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Charles Catala releva l’homme sans ménagement, récupéra son pistolet, un Astra en calibre 9 mm et le fourra dans sa ceinture. Il se pencha sur son collègue, au passage. Engoncé dans le gilet, ce dernier était parvenu à s’asseoir, les genoux exagérément écartés. Hébété, il marmonnait à mi-voix, comme une litanie :

— Ah, putain… Ah, putain…

Catala poussa sa prise devant lui. Deux gardiens avaient arrosé le van de mousse carbonique. La cour grouillait de flics. L’un d’entre eux, un homme d’une quarantaine d’années, en complet gris et mocassins de cuir noir, un portable en bandoulière, se tourna.

On avait commencé à dévisser le plancher.

Vannier s’adressa à Catala :

— Ripoll ?

— Sonné. Il a pris quatre balles dans le buffet, à moins de trois mètres. Heureusement, il avait enfilé ce putain de gilet au dernier moment…

— Monsieur, appela le gardien en cotte de mécano qui était accroupi à la porte coulissante du Transit. Monsieur…

Vannier s’approcha, Catala fit de même. Dans la lumière très blanche, les pains de résine apparurent, rangés méticuleusement côte à côte, enveloppés de cellophane. Charles confia la chaîne des menottes à un gardien, pénétra dans la cabine en progressant sur le longeron soudé. Il réapparut avec un sachet blanc, aplati, et qui avait l’aspect et le volume apparent d’un paquet de farine d’un kilo. Il le présenta à Hollywood Chewing-gum impassible :

— Coke, grinça le jeune flic.

Personne n’eut le temps ou le moyen de l’empêcher de porter une gauche fulgurante, venue du fond des godasses, au menton du type dont les talons décollèrent du sol et qui se retrouva assis sur les fesses, de travers, seulement retenu par la chaîne. Vannier s’interposa :

— Ça suffit, Charles… Donnez ça.

Charles Catala s’exécuta.

On releva l’homme. Il secoua la tête et adressa à la cantonade son plus beau sourire monochrome, celui qui lui avait toujours valu toutes les faveurs, et dit, d’une voix nette et bien timbrée, très posée :

— Je suis victime d’une machination. J’ignorais ce que contenait ce véhicule… (Son sourire s’élargit et rutila dans les phares, tandis que ses yeux s’animaient d’une espèce de contentement malsain.) En outre, je dépose plainte contre cet officier de police, pour les violences qu’il vient d’exercer à mon encontre et dont vous êtes tous témoins…

Vannier fit écran devant Catala qui se suçotait les jointures du poing.

Machination ou pas, on le fit assister à la saisie de la came. Il prévint :

— Je ne signerai rien…

Vannier tourna la tête vers lui. Il ne souriait pas. Il examina l’homme de la tête aux pieds et déclara, d’un ton sourd et inhabituel, les traits crispés :

— Ce sera parfaitement inutile, de toutes les manières…

Il était minuit dix et l’ensemble de l’opération n’avait pas duré plus de trente minutes. Comme s’il se fût agi de la rampe d’un spectacle, les lumières s’éteignirent et il ne resta bientôt plus qu’un groupe d’hommes qui s’affairaient autour de la carrosserie de coléoptère du van, et quelques autres qui conciliabulaient à l’écart, tandis qu’on entraînait Hollywood Chewing-gum et son indestructible sourire vers un fourgon.

Catala avait tourné les talons. Vannier l’appela à mi-voix. Le jeune homme se retourna et esquissa une espèce de sourire. Vannier dit :

— Elle va s’en tirer, Charles… Allez vous reposer un peu, vous en avez grand besoin.

Charles secoua la tête, la crispation donnait à ses lèvres une expression mi-amère, mi-boudeuse. Se reposer : il regarda Vannier et le champ de bataille, alentour, on avait réquisitionné la dépanneuse de Bubu pour sortir la Goldo défoncée. Se reposer… Charles Catala releva le menton et dit doucement :

— Elle va s’en tirer ? Laquelle ?

Vannier ne répondit pas.

