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— Merci, capitaine Tyrosian. » Geary s’effondra dans son fauteuil dès que l’image de Tyrosian eut disparu, non sans se dire que, sur les quatre croiseurs de combat qu’elle venait de citer, trois étaient commandés par des officiers supérieurs qui avaient aussi sous leurs ordres une division de ces bâtiments. Flagrant témoignage de la bonne vieille mentalité « On s’en fout de la mitraille ! En avant toute ! » toujours en vigueur même parmi ceux qu’il aurait crus jusque-là plus avisés. Que la flotte de l’Alliance eût gardé la haute main sur le champ de bataille permettrait à tout le moins de récupérer ces quatre croiseurs de combat. Contrainte de battre en retraite, elle aurait aussi perdu ces vaisseaux.

L’alarme de l’écoutille de sa cabine carillonna et Desjani entra, l’air épuisée mais triomphante. Geary dut se remettre en mémoire que, comparativement à la moyenne des pertes enregistrées au cours des batailles des dernières décennies, cette victoire elle-même, qui lui semblait pourtant si chèrement acquise, n’avait pas coûté grand-chose. « Nous tenons un officier supérieur syndic, annonça Desjani. Pas leur commandant en chef, mort à bord d’un des croiseurs de combat qui a explosé, mais son second.

— Il me semble que nous devrions nous féliciter qu’un commandant syndic ayant commis si peu d’erreurs soit désormais hors d’état de nous nuire, fit observer Geary. L’Indomptable est-il gravement touché ? »

Sur le visage de Desjani, le chagrin se substitua au triomphalisme. « Vingt-cinq morts, trois blessés grièvement, mais que nous espérons sauver. Nous avons perdu une batterie entière de lances de l’enfer et je ne suis pas certaine que nous réussirons à la refaire fonctionner, malgré nos prières et tout le chatterton que nous lui appliquerons. »

Geary hocha la tête, un tantinet anesthésié. « Si vous tenez à remplacer certaines de vos pertes par des spatiaux de l’Opportun, faites-le-moi savoir. »

Desjani fit la grimace. « L’Opportun est donc rayé des cadres ? Bon sang ! J’ai vu que son commandant était mort.

— Remercions-en les capitaines Caligo et Kila du Brillant et de l’Inspiré, dont il a suivi l’exemple, ajouta Geary avec amertume.

— Si je puis me permettre, capitaine… que comptez-vous faire à ce sujet ? »

Il lui jeta un regard inquisiteur. Desjani donnait l’impression d’avoir soigneusement formulé sa question. « J’ai un mauvais pressentiment… Vous allez sans doute me dire que la flotte trouve leur geste admirable. »

Elle hésita une seconde puis hocha la tête. « Oui, capitaine. Fondre sur l’ennemi sans se soucier de sa supériorité, ce genre de chose. Aux yeux de la flotte, leur désobéissance est justifiée.

— Autrement dit, elle serait horrifiée si je prenais des mesures disciplinaires. » Il secoua la tête. « J’avais pourtant l’impression…

— Qu’ils auraient retenu la leçon ? s’enquit Desjani. Nous apprenons, capitaine. Mais nous avons aussi besoin de conserver cet état d’esprit qui veut que nous soyons prêts à nous battre quoi qu’il en coûte. Et vous savez combien il est difficile de renoncer à ses convictions. C’est exactement le contraire de ce qu’ont fait Casia et Yin. Eux ont désobéi à vos ordres pour fuir le combat. Caligo et Kila l’ont fait pour combattre. Tout le monde a condamné Casia et Yin, mais, si vous tentiez de traiter Caligo et Kila comme s’ils avaient agi de la même façon, bien rares seraient ceux qui vous soutiendraient. Je vous conseille respectueusement de marcher sur des œufs en l’occurrence, capitaine.

