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Ils étaient dans la position la plus inconfortable qui soit. Ils en étaient réduits à attendre que le type recommence.

Schneider se leva, contempla le parking en bas, les passants qui allaient et venaient, les voitures qui roulaient dans les rues, le feuillage poussiéreux des arbres et dit, sans se retourner :

— Dumont, repasse la bande.

La voix s’éleva de nouveau dans la pièce.

— Plus fort, ordonna Schneider.

Dumont augmenta le volume et la membrane du haut-parleur se mit à vibrer et à grésiller. Schneider avait le dos tourné, une cigarette à la bouche, la voix disait « … Prévenez l’inspecteur Schneider… » Schneider bougea les épaules. L’inspecteur Schneider… Par-delà la fonction, la voix s’adressait à un homme en particulier. Elle lui disait quelque chose que les trois policiers ne parvenaient pas à comprendre.

C’était dingue.

— Suffit, dit Schneider en levant la main ouverte et en l’abattant en direction du sol.

Dumont coupa le lecteur de cassette.

Schneider se retourna.

— Un ancien client ? supputa Dumont.

— Une vengeance ? Peut-être, admit Schneider. Mais…

Le téléphone sonna et Catala s’empressa de décrocher.

— Schneider ? Je vous le passe…

— Schneider, j’écoute.

— Salut, Schneider. Guiraud, à Radio-Médium. Je te dérange ?

— Non, fit Schneider sur ses gardes.

— Écoute, on a reçu un coup de fil d’un brindezingue, tout à l’heure. La fille au standard a cafouillé, il parait que le type aurait descendu une femme ou je sais pas quoi, l’autre conne n’a rien compris, ou qu’il allait en buter une, un vrai délire. Tu as quelque chose là-dessus ?

— Pourquoi tu me demandes ça, Guiraud ?

— Parce que d’après la standardiste, le type lui aurait dit de te demander ou quelque chose dans ce goût-là. Elle a cru que c’était une connerie, il faut dire qu’on est vachement survoltés en ce moment, le climatiseur est tombé en panne, alors elle l’a envoyé chier. C’est une connerie ou pas ?

Schneider se passa l’ongle du pouce au-dessus de la lèvre.

— C’est pas une connerie, Guiraud.

— Merde.

— Si tu passes l’info, ça va être la panique, remarqua Schneider.

— Oui, je sais… Il a vraiment fait ce qu’il a dit ?

— Oui.

— C’est un barjot, non ?

— Aucune idée. Vous pouvez brancher un magnéto sur la ligne ?

— Sans problème. Les canards sont au courant ?

— Non, dit Schneider.

— Écoute, je m’assois sur l’affaire. Tu crois qu’il va appeler ma station, à ton avis ?

— Oui…

— Oui, mais pourquoi ?

— Pour te dire qu’il a recommencé.

— Merde, répéta Guiraud.

Ils raccrochèrent simultanément.

Un homme avec un fusil.

… Prévenez l’inspecteur Schneider…

* * *

La jeune femme s’appelait Cécile Charpier, elle était née à Nîmes (Gard), le 17 février 1950, exerçait la profession d’esthéticienne et circulait dans son véhicule Austin, immatriculé 6789 EXD 75. Elle avait passé la nuit en ville, une nuit à tous égards merveilleuse, elle avait rencontré son ami, ils avaient mangé et bu et fait plusieurs fois l’amour, aussi merveilleusement qu’au début, il y avait de la glycine et du chèvrefeuille dans le jardinet de l’hôtel. Son ami était un homme merveilleux, tendre et prévenant.

Elle alluma la radio de la voiture.

Du Brahms l’envahit.

Elle était délicieusement flapie, aussi ne roulait-elle pas vite et eut un regard pour les tours qu’elle abandonnait derrière elle en prenant la bretelle qui la conduisait à l’autoroute. Un semi-remorque la dépassa en ferraillant, puis deux voitures pressées. Elle commença à baisser la glace de la main gauche, il faisait tellement bon, en dépit de la taie vitreuse qui couvrait le ciel, tellement bon…

La première balle traversa le montant gauche du pare-brise et fit éclater la vitre arrière droite, la seconde frappa Cécile Charpier à la gorge, et un jet de sang très rouge jaillit de la carotide tranchée, la voiture sinua sur sa trajectoire tandis que les impacts tambourinaient sur le pavillon, l’Austin se mit à dériver et prit la glissière de sécurité sous un angle très doux. Il y eut un froissement de tôles et des étincelles puis le véhicule s’immobilisa presque sans soubresauts.

La tête de la morte reposait sur son épaule gauche, renversée comme si elle offrait son visage et sa gorge au soleil. Plusieurs voitures passèrent sans s’arrêter. Le moteur tournait toujours et la radio vantait les mérites d’un tour-operator.

Tapi dans les herbes, l’homme vit dans les jumelles la B.M.W. qui ralentissait et stoppait quelques mètres plus loin. Un homme corpulent, vêtu d’un complet aubergine fripé en sortit. À pas rapides, il s’approcha de la petite voiture, se pencha…

L’homme commença à décrocher à plat ventre, la carabine dans la saignée des coudes et les jumelles à la main. En quelques secondes, il se trouvait à défilement au bas du remblai et entreprit de démonter la carabine qu’il rangea avec soin dans la mallette. Le soleil lui cuisait le dos à travers le tissu de la chemise. Il se releva, s’épousseta rapidement du plat de la main et regagna le break d’un pas nonchalant, la mallette au bout du bras.

Il n’avait plus qu’à trouver une cabine téléphonique.

Il en dénicha une presque immédiatement sur la zone industrielle.

Il y faisait une chaleur suffocante.

L’homme cala la porte ouverte avec son pied, composa le numéro du Central.

Il était onze heures vingt-cinq.

CHAPITRE XIV

Le fourgon de Police-Secours répondant au doux indicatif radio de Topaze quatre — chef de mission, brigadier Serge Vaillant, accompagné des gardiens François et Marchand —, était englué dans la circulation de midi et Vaillant tapotait du plat de la main la tôle brûlante, dehors. Les trois hommes étaient assommés de chaleur et d’oxyde de carbone que dégageaient les files de voitures. Le fourgon roulait au pas, docilement.

— On n’est pas sortis de la merde, prophétisa le conducteur.

— Fous le deux-tons, qu’on s’arrache, ordonna Vaillant.

Ils n’en eurent pas le temps : la radio grésillait. À tous les mobiles sur le terrain, la salle de commandement annonçait qu’un vol à main armée avait eu lieu au bar-tabac-P.M.U. Les Acacias. Les deux agresseurs avaient le visage revêtu de passe-montagne et avaient ouvert le feu à l’aide de fusils à pompe.

— Les Acacias, c’est derrière, observa Marchand.

Le gardien François alluma le deux-tons et les gyrophares.

Il était midi six.

* * *

Schneider avait pris le message à la radio, tout en roulant vers la bretelle d’autoroute où la fille avait été abattue. Catala avait accusé réception, mais ils avaient continué tout droit. Schneider roulait pied dedans et le gyromagnétique palpitait sur le pavillon de la voiture.