Выбрать главу

Müller s’approcha. Bien que peu expressif, son visage se crispa.

Sous le sein gauche, la fille avait un couteau planté dans le torse, et dont seul le manche de corne noire dépassait. Du sang lui coulait sur le flanc et les cuisses et commençait à goutter sur le plancher poussiéreux.

Du sang très rouge, qui ne tarderait pas à noircir.

Müller posa le gras du pouce là où devait se trouver la carotide.

Pour incroyable que cela parût, quelque chose battait encore quelque part.

Müller s’essuya le front d’un revers de main.

La 4L de la Criminelle avait pénétré dans la cour.

Charles Catala coupa le contact.

Il était midi vingt.

* * *

Hollywood Chewing-gum prenait l’apéritif avec sa femme, Rafe et la femme de Rafe, une brunette marrante et qui ne cessait pas de rire aux éclats, et un autre couple cool, qui était arrivé peu après eux et n’avait pas tardé à installer son Trafic custom sur un emplacement proche. Tout le monde tournait au punch, sauf lui qui buvait un jus de tomate à petites gorgées. Il avait horreur de l’alcool et plus généralement de tout ce qui pouvait rendre un homme moins maître de lui ou atténuer sa vigilance.

La femme du Trafic portait un string blanc qui contrastait avec la noirceur de sa peau très bronzée. Elle rit, agita les doigts de pieds, s’étira et demanda, les bras derrière la nuque :

— C’est comment, vous ?

— Jacques.

— Et elle ?

— Sylvie…

— C’est joli, Sylvie, non ? Ça veut dire quelque chose ?

— La forêt, sourit Rafe.

— Et vous ? demanda la femme en braquant ses lunettes noires sur le jeune barbu.

— Raphaël… Rafe, quoi.

La femme secoua la tête. Il faisait bon à l’ombre des faux poivriers, un peu de brise tiède agitait la cime des jeunes peupliers, on entendait les gosses piailler au bord de la piscine, dans l’herbe. Dans le Transit, une clarinette, suave et tendre comme un morceau de velours, préludait en mineur, puis il y eut des violons destinés à soutenir la mélodie.

La femme s’aperçut que Sylvie l’observait depuis un bon moment, à peine dissimulée derrière les verres bombés de ses grosses lunettes de soleil. Elle ne sourit pas. Les autres ne pouvaient pas comprendre. Jacques déposa son verre sur la table de camping et se leva.

— Téléphone, Rafe.

— Au bureau…

— Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? demanda la femme en suivant la svelte silhouette suivre l’allée en direction du bureau des entrées.

Hollywood Chewing-gum se déplaçait souplement, les épaules droites et immobiles : tout se passait sous les hanches.

— Moniteur de natation, soupira Rafe. Ça fait cent fois que je lui dis de venir ici, de pas se faire chier au froid… (Il haussa les épaules.) Y a de la place pour deux, surtout avec le plan d’eau, derrière…

— Vous ne parlez pas beaucoup, Sylvie, observa la femme.

— C’est pas la peine, coupa la jeune femme, le visage immobile.

Il était midi quarante — l’heure d’allumer le charbon du barbecue. Ce que fit Rafe.

CHAPITRE VIII

Schneider avait la veste ouverte, les mains glissées à plat sous la ceinture, dans le dos. La chemise trempée lui collait aux flancs et il avait une cigarette à la bouche. Un interne et deux infirmiers s’activaient autour de la fille, sans geste ni parole inutiles. Ils faisaient leur boulot : ils avaient récupéré un tas de barbaque pas encore tout à fait foutu et leur boulot, c’était de l’évacuer et de faire en sorte qu’il survécût.

L’un des deux infirmiers brandissait un bocal de perfusion à bout de bras.

Schneider s’effaça devant le brancard.

Le dos tourné, Müller regardait par la fenêtre.

Soudain, à part les deux flics, la pièce fut vide.

— Aucune idée des types ? demanda Schneider.

— Aucune. Ils ont filé par-derrière. Ils connaissaient le coin comme leur poche. (Müller se retourna d’un bloc, dévisagea le policier maigre.) Qu’est-ce qu’il fallait faire ? Attendre de bloquer toutes les issues ?

— Je ne vous fais aucun reproche, Müller.

— C’était la gonzesse à Charles ?

— Oui, dit Schneider.

— Sale coup, opina Müller. Ces ordures l’ont drôlement esquintée.

Il se passa la manche de la vareuse sur le front.

Schneider était immobile. Son regard gris balayait le plancher sans s’attarder à rien. Charles Catala était fragile : il avait une vocation de saint-bernard. Dans le métier qu’il faisait, c’était quelque chose de meurtrier. Charles se prenait parfois un peu pour un chevalier sur les remparts. Schneider bougea.

Les deux inspecteurs de l’Identité Judiciaire pénétrèrent dans le bureau. L’un d’eux portait une grosse mallette de photographe qu’il posa près de la porte, s’accroupit sur les talons et remarqua :

— Putain, qué calor…

Schneider était sorti.

Il descendit les marches. Il n’y avait plus de place nulle part pour un chevalier, plus le moindre rempart. Il sortit dans la cour. Le bahut du SAMU était en train de passer le portail, les gyrophares palpitant sur le toit. Schneider jeta sa cigarette, s’approcha de la 4L dont les portières avant étaient grandes ouvertes.

Charles Catala était assis droit au volant. Il tourna le visage.

— Alors, lieutenant ? fit-il d’une voix acerbe.

Schneider se laissa tomber sur le siège et immédiatement, la sueur l’inonda de la tête aux pieds. Il alluma une Camel, chaussa ses Ray-Ban. Au loin, une sirène plaintive décroissait pour rien.

— Il reste Skinny Jim, rappela Schneider.

Il saisit le combiné radio poisseux.

* * *

Le petit garçon ne pleurait pas : il savait où se trouvaient les craquottes et le miel, ainsi que le jus d’orange, dans le bas du frigidaire. Il n’en restait pas beaucoup. Il avait un peu faim, mais pas trop.

C’était pas souvent que maman dormait comme ça.

Surtout dans la cuisine.

Il lui toucha un peu l’épaule, doucement.

La femme ne se réveilla pas.

Dans la radio, c’était l’heure des jeux.

Le téléphone sonna dans le salon. Le petit garçon alla décrocher :

— C’est papa, Bilou. Tu peux me passer maman ?

— Elle dort.

— Encore ? (Il y eut un rire grave et tendre.) Elle est drôlement feignante, hein ? Bon, écoute, Bilou, quand elle se lèvera, tu lui diras que papa ne rentrera pas avant huit heures, qu’elle ne se fasse pas de souci. D’accord ?

— D’accord, dit le petit garçon.

— Tu lui dis que j’ai un client à voir à Avallon et que je rentrerai vers huit heures. Tu as compris ?

— Oui.

— Ça va, l’homme ?

— Oui.

— Alors, répète…

Le petit garçon répéta ce qu’il avait à dire à sa maman.

Lorsqu’elle se réveillerait.

Il restait plein de bouteilles de champagne et de verres vides sur la table basse, des assiettes en terre avec quelques frites, des cacahuètes, un ravier plein d’olives noires. Les tentures de soie grège gonflaient comme une gorge très pleine et ondoyaient doucement.

Lorsqu’elle se réveillerait…

* * *

L’homme avait graissé et remonté la carabine. Elle se trouvait devant lui, sur l’établi. Dans le râtelier d’armes fixé au mur au-dessus de l’établi, se trouvaient une autre US M1 à crosse en bois, deux M16 et un fusil à pompe Mossberg.