisme en attendant ?

— Si tu veux. Il paraît que les Bernoises sont plutôt jolies ?

Je place ma main sur l’émetteur et je demande à Mme Anny Etoilet :

— Etes-vous bernoise ?

— Non, lausannoise, me répond-elle.

Je délivre le combiné de ma patoune obstruante et déclare à mon pote :

— Erreur, mon ami, ce ne sont pas les Bernoises qui sont jolies, mais les Lausannoises. Salut !

Et je raccroche.

La dame est devenue rouge de confusion. Ce n’est certes pas le premier madrigal qu’elle encaisse, mais on ne lui en avait encore jamais balancé de cette manière indirecte. Pas mal fignolé, n’est-il pas ? comme disent nos chers Britanniques.

Elle se redresse.

— Je vous prie de m’excuser encore pour cette intrusion…

— Que pouvais-je souhaiter de plus merveilleux à mon réveil, chère Anny ? J’espère que vous serez d’accord pour que nous déjeunions de concert et de conserve, sinon de conserves ? Nous confronterons les renseignements que nous aurons butinés au sujet de cette mystérieuse disparition.

Mais elle secoue la tête, un peu raidasse tout à coup.

— Je vous remercie, c’est absolument impossible, bonsoir !

Elle marche résolument vers la sortie.

— Hé ! Attendez !

Elle se retourne.

Alors, mézigue, culotté (ce qui est une, pure image car seul est couvert mon hémisphère nord) de sauter du pieu pour aller vers elle, le métronome battant la mesure à quatre temps dans toute sa gloire de l’aube triomphante.

— Anny, quand on vient voir un homme jusqu’à son lit, on ne le quitte pas comme le super-P.-D.G. des pétroles Machinchouette à la fin du conseil d’administration.

Elle a eu un haut-le-corps qui me perd en conjonctures. Est-ce mon impudence ? Est-ce mon ardeur ? La vigueur de mon compagnon de polissonneries ; son calibre respectable ?

Je mets à profit ce léger blocage pour m’approcher en plein.

— Anny, je susurre, il ne faut pas aller contre la volonté de Dieu, jamais. Il a horreur de ça. Or c’est Lui qui vous a conduite jusqu’aux rives de ma couche solitaire. Vous êtes venue ici de votre plein gré, vous n’en sortirez qu’avec le consentement d’un homme dont, en une seconde, vous avez bouleversé les sens. Et je prouve ce que j’avance, et j’avance ce que je prouve ; ce ne sont pas des paroles en l’air, constatez-le ou tâtez-le.

Cette femme, tu penses : quarante-cinq balais admirablement préservés, mais qui sont là, au complet, une bite pareille, elle la laisse pas passer. Trêve de marivaudage, venons-en aux actes sous seins privés (et qui ne le seront plus d’ici douze secondes !).

Je la prends dans mes bras, la soulève comme une rose de Panthéon, la dépose sur mon lit comme sur la tombe de Jean Jaurès.

— C’est fou ! parvient-elle à articuler, ce qui constitue un agrément tacite.

La suite l’est davantage ! Elle déjà pomponnée, attifée, parée pour la journée. Et moi, hirsute mâle en chibrance féroce, sentant la ménagerie matinale, pris encore dans les rets de la dorme, mais en rut au point que naguère la soubrette de Porrentruy aurait fait l’affaire en deux coups mes grosses !

Etreinte sauvage. Furie du charnel explosant au détour de l’instant, sans préméditation. On ne savait rien l’un de l’autre quelques minutes au paravent. Et voilà qu’on accomplit ensemble l’acte le plus intime de tous : la baise.

Elle ne parle plus, elle geint de bonheur surpris. Il y a encore le plateau du petit déjeuner au pied du lit. Perrette et le pot au lait ! Quelle belle troussée ! Noble ! Intense ! Eperdue ! Tu serais là, t’aurais irrésistiblement besoin d’applaudir. Je crois bien qu’on va représenter la France et l’Helvétie aux championnats du monde de la brosse, tous les deux médaille d’or dans les figures libres, et re-d’or dans les 69 départ arrêté. Plus des médailles d’argent dans un peu tout le reste.

Mais quoi ? La vie est ce qu’elle est et il faut faire avec, aller d’un instant l’autre pour perpétuer sa durée, en essayant que chaque minute apporte une quelconque satisfaction.

Le quart d’heure qui s’écoule s’inscrit dans la colonne du crédit. On a tort de jeter le bois à demi consumé des allumettes car il constitue le souvenir de l’allumette, son témoignage d’ex-flamme. De même, on ne doit pas oublier les moments forts de l’existence car ils aident à supporter les mauvais.

Mais pour l’instant, je m’applique à exister au maximum et à faire participer la dame à cette transe sublime. Mutuel cadeau. L’offrande absolue. « Tiens ! » n’est-il pas le cri du corps ? Prendre, c’est donner. S’assouvir, c’est offrir. Je t’en passe, pouvant très bien débloquer de la sorte jusqu’à ce que cet humble polar t’en choie des mains comme une assiette trop chaude.