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— Vous direz à Schneider que j’ai joué le jeu comme il faut, non ?

Le flic secoua les épaules. Il avait un visage agréable, gâché par l’expression méprisante de sa bouche. Il fit :

— On va voir… Tu peux nous avoir enflés. (Il ajouta :) Si c’est du zinc, ou si le tordu nous chie du poivre, c’est sûr que tu vas morfler un maximum.

Il se saisit d’un poste portable, appela la salle de commandement afin qu’on fît prévenir Schneider que le client avait appelé, mais ce fut la voix froide et calme, vaguement lasse, du policier qui intercepta la communication et répondit en direct. Le colosse s’était rassis à la table.

Entre ses gros doigts boudinés, les brèmes paraissaient animées d’une vie propre — et singulièrement autonome et complexe.

CHAPITRE XX

Schneider avait retiré l’enveloppe du tiroir. Il avait demandé à Charles un escargot de ruban adhésif et entrepris de reconstituer le puzzle. Il ne lui avait guère fallu qu’une ou deux minutes pour y parvenir. Il s’agissait d’un cliché noir et blanc, format 13 x 18. Muriel Lambert souriait vaguement à l’objectif et son regard était un peu flou. Schneider lui avait passé un bras autour des épaules et paraissait penché sur elle. La main gauche du policier reposait à plat sur la table et il avait une cigarette entre les doigts.

Schneider contemplait l’image, le visage totalement fermé.

Charles se tenait silencieux en face de lui, les pouces dans les passants du jean. Schneider leva les yeux.

— Vous pensez que c’est lui ?

— Oui, fit Schneider.

Il alluma une cigarette.

— Ça remonte à quand ? demanda Charles.

— Bientôt dix ans.

— Et vous pensez que…

— Oui, coupa Schneider avec lassitude. Ça remonte à dix ans, mais il a pu tomber dessus il y a quinze jours. Il s’est monté toute une construction mentale, à moins que ça ait seulement servi de détonateur.

— Vous le connaissez ?

— Oui.

— Bien ?

— Je croyais…

— Bon tireur ?

— Le pire que j’aie jamais connu, murmura Schneider. La simple vue d’une arme lui donnait envie de dégueuler… (Le policier se massa les tempes.) La simple vue d’une femme aussi. La simple vue de lui-même…

Schneider décrocha le téléphone.

Muriel Lambert lui répondit presque aussitôt, d’une voix qui laissait entendre qu’elle non plus n’avait pas dormi, avec une promptitude qui signifiait qu’elle avait attendu à côté de l’appareil.

Une expression de souffrance crispait les traits du policier.

Il était trois heures vingt.

Sur l’appui de fenêtre, la radio crachotait sans discontinuer.

* * *

Il semblait que la nuit fût devenue un peu moins noire ; on distinguait les contours des collines autour de la combe et les buissons avaient une espèce d’éclat laiteux, à moins que les yeux de l’homme se soient accoutumés à l’obscurité. La fille avait remis son short et son boléro. Elle fumait et la braise de la cigarette modelait par instants son visage dont les orbites demeuraient cependant larges, sombres et creuses, comme celles d’une tête de mort.

Elle dit :

— On rentre ?

L’homme opina silencieusement. Il était penché en avant pour mettre le contact. La femme jeta un bras par-dessus le dossier afin de récupérer son sac, ses doigts tâtonnèrent et saisirent ce qui devait être l’une des anses. Elle tira et il y eut un choc métallique qui retentit dans l’habitacle, lorsque la crosse pliable de la carabine frappa contre quelque chose. L’homme se redressa, masse sombre et menaçante, la fille avait déjà la main sur la poignée de portière, l’homme lança un bras qui lui manqua le cou. Avant même qu’il ait pu l’en empêcher, elle était dehors.

Il entrevit sa silhouette hésitante, alluma les phares et démarra.

Sauf à s’avancer dans le sous-bois, elle ne pouvait pas lui échapper.

