Выбрать главу

Vannier sortit un bleu plié de sa poche de veste.

Schneider le déploya sur la table basse, en écartant le Colt et le plateau, l’examina rapidement et écrasa l’index sur un emplacement. Vannier et Cheroquee se penchèrent de part et d’autre.

— Ici, murmura Schneider.

Vannier hocha la tête.

Il était dix-sept heures quarante, et il ne pleuvait plus du tout.

De-ci, de-là, on entrevoyait même des plaques de ciel d’un bleu soutenu et lavé et les roses trémières de la façade gouttaient et commençaient à relever la tête. Schneider termina sa bière. Vannier confia :

— Le central a demandé les tireurs d’élite du G.I.P.N. Ils doivent être en train d’arriver par avion, en ce moment, avec tout le matériel… (Il se leva.) Il serait inutile et idiot qu’il y ait confusion entre les visuels. (Il retroussa les lèvres, mais ne sourit pas vraiment.) Nous avons enregistré pas mal de pertes dans nos rangs, ces derniers temps. Vous ne m’aimez pas beaucoup, Schneider, et vous avez le mérite de ne pas le cacher, mais ça ne me ferait aucune espèce de plaisir qu’on vous accroche la Médaille d’Honneur de la Police sur le sapin. (Il s’inclina, assez sèchement.) Permettez-moi, madame, de prendre congé.

Cheroquee se leva, tendit une main fraîche à la poigne décidée.

Schneider examinait le plan, les sourcils serrés.

Contre les tireurs du G.I.P.N., Matthieu n’avait pas l’ombre d’une chance.

Il aurait la tête taillée en pièce avant d’avoir eu le temps de mettre le genou en terre. Schneider serra une main au hasard. Il se leva et raccompagna Vannier à la porte. Les phares de la voiture étaient toujours allumés. Il les éteignit. Son visage avait une expression indéchiffrable.

* * *

La nuit était tombée. Charles planquait, en compagnie de deux balaizes des stupéfiants, dans l’épave d’une Frégate Renault. Leur poste portable grésillait de manière presque inaudible. La caisse sentait le drap moisi et la vieille tôle rouillée. Le jeune flic avait sorti son .357 de l’étui, basculé le barillet, et ses deux collègues avaient compris qu’il s’essayait surtout à s’occuper les doigts. L’un d’entre eux observa :

— On dirait bien que Schneider est sorti de l’image…

Catala s’anima vaguement.

— Il est sur un autre coup.

— Le flingueur, hein ? fit le flic assis sur le siège du passager.

— Le flingueur, oui, acquiesça Charles d’un ton amer.

Le flic remua : il s’appelait Marcel Ripoll, était inspecteur sixième échelon et avait l’impression d’avoir travaillé aux stups depuis le début de l’évolution zoologique qui avait abouti à sa forme la plus achevée, le camé moyen, sous rubrique dealer occasionnel, à son résultat momentanément le plus en pointe.

Marcel Ripoll avait quarante-huit ans, des cheveux très courts et drus, taillés en brosse, et un automatique Herstal dans la ceinture. Il n’aimait plus beaucoup ce qu’il faisait, mais il n’avait plus tellement le choix. Il y eut un craquement dans le Motorola et une voix s’éleva à peine :

— Véhicule repéré, Hubert. Se…

— Silence radio, intima Hubert.

Hubert était le commissaire Vannier. Il se trouvait au cœur de l’affaire, dans une Renault 14 qu’on avait barbouillée de terre à la va-vite et rangée parmi les autres bagnoles que Bubu remisait dans sa cour. À chaque bout du parc, il y avait une Renault 18 « Goldorak » recouverte d’une bâche. Vannier avait mobilisé le ban et l’arrière-ban de la Sûreté et tapé des effectifs au G.R.B. de la P.J. Chacun des flics en civil était pourvu du brassard d’intervention et avait un gilet pare-balles à disposition. Les gardiens en tenue avaient en outre des phares sur accumulateurs et Vannier avait fait sortir deux pistolets-mitrailleurs de l’armurerie.

Dans la Frégate, Ripoll hésita : il n’aimait pas le brêlage compliqué du gilet, ni son poids. Catala était enfoncé dans le siège, les yeux au ras du volant. En dépit de son âge, il avait le visage dur et vide et Ripoll se demanda un instant pourquoi ce putain de job usait si vite les gens. Quatre phares apparurent à la grille, sans qu’ils eussent perçu le moindre ronronnement de moteur. Ripoll pensa : « Si je le mets, je vais passer pour un con… » Il se contenta de saisir la crosse de son neuf millimètres à pleine main.

Dans le quadruple faisceau des phares, une silhouette élancée avait entrepris de déverrouiller puis de faire glisser la grille sur ses rails. L’homme portait un jean, des baskets et une chemisette claire dont les pans lui flottaient autour des hanches. Le van s’avança au pas, les phares accrochèrent un mur de parpaings, balayèrent des voitures rangées, vides et silencieuses, et son conducteur ralentit encore. Il n’éprouvait aucun sentiment particulier, sinon une légère irritation : il n’avait plus envie de rentrer, ou de bouger, il avait laissé Sylvie et le gosse. Il pouvait foncer directement sur Paris, laisser la ville derrière lui, avec le fric il prendrait un billet d’avion. Il n’avait pas besoin de bagages. Est-ce qu’il fallait quelque chose de particulier pour Dakar ? Un passeport ?

La réponse lui vint en pleine figure, lorsqu’à travers le pare-brise, il vit les phares s’allumer. Des phares puissants à la lumière blanche et crue. Il jeta un coup d’œil dans les rétroviseurs latéraux, en pilant d’instinct. Une longue voiture blanche avec la rampe de pavillon allumée venait de bondir et lui interdisait le passage de la grille. Il reporta les yeux devant, où la même longue et blême voiture — un break Renault 18 dont les flancs portaient les lettres POLICE — lui coupait le chemin et pilait sec en soulevant de la poussière.

Hollywood Chewing-gum réagit au quart de seconde, lança le Transit et se jeta par la portière. Il roula deux fois, parfaitement, se redressa sur un genou et ouvrit le feu en direction du break et des phares, et sans s’attarder à compter les coups au but se jeta à l’abri des voitures. Le Transit percuta la voiture de plein fouet. Il se coula entre les carrosseries. D’autres phares s’étaient allumés et on y voyait comme en plein jour.

Des flammes commençaient à s’élever du moteur du Ford.

Hollywood Chewing-gum grimaça : le feu… Il venait de faire le plein, et tout allait griller. Il s’en tirerait sans un rond, mais il éviterait la taule. Il se passa le dos de la main sur le front, accroupi contre une aile froissée. Une silhouette massive apparut à sa gauche. L’inspecteur Ripoll dit très doucement :

— Ça suffit comme ça…

Par-dessus l’avant-bras gauche, l’homme tira quatre fois, puis son arme percuta à vide, la silhouette recula sous les impacts successifs, tournoya et s’abattit sur le dos. Hollywood Chewing-gum bondit vers le mur de parpaings et un phare l’épingla. Quelqu’un le faucha aux jambes, il lança au hasard une droite embarrassée qui n’aboutit à rien. À l’aide de son bâton de défense, Charles Catala le sonna à l’épaule, saisit le bras droit qu’il tordit, à genoux sur les reins de l’homme, lui menotta le poignet et saisit l’autre bras.

Ripoll remuait, exactement comme une tortue renversée.