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— Vous pensez qu’il va venir ?

— Oui, fit Schneider.

— C’est idiot : il va se douter que vous l’attendrez.

Schneider eut une espèce de sourire, avant de se soulever du siège pour se glisser au volant et dit :

— Et si c’était justement ce qu’il voulait, depuis le début ? Que quelqu’un l’attende ?

Catala regarda la voiture manœuvrer rapidement. Il avait passé le bras autour des épaules de la jeune femme, ce qui n’était prévu par aucun texte du Code de Procédure Pénale, mais elle ne regimbait pas et ne semblait même pas en avoir conscience. Il regarda palpiter le gyro que Schneider avait rebranché, et les feux arrière de la voiture s’enfoncer dans la pluie, écouta le feulement crescendo du moteur quand, sorti de l’allée, Schneider attaqua la nationale en accélération.

Le jeune homme n’avait pas besoin de se trouver dans la Porsche pour savoir ce que Schneider faisait : les essuie-glaces battant à tout rompre, il avait allumé les pleins phares et calé le pied à la planche et remontait des files de voitures et de camions sans beaucoup d’égards pour la limitation de vitesse.

Peut-être même avait-il trouvé le moyen de brancher le lecteur.

Pataugeant dans l’herbe, Catala ramena Muriel Lambert à la 4L.

Cette permanence prenait vraiment des allures de déconnographie permanente.

Il était temps qu’elle se termine.

Tassée sur le siège du passager, une cigarette mouillée à la bouche, il était impossible de dire si la femme pleurait ou non, ou si c’était la pluie. Au bénéfice du doute, Catala lui tendit une poignée de mouchoirs tirée d’une boîte dans le vide-poches du conducteur. Elle les saisit de ses doigts glacés — et n’en fit rien qu’une boule de papier trempé dans sa paume.

* * *

L’ancien inspecteur divisionnaire Moretti zonait dans les locaux de la Sûreté. Il y avait conservé pas mal d’accointances, à tous les niveaux, et se trouvait dans le bureau de Bogart. Les poings aux fonds des poches de pantalon, il observait la pluie qui criblait les vitres et s’enquit :

— Quelle équipe de permanence, samedi ?

Bogart jeta un coup d’œil au tableau de service, par-dessus ses lunettes.

— Criminelle « B », Schneider. (Il ajouta :) Ça fait du bien, hein ?

— Quoi ? aboya Moretti.

Bogart étouffa un sourire confus :

— Cet orage… Ça fait du bien.

— Oui, répondit vaguement l’ancien flic. Vous avez quelque chose sur le flingueur ?

Bogart exhiba en guise d’excuse ses longues dents jaunes de lapin. Il y ajouta, pour faire bonne mesure, un sourire évasif et malheureux. Les autorités avaient décrété le black-out complet sur l’affaire, depuis le matin. Moretti se campa tranquillement sur ses talons bien écartés, sorti un paquet de New et en alluma une. Sur le parking balayé sans relâche par les rafales de pluie épaisse, des civils se pressaient à rejoindre leurs voitures, en poussant devant eux des caddies de supermarché débordants.

On était en fin de mois : la paie venait de tomber.

Les yeux très bleus, glaciaux, s’animèrent à peine.

— Ça va comme ça, Bogart, ricana Moretti. Inutile de passer mes amitiés à Schneider et au bicot… (Il se balança sur les talons, fixa le petit homme avec une férocité parfaitement instinctive.) Inutile aussi de lui faire part de ma visite… (L’ex-divisionnaire cligna de l’œil, commença à quitter le bureau et jeta par-dessus l’épaule :) À la prochaine et merci, Bogart…

Ce dernier s’était déjà remis à contrôler et comptabiliser les procès-verbaux de restitution de véhicules volés, sur formulaires informatisés. Il le faisait lentement, systématiquement, au crayon de papier.

La Playmate affichée contre la porte de l’armoire métallique avait un joli petit con mousseux, délétère, dans les nuances champagne, en bas du ventre.

