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— Tu veux vraiment savoir, Schneider ?

— Oui, fit ce dernier.

Muriel Lambert se leva à l’aveuglette, déboutonna sa robe. Les deux policiers virent les cicatrices entrecroisés qui barraient son ventre et le haut de ses cuisses. Certaines avaient pu être causées par un instrument tranchant, les autres… Schneider écrasa sa cigarette. Il se leva, contourna le bureau, referma la robe lui-même.

La femme demeura immobile, les bras le long du corps et la tête inclinée sur l’épaule. Ce qui s’échappait de ses lèvres ne tenait précisément ni de la plainte, ni du gémissement, ni du cri, et ressemblait à quelque mélopée plus ou moins funèbre qui sourdait des dents serrées.

Schneider lui entoura les épaules et dit :

— Un toubib, Charles. Tout de suite…

* * *

L’automobiliste vit sans comprendre la femme qui courait et gesticulait le long de la route. Il remarqua qu’elle était pieds nus et c’est pourquoi il freina et s’arrêta à sa hauteur. La femme se précipita dans la voiture. Elle avait les joues et les avant-bras couverts de griffures et de la terre sur son short. Elle avait l’air d’une dingue.

— Qu’est-ce qu’il y a eu ? demanda l’automobiliste.

— Un tordu qui m’a attaquée. Emmenez-moi au commissariat… Vite.

L’homme allait prendre son service à la gare. Le central n’en était pas éloigné de plus de dix minutes. Il n’hésita pas un instant, tendit une boîte de kleenex à la femme qui le remercia d’un hochement de tête.

Il demanda :

— Ça va aller ?

— Oui, fit la femme d’une voix sans timbre. Oui, ça va aller…

Il la déposa au pied des marches du commissariat, faillit partir et se ravisa. Il laissa sa voiture devant, la rejoignit. Les flics auraient peut-être besoin de son témoignage. Ce fut lui qui se pencha sur la banque derrière laquelle se trouvait le planton de service :

— Vous avez quelqu’un de la Criminelle dans la maison ?

Le gardien leva les yeux, vit la figure de la femme, examina l’homme.

— Schneider est dans son bureau.

— Pouvez-vous l’appeler ?

— On va essayer, soupira le gardien.

Moins d’une minute plus tard, Schneider apparaissait à la porte de l’ascenseur. En dépit de l’heure, il portait un complet bleu foncé, une chemise claire et une cravate de tricot ardoise. Son visage était rasé, son expression dure et préoccupée. Il traversa le hall d’accueil rapidement, s’approcha et reconnut la femme : à la lumière des néons, elle avait la figure blafarde et la bouche trop noire. Il l’examina de la tête aux pieds et murmura :

— Alors, Maguy, qu’est-ce qui t’arrive ?

La fille se passa la main dans les cheveux, esquissa un sourire incolore qui n’aboutit pas.

— Je suis tombée sur un tordu, Schneider.

— Les risques du métier, grimaça le policier.

— Pas avec un fusil, observa la fille.

Schneider serra les sourcils :

— Un fusil ?

— Ouais… (Elle secoua la tête.) Il a tiré une dizaine de rafales… Il arrosait à tout va. J’ me suis cassé la gueule dans un trou. Il a cherché un bon moment, après il s’est tiré. Quand j’ai entendu le moteur de la bagnole, j’ suis sortie…

Schneider se ficha une cigarette entre les lèvres, mais ne l’alluma pas. Il s’adressa à l’homme :

— Vous l’avez récupérée où ?

— Derrière la Combe aux Loups. Il y a un quart d’heure à tout casser. Elle était comme ça, elle gesticulait au bord de la route. Je me suis arrêté parce qu’elle n’avait pas de chaussures aux pieds, la terre…

La fille demanda une cigarette à Schneider.

Le policier lui tendit son paquet froissé et lui donna du feu.

Maguy était pieds nus. Elle était griffée de partout parce qu’elle avait échappé à un type qui lui avait tiré dessus à coup de fusil. Schneider fixa la fille, sans dureté. C’était une brave gosse qui séchait sur pied. Elle avait toujours su être régule avec lui lorsqu’il travaillait aux mœurs.

