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— Charles ?

Schneider esquissa un sourire laborieux, tout en allumant une cigarette.

— Je ne me fais pas de souci pour Charles, Honey.

— Qu’est-ce qu’il y a entre Soledad et lui ?

— Rien, fit Schneider.

Il déposa un baiser rapide sur les lèvres tendues de la jeune femme.

— Alors ? fit-elle.

— Alors rien…

Elle le regarda quitter la pièce, de son pas qui prenait naissance à la taille, le dos et les épaules presque immobiles. Peu après, elle s’était rendormie.

Catala entendit arriver la voiture bien avant qu’il ne la vît. Schneider n’avait pas mis plus d’un quart d’heure à arriver, certainement avec du Duke dans l’habitacle. Dago était assis par terre, adossé à la paroi de verre de la cabine, du sang sur la chemise, le menton contre la poitrine.

Schneider descendit de la Porsche.

Catala secoua un peu Dago, du bout de sa chaussure. Dago leva les yeux et entrevit la silhouette en complet d’alpaga bleu poudre qui s’approchait. Les deux flics restèrent un instant silencieux, puis Charles passa à Schneider le croc emmanché et le revolver .38 dont le barillet contenait six cartouches percutées.

— Heure d’interpellation ? s’enquit Schneider.

— Six heures trente.

Schneider se pencha à peine.

— Dago, tu es en position de garde à vue, à compter de six heures trente, moment de ton interpellation par nos soins. (Il lui présenta le crochet et le revolver.) C’est à toi ?

Dago fit oui de la tête.

Il se plaignit :

— Il m’a cogné.

Charles secoua les épaules, vaguement. Il dit :

— Rébellion… Il y a des balles partout dans les murs.

Schneider tira sur sa cigarette. Le jour était levé, il était déjà poisseux et lourd, la rue inanimée. Il retourna à la voiture, s’assit dans le siège du passager et appela la salle de commandement, commanda un fourgon de Police-Secours pour ramener leur prise et demanda qu’on avise l’Identité Judiciaire.

— Bien reçu, Quatorze… Un P.S. et l’I.J., niveau 30, rue des Fleurs. Vous êtes en place, Quatorze ?

— Affirmatif, déclara Schneider.

La radio grésilla.

Schneider regarda l’étroite bande de ciel entre les bâtiments, à travers le pare-brise de la voiture. Le voyant rouge d’émission était éteint. Devant la cabine, Charles était debout et regardait la rue, Dago contemplait ses pieds, les mains dans le dos. La radio grésilla de nouveau. D’une voix légèrement surexcitée, le permanent de la salle de commandement annonça :

— Unité à Quatorze, Unité à Quatorze…

— Quatorze écoute, débita Schneider d’un trait.

— Quatorze : votre type a rappelé.

Schneider grimaça, la cigarette à la bouche, actionna la pédale d’émission.

— Bien reçu, Unité.

Il reposa le combiné sur la fourche, sortit de la voiture. Catala l’interrogea du regard lorsqu’il se trouva à proximité. Schneider balaya du regard Dago par terre, le crochet et le .38 dans les mains de Charles et secoua légèrement les épaules :

— Il a rappelé…

— Merde, fit Charles.

Schneider fumait, les yeux dans le vague. Il n’était pas rasé et portait le complet de la veille, plutôt fripé et sans cravate. Son visage était creux et dur. Dimanche matin, il prendrait la route du Sud. Au préalable, il aurait déposé son pistolet à l’armurerie, et abandonné les munitions, son court bâton de défense et les menottes dans son tiroir, avec la ceinture. Il serait redevenu un citoyen comme les autres. Dimanche matin : autant dire dans un siècle. Le fourgon remontait la rue à toute allure, gyro allumé.