Le break cahota dans les ornières.

Si elle s’enfonçait dans les fourrés, il disposait d’une torche puissante et elle n’avait pas assez d’avance pour qu’il se sentît vraiment inquiet. Il attira d’une main la carabine contre lui, l’arma d’un geste. La femme courait pieds nus.

Elle ne pouvait pas aller très loin.

Lorsque le break fut sur elle, elle se jeta de côté, l’homme entrevit de nouveau sa silhouette. Elle essayait de gravir un pierrier parsemé d’épineux. Il stoppa, saisit simultanément la torche et la carabine, fourra un chargeur supplémentaire dans sa poche. Il avait la bouche sèche mais son pouls s’était à peine accéléré. Le faisceau lumineux tâtonna, remonta et intercepta l’image de la femme. L’homme tira une volée de balles à la hanche, presque sans viser. La femme tomba sur les genoux, se releva et recommença à monter, en s’aidant des bras.

L’homme arrosa beaucoup plus haut, des balles ricochèrent sur les pierres, claquèrent dans une souche à fleur de terre, la femme avait presque atteint le sommet, elle s’était écorché la figure et les bras. Elle ne sentait plus ni ses poumons déchirés, ni ses jambes, elle grimpait presque à quatre pattes comme un animal maladroit qui fuit le coup de grâce.

Matthieu Lambert avait commencé à gravir le pierrier derrière elle, sans prendre garde aux éboulis qui dévalaient. Toujours à la hanche, il lâcha une dernière rafale et l’arme percuta à vide. Posément, il dégagea le chargeur et introduisit le second, actionna la culasse. Puis il se remit à monter.

La fille avait disparu, mais elle ne pouvait pas lui échapper.

Lorsqu’il parvint au sommet de la colline, il aperçut une frange grise qui cernait déjà l’horizon à l’est. Le faisceau de la torche se remit à balayer les buissons…

* * *

Le jour se levait.

Muriel Lambert se trouvait dans le bureau de Schneider. Catala avait servi des cafés à tout le monde. Schneider pivotait dans son fauteuil. Il demanda :

— Que s’est-il passé, Muriel ?

La femme se prit la figure dans les mains.

— Je ne sais pas. Il ne parlait pas beaucoup. Je crois qu’il avait des problèmes à sa boîte.

— Quel genre de problèmes ?

— Nous ne vivions plus ensemble depuis plusieurs mois, déclara la femme derrière ses doigts. Je veux dire que nous avions décidé de faire chambre à part, d’un commun accord. C’était un accord entre adultes : je ne me mêlais pas de ce qu’il faisait, il ne se mêlait pas de ce que je faisais… Un divorce blanc, en quelque sorte… (Elle releva la tête, regarda Schneider et détourna les yeux.) Nous avions pensé que c’était la meilleur solution, compte tenu des circonstances.

— Quelles circonstances ?

— Matthieu allait être foutu à la porte de la boîte. Il avait toujours été habitué à un certain standing et il avait besoin d’argent pour continuer, trouver autre chose, je ne sais pas…

Schneider se pencha sur le bureau. Il dit :

— Ça n’explique pas tout.

— Non, reconnut la femme.

— C’est sa voix ? interrompit Charles avec douceur.

Muriel Lambert opina en silence.

Schneider alluma une cigarette, contempla le contenu du gobelet en plastique placé sur le sous-mains devant lui. Dans son dos, la journée s’annonçait encore torride mais il n’en avait plus rien à foutre. Il but quelques gorgées de café tiède et amer.

— Depuis combien de temps ça durait ? s’enquit-il sans voir.

— Trois ans.

— Qu’est-ce qu’il y avait d’autre ? poursuivit le policier.

La femme se reprit le visage dans les mains, se remonta les cheveux de chaque côté de la tête, sa face aux narines pincées était grisâtre, elle avait les paupières et les mâchoires serrées. Elle articula avec peine :