Il demanda :

— Tu pourrais le reconnaître ?

Elle eut un sourire dur et avisé — son sourire de professionnelle. Elle tira sur la Pall Mail, toussa et dit :

— Vingt dieux oui, je pourrais le reconnaître, cet enfoiré. Y a intérêt… C’est un vrai danger public, ce mec. (Elle prit l’entourage à témoin.) Il a essayé de me tirer comme un lapin, l’ordure. Il en avait pourtant eu pour son pognon, merde…

Elle rendit le paquet de Pall Mall au policier.

La pendule carrée du hall marquait cinq heures dix et les gardiens de la relève commençaient à arriver, la vareuse et le képi dans des sacs en plastique ou des sacoches. Schneider appela l’ascenseur.

Dans deux jours, il serait en vacances et loin de toute cette merde.

* * *

Dans l’habitacle de la vieille Porsche, les enceintes débitaient à plein potard une version très enlevée de Prosschai, et la clarinette souple et insinuante d’Artie Shaw conférait à l’ambiance quelque chose d’artificiellement allègre, sur une rythmique implacable dans laquelle Buddy Rich était pour beaucoup.

Les mâchoires serrées, Schneider conduisait, le pied à la planche et enroulait virage sur virage. Charles Catala avait plaqué le gyro magnétique sur le côté du pavillon et l’avait branché sur la prise de l’allume-cigare. Le jeune homme fumait, sanglé dans la ceinture de sécurité.

De blêmes graminées défilaient en hâte de chaque côté de la voiture.

Tassée derrière, les genoux au menton, Maguy ne disait rien. Schneider lui avait passé une vieille veste de treillis dans laquelle elle s’était emmitouflée. On lui avait dégoté une paire d’Adidas qui traînaient dans la salle de repos des gardiens.

— Tu me diras où, cria Schneider par-dessus l’épaule.

— Après le virage de la Combe, à gauche…

Catala baissa le volume du lecteur. La radio crachait : une rixe en gare, entre deux équipes de Yougoslaves. Schneider ralentit, balança les vitesses et le chemin creux apparut entre des noisetiers, qui menait au fond de la Combe au Loup. Au pas, la vieille voiture l’emprunta et Schneider prit garde de rouler sur l’herbe afin de ne pas effacer ou surcharger d’éventuelles traces de pneumatiques.

— C’était là, déclara la fille.

Les Yougoslaves en étaient venus à l’explication à coups de serpette et l’équipage sur place réclamait du renfort, ainsi qu’on avisât l’O.P.J. de permanence. En stoppant, Schneider saisit le micro, le porta aux lèvres :

— Quatorze avisé, Unité. Impossible de se rendre sur les lieux. Prévenez autorité.

— Unité à quatorze : bien reçu… (Après une série de craquements :) Ça chauffe, Quatorze. On dirait qu’ils sont devenus nazes…

Il y eut une autre série de craquements, puis la voix du commissaire Vannier se fit entendre, suffisante et légèrement excédée :

— Autorité rentre dans le réseau, Unité.

Schneider reposa le micro sur sa fourche. Catala avait dégrafé la ceinture et hasardé un pied dehors. L’herbe sèche grésillait. Il n’avait pas très envie de sortir, il n’avait plus envie de rien : Soledad était dans le coma. Elle s’y était réfugiée comme dans un havre paisible et rien ne laissait à penser qu’elle eût tort.

Moins de cinq minutes plus tard, les deux flics avaient récupéré huit étuis percutés, qui rutilaient sous le soleil voilé, huit étuis de calibre 30 x 30, dispersés sous l’action de la griffe d’éjection. Schneider et Catala examinèrent puis gravirent le pierrier, Maguy sur les talons. Ils récupérèrent deux autres étuis, et la fille leur indiqua le trou où elle avait trouvé refuge. Elle dit, en frissonnant malgré la réverbération qui leur cuisait le front et leur faisait serrer les paupières :