CHAPITRE XIII

Peu après dix heures, Dago avait tout balancé, le pourquoi et le comment, avec qui et combien de fois ils avaient violé la fille avant de l’attacher et de commencer à la travailler au corps, il avait reconnu son couteau à cran d’arrêt lorsque Schneider le lui avait présenté, le schlass qu’il avait enfoncé dans le torse de la fille pour qu’elle ne puisse plus l’ouvrir, la salope, et c’était dommage qu’il l’ait manquée, l’enculée, mais c’était la faute à pas de chance, pas vrai ? Dago n’avait pas ramassé une seule beigne durant l’interrogatoire auquel Catala avait assisté tout du long, muré dans son silence, et lorsque Schneider avait cessé de taper à la machine, les trois flics avaient ressenti une impression de dégoût.

Dago avait relu le procès-verbal et l’avait signé.

Schneider l’avait descendu en geôle et signé le registre.

Lorsqu’il était remonté, Catala et Dumont buvaient du café et il y avait un gobelet en plastique posé à côté de son sous-main en cuir. Schneider avait appelé le procureur Rambert et rendu compte brièvement. Il n’avait pas omis le fait que Dago avait été secoué au moment de son interpellation.

— Et la victime ? s’enquit Rambert.

— État stationnaire, dit Schneider.

— Vous poursuivez… Vous avez quelque chose pour l’histoire du dingue ?

— Non.

— Vannier m’a téléphoné qu’il avait rappelé.

— Oui.

— Aucun élément ?

— Non, fit Schneider.

— C’est emmerdant. US M1 ?

— … Ou tout autre arme de guerre, tirant de la 7,62.

— C’est emmerdant. Vous pensez qu’il va remettre ça ?

— Oui, reconnut Schneider.

— Un détraqué. Il fait drôlement chaud, vous ne trouvez pas ?

— Trop chaud.

— Tenez-moi au courant, Schneider, voulez-vous ?

— Oui, monsieur.

— Au revoir. Et ne vous bilez pas pour les secousses, on est tous un peu à cran, en ce moment, n’est-ce pas ? La chaleur, sans doute…

— Sans doute, convint le policier.

Il raccrocha. Catala avait remis la cassette au départ et ils écoutèrent les trois messages. Ils les écoutèrent une dizaine de fois d’affilée, presque sans échanger la moindre parole. Schneider s’était remis à fumer. Il y avait deux cent soixante quinze mille personnes dans la circonscription, et aucun des trois policiers n’avait une idée précise de la population mâle, mais pour le moins, ils disposaient d’un réservoir d’environ cent mille suspects, ce qui était nettement excessif. Ils récapitulèrent : l’homme utilisait une arme de guerre, il avait su choisir un poste de tir qui pouvait indiquer qu’il avait suivi une instruction militaire, ou tout simplement qu’il n’était pas dépourvu de bon sens, et la distance qui le séparait de la cible ne permettait pas de déceler s’il s’agissait ou non d’un tireur d’élite.

L’homme avait cisaillé la chaîne de l’échelle de secours et le cadenas du skydome sans attirer l’attention, ce qui ne signifiait pas grand-chose dès lors que les flics ignoraient à quelle heure il était monté sur le toit, et quand bien même l’auraient-ils su que cela ne leur aurait pas apporté d’éléments supplémentaires.

L’homme s’exprimait d’une voix au débit normal, sans la moindre trace d’accent et avec la plus totale absence d’émotion. Le plus long message n’excédait pas vingt secondes. La Mort se trimballait dans la ville surchauffée sous les traits d’un snipper anonyme et sans visage, et si pendant un moment Schneider avait pu caresser secrètement l’espoir qu’il s’agissait d’une vilaine blague, il savait maintenant qu’il n’en était rien : Corinne Letellier épouse Moreau était morte, le crâne traversé par une balle que Schneider avait récupérée et placée sous scellés.

Devant le policier se trouvait une chemise cartonnée sur laquelle il avait tracé rapidement, au feutre, le prénom et le nom de jeune fille de la victime, suivis de son nom d’épouse et du numéro d’affaire. C’était tout ce qui restait d’elle, pour les flics. Les trois hommes avaient horreur de la situation : ils avaient sondé les deux établissements psychiatriques de la localité ainsi que les armureries, les inspecteurs du poste décentralisé de la Z.U.P. avaient tapé le voisinage et ils étaient de retour à la case départ, sans l’embryon d’un signalement ou le plus petit détail susceptible de les amener à identifier l’homme.