Schneider était immobile, attentif, le .45 le long de la cuisse.
Plus morne maintenant, la voix disait : « … Vous avez trouvé et je vous en félicite. Je suppose que vous allez mettre un dispositif en place et que mon arrestation n’est plus qu’une question d’heures. Je vais cependant mettre une nouvelle fois votre perspicacité à l’épreuve, inspecteur. Une dernière fois : qui sera la dernière, inspecteur ? Qui sera la dernière ? »
Schneider remit le .45 à l’étui.
Charles Catala remarqua la teinte grisâtre qu’avait prise sa face.
Le Transit avait repris la route, et ne dépassait pas la vitesse prescrite. L’habitacle climatisé aux vitres teintées était toujours aussi aseptique. Le conducteur alluma une Marlboro et tourna à peine la tête en direction de sa compagne :
— Je monte à Paris, demain. Je vous dépose à la maison et je repartirai demain matin, à la fraîche.
— Oui, fit la femme.
— Je rentrerai dans la soirée de samedi, ou dimanche midi au plus tard.
La femme remonta les genoux sous le menton. La peluche du siège était délicieusement fraîche. Elle prit une cigarette et l’alluma, fixa le long ruban de la route, devant, et déclara à mi-voix :
— Jacques, c’est pour moi que tu fais tout ça ?
— Tout ça ?
— La dope…
Elle enleva les cheveux qu’elle avait sur le front. Le conducteur sourit :
— Je ne fais rien…
Elle acquiesça :
— Tu ne fais rien… Si c’est pour moi que tu ne fais rien, ce n’est pas la peine de ne rien faire. (Elle tourna la tête vers lui, regarda son profil parfait et dit :) Je m’en vais, Jacques. Je te quitte…
Le conducteur ne cessa pas de regarder la route, sourit à peine et conclut :
— Raison de plus de ne rien faire…
Schneider rôdait dans la maison, les mains dans la ceinture. Ils avaient mis la main sur le râtelier d’armes, dans l’atelier, saisi les fusils à pompe et une carabine US, s’étaient emparés d’un stock de munitions et de grenades à main, ainsi que d’une fusée antichars dont l’usage leur avait paru pour le moins mystérieux.
Catala avait amené Muriel Lambert dehors et elle n’avait cessé d’expliquer sur un ton hébété qu’elle n’y était pour rien, qu’elle n’avait jamais cessé de payer pour ses conneries. Elle avait fait remarquer au jeune homme qu’il allait y avoir de l’orage et que la glycine du perron était vraiment taillée en dépit du bon sens.
Un gardien de la paix leur avait passé une bouteille d’eau minérale et Charles en avait bu la moitié, tandis qu’elle refusait d’un hochement de tête. Elle était assise de travers sur le siège avant-droit d’une 4L de la Sûreté. Elle se foutait bien que n’importe qui vît ses cuisses bronzées et le reste. Charles Catala avait la tête renversée en arrière, elle voyait sa pomme d’Adam monter et descendre, comme une espèce de yoyo ridicule. Elle voyait la crosse renversée du revolver, contre le flanc gauche du policier…
Placé comme il l’était, le coude gauche levé, il suffisait d’un geste.
Catala la vit partir, avec un temps de retard, il lâcha immédiatement la bouteille qui les arrosa tous deux et bloqua le corps de la femme contre le sien, l’écrasa volontairement, elle avait déjà enserré la crosse du revolver entre ses doigts et s’acharnait à le sortir de l’étui. Catala lui prit le poignet et tordit vers l’extérieur, tout en lui saisissant le pouce.
Il avait son visage crispé tout près du sien.
Brusquement, elle abandonna la lutte et lui dit, avec une amertume tranquille :
— Vous auriez dû me laisser faire.
Le jeune homme recula d’un pas, écarta les genoux et examina le devant de son jean trempé. Il ne vit pas Schneider qui sortait de la maison, une poupée à la main. La poupée avait de très longs cheveux acajou. Schneider leur passa devant, s’assit lourdement sur le siège du passager de la Porsche. Catala le rejoignit. Avant qu’il eût atteint la voiture, Schneider lui lança la poupée, qu’il n’eut aucun mal à intercepter et se mit à examiner avec une expression intriguée tout en s’approchant à pas lents, hésitants.
Les yeux gris du policier balayèrent le jeune homme :
— La dernière… (Il étouffa un ricanement sarcastique :) Un prêté pour un rendu… (Schneider avait saisi le micro et appelait l’autorité.) À votre avis ?
Catala regarda la poupée et les yeux morts du policier, et souffla :
— Cheroquee, hein ?
Il y eut dans le même temps un éclair fulgurant et un craquement de tonnerre soudain, aussi retentissant qu’un coup de canon et juste aussi éclatant qu’un plat à barbe, qui prit tout le monde au dépourvu. Schneider bataillait avec sa radio de bord. Une odeur d’ozone avait envahi l’étroite frange immobile entre les nuages bas et les herbes sèches. Presque aussitôt, il y eut un second éclair et un gardien s’écria :
— C’est à cause de la rivière…
Catala aperçut Muriel Lambert qui détalait. Il se jeta à sa poursuite, la poupée à la main, ne tarda pas à la rejoindre et la plaqua au sol. Elle lui glissa entre les doigts et il dut la saisir de nouveau, à bras-le-corps. Elle se redressa avec lui et se mit à lui marteler le visage et les épaules avec le gras du poing fermé. Une trombe d’eau leur croula dessus. Catala posa son menton sur l’épaule de la femme et lui confia à l’oreille :
— Ou vous arrêtez ou je vous étends pour le compte…
Elle se calma peu à peu.
Catala la ramena vers la Porsche, sans prendre garde aux rafales de pluie, ou au grondement ininterrompu du tonnerre, ni aux éclairs qui se succédaient sans discontinuer et découpaient leur progression en instantanés stroboscopiques.
Les gardiens s’étaient abrités.
Dans la Porsche, Schneider, le visage fermé, trafiquait à la radio autant que le permettaient les perturbations électriques. Autorité était en ligne. Il ordonnait la mise en place immédiate d’un dispositif de protection autour du domicile du requérant. En termes radio, la conversation avait un ton banal et convenu, presque hermétique. Schneider lança :
— Essayez de la contacter téléphoniquement. Qu’elle verrouille tout et ne s’approche ni des portes extérieures, ni des fenêtres…
À travers le pare-brise et les vitres battues par la pluie, il n’apercevait rien et distingua à peine les deux silhouettes enlacées qui s’étaient approchées et se trouvaient maintenant tout contre la carrosserie. Il baissa la vitre du passager, les considéra avec hébétude et annonça à Catala :
— Autorité envoie du monde.
Le jeune homme agita la tête.
Il était dix heures vingt.
Il était dix heures vingt et l’orage tant attendu avait enfin éclaté : il embrasait tout l’horizon, couchait les glaïeuls, les glycines et les herbes, les rafales de pluie crépitaient sur la tôle des voitures. La radio grésilla :
— Quatorze d’Autorité…
— Quatorze écoute, Autorité.
— Consignes passées… (Il y eut un craquement.) Il serait bon que vous vous rendiez en personne sur les lieux, Quatorze. Avez-vous reçu ?
— Bien reçu, émit Schneider. Bien reçu, terminé.
Schneider reposa le micro sur sa fourche. L’air embaumait la terre mouillée. Trempé et immobile, Catala examina le visage braqué sur lui, dur et mouillé de pluie et demanda, sans que ce fût vraiment une question :