Trois personnes étaient au courant de la planque : « Dago », Charles Catala et celui qui avait indiqué la planque et balancé « Dago » au flic.
Charles Catala consulta sa montre : il était six heures moins deux.
Silencieusement, il fit mouvement, les bras le long du corps.
Au-dessus des toits, le ciel était très clair, pas encore lumineux mais très clair. Charles Catala sortit sa torche qu’il prit dans la main gauche. Le revolver au poing, il s’enfonça dans la brèche. Des relents âcres de pisse et d’ordures manquèrent le suffoquer et avant même qu’il ait eu le temps de faire le moindre geste, une ombre se silhouetta dans le cadre clair d’une porte à l’autre bout de la pièce et trois coups de feu claquèrent sèchement.
Il avait trouvé Dago.
Les balles s’enfoncèrent dans le mur au petit bonheur.
La silhouette avait disparu.
Charles Catala trouva un escalier. Le revolver devant lui, il entreprit de le gravir. Dago était remonté. Il y eut encore deux détonations. Dago tirait mal, du plâtre explosa et couvrit les cheveux du flic qui continua à monter marche par marche. Dago aurait pu sauter par une fenêtre du premier. Il avait tiré du deuxième étage. S’il s’agissait d’un revolver, il ne lui restait qu’une seule cartouche dans le barillet, à condition que ce fût du .38, et quatre s’il tirait au .22.
Catala continua à monter, sans hâte, mécaniquement et toujours à défilement. Dago ne tirait plus. Il était toujours là, mais il ne tirait plus. Le policier parvint au dernier étage.
Dago l’attendait, un croc de boucher au bout d’un manche en bois dans les mains, et qu’il tenait comme une faux. Le revolver vide était passé dans sa ceinture. Il faisait assez clair pour que les deux hommes se dévisagent. Catala dit, d’une voix horriblement détimbrée :
— Laisse tomber, Dago.
Il avait le .357 pointé sur le front de Diego Luis Ramirez.
L’extrémité du canon ne tremblait pas. Il répéta :
— Laisse tomber…
Dago fonça tête baissée sans attendre.
L’instant d’après, il gisait à plat ventre sur le sol, Charles Catala lui passait les pinces dans le dos et le releva, presque sans effort, le plaqua à un chambranle. Dago saignait de la bouche, là où le flic l’avait sonné avec le talon de crosse de son arme. Le croc avait valsé quelque part. Catala récupéra le revolver dans la ceinture et le glissa dans la sienne, et remit son .357 à l’étui.
Dago releva la tête.
Lorsque Charles Catala recula d’un pas, il comprit et tenta de se protéger le bas-ventre avec le genou tout en bougeant le torse. Ce fut peine perdue. Il finit par glisser le long du chambranle et s’affala en tas aux pieds du flic qui le prit par les cheveux…
Il était six heures vingt et il allait faire aussi chaud que la veille.
Hollywood Chewing-gum s’était levé tôt, il avait fait un footing d’une dizaine de kilomètres à son rythme, et prenait à présent une douche brûlante dans le long bâtiment plat central du camping. On gratta à la porte et il ouvrit.
La femme du Trafic sourit : elle portait une chemise d’homme et pas grand-chose dessous.
— Matinal, hein ?
Elle se glissa dans la cabine, retira la chemise.
Hollywood Chewing-gum sourit à son tour et dit de la même manière :
— Rapide, hein ?
Elle se tortillait pour retirer son slip.
Elle se plaqua contre lui, sous le jet brûlant.
Rapide et efficace.
Hollywood Chewing-gum appuya les épaules au carrelage lorsqu’elle noua les jambes autour de ses hanches, les chevilles croisées dans le dos. La vapeur d’eau ne tarda pas à les environner comme un rideau trempé.
C’était l’été.
L’homme avait remis le matériel dans sa mallette, pris celle-ci et verrouillé la porte de l’atelier derrière lui. Il avait déposé la mallette sur une table basse dans un coin de la bibliothèque, puis il avait enfilé un pantalon de tergal blanc, revêtu une chemise bleu sombre et une élégante saharienne de toile et chaussé des mocassins marine.
Debout devant la grande glace du couloir, il avait examiné le reflet élégant qui lui faisait face, chaque pièce du vêtement s’accordait avec l’autre et rien dans l’expression calme et reposée du visage ne trahissait la moindre tension intérieure, ou la plus infime trace de culpabilité.
Il s’était ensuite préparé un café soluble et un jus d’orange, les avait bus dans la cuisine, tout en s’affairant à régler la position du micro relié au magnéto-cassette. Il avait ensuite fumé deux cigarettes, coup sur coup. Il avait regardé le ciel : temps sans changement. La ville s’était installée dans la canicule, comme elle s’installait dans la pluie ou la neige, avec une docilité et un abandon de soi parfaitement exemplaires.
Tout était en place pour le deuxième round.
L’homme fit craquer une phalange, puis une autre.
Chacun des doigts, y compris les pouces, y passa.
Puis il appuya sur la touche « enregistrement », laissa passer quelques secondes en comptant mentalement jusqu’à dix et déclara, sans trop s’approcher du micro :
— Prévenez l’inspecteur Schneider. Je vais tuer une autre femme. Je ne sais pas encore laquelle, bien entendu, et elle non plus, mais je vais la tuer. Je vais utiliser la même carabine automatique US M1. J’essaierai d’être plus ponctuel que la dernière fois… Je vais la tuer. Prévenez-le, voulez-vous ?
Il coupa l’enregistrement, revint en arrière.
La voix s’éleva dans la pièce et il l’écouta avec attention.
Une voix parfaitement méconnaissable.
La voix d’une ombre.
Après le message, il en enregistra deux autres, l’un bref qui était destiné à faire savoir à Schneider que c’était fait, le second, un peu plus long et circonstancié mais n’excédant pas quarante secondes, à l’adresse de la station de radio locale.
L’homme les contrôla tous les trois, s’assura que leur espacement était suffisant, puis il débrancha le micro et glissa le magnéto-cassette dans une poche de la saharienne.
Il était sept heures pile.
Si les flics voulaient étouffer l’affaire, ils en seraient pour leurs frais. Ombres parmi les ombres. Dans le soleil aveuglant et compact de l’été, il n’y avait pas de place pour les ombres.
Sept heures…
Le téléphone sonna.
La jeune femme dormait et ne bougea pas dans son sommeil. Schneider dégagea le bras qu’il avait passé sous son cou, se leva et alla décrocher.
— Schneider ? J’ai Dago…
— Où êtes-vous, Charles ?
— La cabine, au niveau du 30, rue des Fleurs.
— J’arrive, dit Schneider.
La jeune femme s’était réveillée et le policier lui sourit.
— Tu n’as pas beaucoup dormi, Claude.
— Pas beaucoup…
— Dimanche matin, on prend la route du Sud. (Elle rassembla les cheveux sur sa nuque, observa le policier qui s’habillait rapidement, bouclait la ceinture sur ses hanches et vérifiait le contenu du .45.) Quinze jours, rien que nous deux…
— Vingt jours.
— Vingt jours. C’était Charles ?
— Oui, dit Schneider. Il a coxé un des trois connards. J’espère qu’il ne l’a pas trop esquinté.