— Ouais. Merci du conseil. » Un haut fait pendant la bataille, un geste noble destiné à s’attirer l’admiration de toute la flotte, mais au prix d’un vaisseau ami que ce geste avait conduit à sa perte. Les conclusions que Geary en tirait, selon lesquelles le comportement de Caligo et Kila n’était pas sans présenter une ressemblance troublante avec le mode de réflexion de ceux qui avaient posé ces logiciels malveillants, lui répugnaient sans doute. Mais c’était encore loin de prouver leur implication dans le sabotage. Il allait devoir mûrement y réfléchir et en discuter avec Rione. « Bien sûr, j’ai commis moi-même un bon nombre d’erreurs cette fois-ci. »

Desjani le fixa en fronçant les sourcils. « La première passe ne s’est pas déroulée à la perfection, mais tout le reste était concluant. » Il ne répondit pas et le front de Desjani se plissa davantage. « Vous ne cessez de m’affirmer que vous n’êtes pas parfait, capitaine, mais je constate que, pour l’heure, vous vous reprochez de ne pas l’être. Avec tout le respect que je vous dois, vous êtes inconsidéré et trop dur envers vous-même. »

Geary se surprit à lui décocher un petit sourire torve. « Avec tout le respect que vous me devez ? À quoi donc aurais-je droit si vous me manquiez de respect ?

— À m’entendre vous dire que vous seriez stupide de laisser un simple faux pas entamer votre confiance en vous. Ce que, bien sûr, je n’ai jamais dit, capitaine.

— Parce que ce serait me manquer de respect ? Il me semble pourtant que je serais bien avisé d’y prêter une oreille attentive. Merci. Où est ce commandant en chef syndic ?

— Son module de survie a été recueilli par le Kururi, qui est en train de le transborder sur l’Indomptable.

— Parfait. Veuillez prier le lieutenant Iger de me faire savoir quand notre visiteur sera prêt à bavarder avec moi, s’il vous plaît. Je compte aussi sur votre présence. » Desjani hocha la tête. « Et sur celle de la coprésidente Rione. »

Le visage de Desjani se referma. « Oui, capitaine. »

Geary s’était rendu compte que, quand Desjani lui disait « Oui, capitaine », sa réponse pouvait revêtir un bon nombre de significations mais jamais traduire son assentiment. « C’est une alliée capitale, Tanya. Elle comprend certaines choses qui nous échappent. C’est une politicienne. Ce Syndic aussi est un homme politique.

— Ils parleront donc le même langage », affirma Desjani, sur un ton laissant clairement entendre que Rione et le commandant en chef syndic avaient beaucoup d’autres traits de caractère en commun. « Je vois très bien en quoi elle peut nous être utile, en ce cas, capitaine, ajouta-t-elle. Je vais faire part de vos vœux au lieutenant Iger. »

Dans la salle d’interrogatoire, s’inquiétant sans doute qu’on ne transmît aux Mondes syndiqués l’enregistrement vidéo de sa personne à des fins de propagande, le commandant en chef syndic s’évertuait de son mieux à jouer les bravaches. Son uniforme à la coupe impeccable gardait quelques traces de son évacuation hâtive du dernier vaisseau qu’il avait commandé, et son aspect était quelque peu débraillé, bien que sa coupe de cheveux donnât encore l’impression d’avoir coûté le prix d’un destroyer. Geary s’adressa à Iger. « Découvert quelque chose jusque-là ? »

Iger opina, non sans esquisser un petit sourire. « Oui, capitaine. Il n’a strictement rien dit, bien sûr, mais j’ai surveillé ses réactions, y compris sur son scan cérébral, pendant qu’il écoutait mes questions. Il a nié avoir connaissance de l’existence d’une intelligence extraterrestre, mais sa courbe a montré des pics quand je lui ai posé cette question. De frayeur.

— De frayeur ?

— Oui, capitaine, répéta fermement Iger. Aucun doute. Celui-ci au moins a peur de ces entités.

— Êtes-vous certain qu’il n’avait pas plutôt peur de la question ? demanda Rione. De ce qu’il risquait de trahir un secret de première importance ?

— Ou, tout simplement, que nous en sachions assez pour la lui poser », renchérit Desjani.