Il était onze heures.

* * *

Elle entendit arriver la Porsche bien avant qu’elle la vît remonter l’allée : elle commença par apercevoir les battements bleutés, précipités, du gyro dans la pluie, pardessus les haies de fusain, puis Schneider tourna sec et manqua percuter de l’arrière le poteau auquel était fixée la boîte aux lettres. Elle remarqua la rampe de phares allumés et la palpitation métronomique des essuie-glaces.

Schneider sortit, la veste ouverte et en quelques pas, il fut à la porte.

Cheroquee ouvrit et il s’engouffra à l’intérieur, la saisit dans ses bras, l’écartant de l’embrasure. Il la serrait à l’étouffer, si bien qu’elle éclata d’un rire rauque. Il murmura dans son cou :

— Honey… Honey…

Elle observa, d’un ton de voix tout bête, presque enfantin :

— Tu as laissé les phares allumés, Claude.

Schneider haussa les épaules, sans cesser de la broyer contre lui. Ils firent deux pas de tango. Le policier avait le front contre le cou de la jeune femme et faisait doucement non de la tête. Elle noua les bras derrière sa nuque. Elle avait mis un poulet de grain dans la rôtissoire et ouvert une bouteille de Morgon. Elle avait eu Vannier au téléphone et le commissaire lui avait recommandé d’empêcher Schneider de « faire une bêtise ». Il lui avait dit : « Je vous l’envoie. Si Lambert se manifeste, empêchez Claude de faire une bêtise… »

Schneider la lâcha et lui prit doucement la taille, l’écarta de lui et la contempla. Elle secoua la tête et les cheveux lui cascadèrent sur les épaules et dans le dos. Elle dit :

— Tu crois qu’il va venir ?

— Oui, fit Schneider.

— Tu penses qu’il va tirer ?

— S’il le peut…

— Pourquoi fait-il ça ?

Schneider grimaça. Il n’y avait plus trace de la moindre dureté sur son visage, rien que de la tendresse et de la lassitude mélangées. Lorsqu’il parla, ce fut d’une voix sourde, dépourvue d’animosité à l’égard de quiconque et de sarcasme. Matthieu Lambert avait disjoncté. L’enfer dans lequel il se trouvait ne devait guère avoir d’équivalent. Ils allèrent s’asseoir sur le divan et Schneider garda les mains de la jeune femme dans les siennes tout le temps.

— On ne sait jamais au juste ce qui se passe dans la tête d’un homme. Matthieu était une espèce d’écorché vif permanent. Nous nous sommes trouvés ensemble dans une opération sur la frontière… (Schneider baissa la tête, contempla la moquette, puis regarda Cheroquee au visage.) Sa section avait une position à tenir. Lorsqu’elle est devenue intenable, il a décroché en laissant des blessés…

La jeune femme attira le policier contre elle.

— Arrête, Claude, c’est fini… C’est loin, tout ça.

— Non, murmura Schneider. C’était hier. Les fells ont achevé les malheureux mais avant…

— Arrête, Claude, supplia Cheroquee.

— Il est revenu sur place, il a vu… Il y avait un jeune officier para sur les lieux… (Schneider appuya le front contre le sweat-shirt délavé.) C’est dur, Honey, très dur. Le jeune officier portait des gants, passés dans le ceinturon. Il a pris les gants et devant tout le monde il a souffleté Matthieu…

— Vous vous êtes revus, après ?

— J’ai été évacué sanitaire dix jours plus tard.

— Tu as couché avec Muriel ?

— Oui.

— Et il l’a su…

Schneider bougea doucement.

— Elle lui a dit. Elle lui a tout raconté, par le détail, où, quand, comment… (Il eut son rire amer, dépourvu de relief et de chaleur.) Une histoire d’une épouvantable banalité… Le Matthieu Lambert que j’avais rencontré tirait comme une savate ; en grattant un peu cette nuit, on a trouvé qu’il avait été noté comme tireur d’élite à l’instruction. Une suite d’erreurs…