Il regarda le jeune homme se diriger vers sa VW « Jeans » rangée parmi les autres caisses, de son pas nonchalant, vaguement allongé. Schneider avait parlé de raisons hermétiques, de comptes qui se réglaient avec les autres ou avec soi-même. Schneider… Vannier se fouetta le genou gauche avec la courte antenne du portable, d’un geste irrité, presque inconscient.

Schneider…

CHAPITRE XXII

Cheroquee sourit au jeune homme. Il avait de la terre sur son blouson de survie, de la poussière sur la figure et des brins de paille ou de foin dans les cheveux. Il lança un petit paquet oblong, marron, à Schneider qui fumait, les paupières mi-closes, et l’intercepta sans mot dire.

— Ça grouille de flics, commenta Charles. (Il souleva un pan de blouson.) Je vous ai amené un portable ; ils trafiquent sur la fréquence quatre. Les gun-fighters n’ont pas pu atterrir, à cause de l’orage. Leur zinc a dû être détourné et ils vont arriver par la route, aux aurores. (Catala sortit le poste. Schneider exhiba le même, glissé entre les coussins du divan et Charles sourit.) Bien joué…

— Asseyez-vous, Charles, murmura Cheroquee. Vous voulez quelque chose ? Un alcool ? Du café ? (Elle souriait toujours, mais son expression était pénible et désolée, son visage ressemblait à celui de quelque pietà douloureuse, et Charles s’assit, pour faire quelque chose, pour éviter le regard fiévreux des yeux ardoise.) Charles ?

— Café, fit le jeune homme au hasard.

Schneider avait entrepris de dépiauter la plaquette de cannabis, avec la pointe de son coupe-ongles. Le .45 trônait sur la table basse, la crosse vers lui.

Cheroquee fit mine de se lever du divan.

— Laisse, la devança Schneider. Vous venez une seconde, Charles ?

Le jeune homme le suivit dans la cuisine. Schneider avait rempli le filtre de café moulu et branché la cafetière. Le dos tourné, il fixait un point quelconque dans la nuit, au-delà des haies.

— Restez, Charles, dit-il d’une voix sans relief. Je vais avoir besoin de vous, tout à l’heure.

L’eau gargouillait. Schneider se retourna :

— Il se peut que nous ne soyons pas trop de deux, si l’affaire venait à tourner mal, et pour rien au monde je ne voudrais que…

— Je comprends, coupa Charles, mal à l’aise. Vous allez sortir. C’est ça ? Vous allez essayer de l’arrêter…

Schneider eut un sourire las.

— On nous paye pour ça.

— Et elle ?

— Qui vous dit que ce n’est pas pour elle que je le fais ? murmura le policier.

Il sortit des tasses, prit du sucre dans les éléments et un petit pot de crème dans le frigo, disposa le tout sur le plateau. Catala le suivait des yeux, les poings sur les hanches, une cigarette qu’il n’avait pas allumée à la bouche. Finalement, il hocha doucement la tête et déclara :

— Vous pouvez compter sur moi.

* * *

Il ne dormait pas. Il attendait que le jour commence à poindre. Dès que les premiers filaments gris de l’aube auraient traversé les stores, il se lèverait, prendrait une douche, se raserait et s’habillerait. Cheroquee dormait nue, enroulée dans le drap mauve, la figure cachée dans les cheveux, un poing fermé sur l’oreiller.

Schneider se sentit rempli de lassitude et d’amertume.

Cheroquee vivait, et lui ne vivait plus. Il n’avait plus envie de sortir et de rire, il avait seulement envie de lui prendre la main et de la presser contre son front, de se la passer sur la figure et de lui raconter des histoires de pluie et de lune.

Les filaments commencèrent à tisser leur toile d’araignée grisâtre et le policier s’aperçut qu’au fur et à mesure, la peur s’insinuait en lui, lui pénétrait les muscles et les os, et lui remplissait la bouche d’une eau froide et claire, une peur hideuse, sans visage, couleur de l’aube blême. En silence, il s’arracha du lit, quitta la chambre.